Projet de loi Duranceau | Québec pourra piger 1,8 milliard dans le Fonds vert

France-Élaine Duranceau a reçu le mandat de donner un « traitement choc » à l’État québécois. Première étape : elle dépose un projet de loi qui fusionne des organismes. Surprise : cela lui permettra également de transférer les surplus du Fonds vert dans le Fonds des générations ou de s’en servir pour financer les routes.
Mis à jour hier à 15 h 16
Le dégraissage promis à l’environnement commence lentement. Québec veut « simplifier la reddition de comptes » en éliminant l’obligation pour le Commissaire au développement durable de publier un rapport chaque année.
Et surtout, le gouvernement pourra transférer, s’il le souhaite, les 1,8 milliard de surplus accumulés du Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC), auparavant le Fonds vert, vers le Fonds des générations ainsi que le Fonds des réseaux de transport terrestre, qui est en déficit et peine à financer l’entretien des routes et du transport collectif.
Cela permettra-t-il de réduire la taxe sur l’essence ? La présidente du Conseil du trésor ne se mouille pas. Ce sera au ministre des Finances de faire une annonce, a-t-elle rétorqué. Le Fonds des réseaux de transport terrestre est actuellement pourvu en grande partie par la taxe d’accise sur l’essence. En entrevue à Radio-Canada en septembre, le premier ministre François Legault disait envisager de « prendre une pause sur certaines des mesures pour aider financièrement les Québécois ». Ce projet de loi lui donne le moyen de le faire.
« Pour susciter l’adhésion des Québécois à la bourse du carbone, il faut leur montrer que cette bourse génère des bénéfices concrets dans leur quotidien. On est en réflexion pour voir quel est la part du Fonds vert, du FECC, qui pourrait être utilisée pour des mesures citoyennes », a indiqué le ministre de l’Environnement, Bernard Drainville.
Ça va être la prérogative du ministre des Finances, qui va pouvoir annoncer [une éventuelle baisse de la taxe sur l’essence] dans un budget ou une mise à jour économique.
France-Élaine Duranceau, présidente du Conseil du trésor
Le gouvernement Legault prévoit aussi « surseoir au processus d’indice de performance en développement durable » pour les ministères et de limiter la reddition de comptes en matière de développement durable des ministères et organismes dans leur rapport annuel.
PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE
France-Élaine Duranceau et Francois Legault
« Magouille » néfaste pour l’environnement
Les organisations environnementales n’ont pas bien réagi à cette annonce. Marc-André Viau, d’Équiterre, assimile ce geste à une « magouille » pour « diminuer les investissements dans des mesures bénéfiques pour les transports collectifs et l’environnement », pour financer un peu n’importe quoi. Exemple concret : Québec pourrait prendre l’argent du FECC pour investir dans le Fonds des générations, et dégager une somme équivalente pour « faire des cadeaux en année électorale ».
Ce qui m’inquiète, c’est la volonté affichée de ne plus avoir de mécanisme de surveillance indépendant, et le fait que les sommes [réservées] à des mesures ciblées, on enlève ça. Et on n’est plus capable de suivre la trace.
Marc-André Viau, d’Équiterre
Avant ce projet de loi, l’argent versé dans le Fonds vert par les entreprises et les automobilistes devait servir à financer des mesures de réduction des gaz à effet de serre (GES) et d’adaptation aux changements climatiques, rappelle Christian Savard, directeur général de Vivre en ville. C’était le « pacte social ». Mme Duranceau vient modifier ce pacte, déplore-t-il.
« Le gouvernement dit : “Tu peux prendre les surplus et les mettre dans d’autres fonds.” Et le ministère des Finances se réserve le droit de refuser ou non les dépenses prévues par le ministère de l’Environnement en matière de changements climatiques. Il peut donc faire grossir à sa guise ce surplus », explique M. Savard.
Ultimement, ça pourrait être « la fin de la lutte contre les changements climatiques », craint-il. « Ça vient enlever les garde-fous mis en place par l’ancien ministre Benoit Charette. C’est inquiétant. »
Il fait part de son étonnement en constatant que le gouvernement Legault n’a pas réussi à dépenser les 1,8 milliard qui dorment dans le Fonds vert, alors que les besoins en transport collectif sont criants.
Un stage probatoire pour les sous-ministres
Québec ne remet pas en question la sécurité d’emploi pour les hauts fonctionnaires, mais ajoute un « stage probatoire » de deux ans pour ceux qui sont nommés administrateurs d’État, par exemple les sous-ministres et les sous-ministres adjoints.
Cela s’applique uniquement « lorsqu’une personne est nommée pour la première fois à titre d’administrateur d’État », et non pas lorsqu’elle change de fonction. Si, après ce stage de deux ans, ils ne font pas le travail, ils pourront être limogés ou réaffectés à leurs fonctions précédentes.
Les effets de la commission Gallant sur le fiasco SAAQclic se voient aussi dans le projet de loi : Québec se réserve maintenant le droit de nommer les vice-présidents de cette société d’État et de déterminer leur rémunération. Le Conseil du trésor précise que la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) faisait figure d’exception parmi les organismes assujettis à la Loi sur la fonction publique.
Multiples fusions en santé
Québec pense pouvoir réduire des frais administratifs en brassant les structures : des économies annuelles de 35 millions sont prévues d’ici 2030.
L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux seront fusionnés, par exemple, et la gestion des laboratoires sera confiée à Santé Québec. Les fonctions de collaboration entre l’INSPQ, les universités et les ordres professionnels « pour l’amélioration de programmes de formation » relèveront maintenant du ministère de la Santé.
Québec veut aussi intégrer les activités administratives et techniques d’Urgences-santé, qui a connu des problèmes de gouvernance, directement chez Santé Québec.
Héma-Québec aura maintenant les subventions pour les activités de don et de transplantation d’organes, qui étaient réalisées par Transplant Québec. La loi ne vise pas à abolir Transplant Québec et transférer les employés vers Héma-Québec, précise le ministère de la Santé et des Services sociaux.
Parmi les autres structures qui sont modifiées, on compte la Commission de la fonction publique, dont les fonctions sont envoyées vers le Tribunal administratif du travail et le Conseil du trésor, l’office Québec-Monde pour la jeunesse, dont le personnel est intégré au ministère des Relations internationales du Québec, et le Fonds pour l’excellence et la performance universitaires, qui disparaît.
Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pourra aussi fusionner par décret des offices d’habitation.
PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE
La présidente du Conseil du trésor, France-Élaine Duranceau




