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Loi spéciale sur les médecins | Québec sort l’artillerie lourde, les spécialistes iront en cour

(Québec) Le gouvernement Legault sort l’artillerie lourde avec sa loi spéciale pour mettre fin aux moyens de pression des médecins et changer leur mode de rémunération. Il gèle leur enveloppe de rémunération jusqu’en 2028 et se donne le pouvoir de modifier lui-même par règlement les ententes en vigueur. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) annonce une contestation judiciaire.


Publié à 9 h 40

Mis à jour à 10 h 38

L’Assemblée nationale tient vendredi une séance extraordinaire à la demande du premier ministre François Legault pour adopter sous bâillon le fameux projet de loi qui vient lier 15 % de la rémunération des médecins à des indicateurs de performance. Par le fait même, la procédure permet de mettre fin aux moyens de pression des médecins spécialistes qui ont cessé l’enseignement le 15 septembre.

Le projet de loi 106 devient ainsi le projet de loi 2 visant principalement à instaurer la responsabilité collective quant à l’amélioration de l’accès aux services médicaux et à assurer la continuité de la prestation de ces services. Le texte législatif va beaucoup plus loin que ce qui était sur la table depuis juin.

Le gouvernement n’y va pas de main morte : le projet de loi reconduit toutes les ententes conclues avec les fédérations jusqu’au 31 mars 2028. En clair, les négociations avec les médecins spécialistes et les médecins omnipraticiens sont suspendues. Les enveloppes budgétaires – fixées autour de 9 milliards – sont reconduites jusqu’à cette date. Québec prévoit un quasi-gel de ses enveloppes.

Le ministre de la Santé pourra d’ailleurs modifier ses ententes par règlement « dans certaines circonstances ».

Cette intervention provoquera la colère des fédérations médicales qui en avaient déjà contre l’article 8 du précédent projet de loi 106 qui venait donner au ministre le pouvoir de modifier leur mode de rémunération par voie réglementaire.

Dans sa dernière offre, Québec proposait de geler cet article pendant deux ans. Dans le projet de loi, il est prévu que le pouvoir réglementaire entre en vigueur en 2028.

Il confirme que la portion de la rémunération liée à des indicateurs de performance sera de 15 %. Comme prévu, il y aura des cibles nationales, territoriales et locales. Les médecins de 65 ans et plus sont exemptés.

Les cibles à atteindre comme le rattrapage en chirurgie ou le temps d’attente pour voir un professionnel de la santé seront aussi fixées par règlement. Québec prévoit d’ailleurs une augmentation de la rémunération de 2,5 % en 2026 et 2027 si deux objectifs sont atteints :

  • Le taux d’affiliation à un milieu de pratique (pour les médecins de famille)
  • Le délai de consultation en médecine spécialisée (pour les spécialistes)

Québec promet que 100 % des Québécois seront pris en charge dans un milieu de pratique à l’été 2026.

Moyens de pression et exode

Pour les moyens de pression, Québec sort le bâton. Il interdit aux médecins « ainsi qu’aux groupements qui les représentent d’entreprendre des actions concertées qui affecteraient négativement l’accès aux services ou qui entraveraient le bon déroulement du parcours de formation des intervenants du domaine de la santé et des services sociaux », ce qui touche l’enseignement.

Il prévoit des « mesures de redressement ainsi que des sanctions », notamment de nature pénale si les médecins ne respectent pas la loi. Au surplus, « tout médecin qui participe à une action concertée […] voit son nombre d’années de pratique diminué ».

« Ces sanctions incluent, pour les médecins, une réduction de leur rémunération et des conséquences disciplinaires et pour les groupements représentatifs de médecins, une retenue à la source des cotisations qui devraient leur être versées », peut-on lire.

Mais Québec va plus loin : il interdit aux médecins « de faire cesser, diminuer ou ralentir son activité professionnelle » par rapport à ses activités habituelles. L’effet des actions concertées ne peut non plus « en faire un professionnel désengagé » du régime public. C’est à cet élément que faisait référence le premier ministre jeudi quand il affirmait que la loi contiendrait des mesures pour éviter l’exode des médecins.

Un mécanisme de surveillance sera mis en place pour veiller aux motifs évoqués par un médecin qui choisirait de se désengage du public. Les sanctions pourraient s’appliquer pour un individu ou un groupe d’individus (au moins 3) qui quitteraient le réseau pour aller par exemple pratiquer dans une autre province.

Voici les pénalités financières prévues à loi pour chaque jour que dure l’infraction :

  • 100 000 $ à 500 000 $ pour les groupements (ex. : fédérations et associations)
  • 28 000 $ à 140 000 $ s’il s’agit d’un dirigeant, d’un employé ou d’un représentant d’un groupe représentant les médecins
  • 4000 $ à 20 000 $ s’il s’agit d’un médecin
  • 200 $ à 1000 $ s’il s’agit de toute autre personne (ex. : salarié, cadre du réseau)

La procédure législative d’exception, communément appelée « bâillon », permet au gouvernement d’adopter de manière accélérée un projet de loi, en sautant les étapes législatives normales. Ce sera le huitième bâillon du gouvernement Legault depuis son arrivée au pouvoir en 2018.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

François Legault.

Le projet de loi 2 qui contient plus de 100 pages a été déposé vendredi à l’Assemblée nationale.

Il contient des éléments de surprise. Québec fixera le tarif maximal des frais accessoires qui peuvent être exigés au privé. Il ajoute aussi les pharmacies communautaires aux prestataires de services qui ne peuvent recourir aux services à de la main-d’œuvre indépendante.

L’opposition en furie

L’intervention du gouvernement est vivement contestée par l’opposition à Québec.

« On est à l’an huit de ce gouvernement, ils ont eu sept ans pour faire quelque chose au niveau de la santé », a déploré le chef du Parti libéral du Québec, Pablo Rodriguez. « Encore une fois, le ministre de la Santé fait ce que le gouvernement dans son ensemble fait tout le temps, c’est à dire choisir la confrontation. Ils veulent une victoire à tout prix. Ils veulent une victoire à court terme, mais à quel prix pour la population ? Une victoire pour la CAQ, une défaite pour les Québécois », a-t-il ajouté.

« C’est très inquiétant ce qui se passe aujourd’hui », a dénoncé le solidaire Vincent Marissal. François Legault est « un premier ministre autoritaire qui n’a que faire du Parlement. La preuve, c’est la multiplication des bâillons, et il a confié ça à un autocrate, le ministre Dubé, qui n’écoute personne », a-t-il ajouté, faisant référence aux révélations de La Presse voulant qu’un haut fonctionnaire et une médecin-conseil se soient fait montrer la porte après avoir exprimé des réticences face au projet de loi 106.

Selon le péquiste Joël Arseneau, le projet de loi doit améliorer l’accès aux soins de santé et la qualité des soins, sinon c’est un échec. Or, il doute que cela fonctionne en soulignant que les « experts sont unanimes » que la méthode privilégiée par le gouvernement dans le projet de loi 106 ne fonctionne pas. En Chambre, le chef Paul St-Pierre Plamondon a accusé François Legault de « bâcler le travail ».

Le gouvernement Legault avait mandaté un comité d’experts pour repenser l’accès à la première ligne. Or, ce comité n’a pas retenu l’idée de lier la rémunération des médecins à la performance.

Le Collège des médecins a aussi affirmé au printemps qu’il serait « dangereux » pour le patient de lier une partie de la rémunération à des indicateurs de performance. L’ordre professionnel craint que ce genre d’objectifs poussent les médecins « à être plus préoccupés par la quantité que la qualité des soins ».

La commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, s’est pour sa part dite favorable à condition que les cibles soient qualitatives plutôt que quantitatives.

Contestation judiciaire de la FMSQ

Dans une infolettre envoyée à ses membres vendredi matin, obtenue par La Presse, le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le Dr Vincent Oliva, annonce que « des procédures judiciaires seront entreprises pour contester vigoureusement » la loi spéciale.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Dr Vincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec

« Le mandat est donné », écrit le Dr Oliva.

Le président de la FMSQ affirme qu’une « analyse sommaire » de la loi spéciale confirme ses « pires craintes ».

Une attaque sans précédent d’un gouvernement sans repère, ayant décidé de saccager le système de santé et espérant se relancer en utilisant la méthode soviétique.

Le Dr Vincent Oliva, président de la FMSQ

Le Dr Oliva doit s’adresser aux médias à 13 h 45 à Montral.

Ce que prévoit le projet de loi

  • Lier 15 % de la rémunération des médecins à des indicateurs de performance collective. Les cibles pourront être « nationales », et donc à l’échelle de la province, ou « locales et territoriales » comme dans une clinique ou une région ;
  • Revoir le mode de rémunération des médecins de famille pour inclure la capitation, qui est le contraire de la rémunération à l’acte. C’est-à-dire que les médecins, plutôt que d’être payés pour chaque service rendu, recevraient une somme globale pour les patients sur leur liste ;
  • Introduction du concept des pastilles de couleur pour évaluer le patient. Ce code de couleurs est lié à la rémunération par capitation. Ainsi, un médecin touche plus pour un patient vulnérable (rouge) que pour un patient en santé (vert) ;
  • Revoir le modèle de prise en charge pour l’accès à la première ligne. Québec imposera aussi une prise en charge de 100 % des Québécois. Les patients orphelins (qui ne sont inscrits nulle part) seront donc « affiliés » à un milieu de soins, le plus près de leur domicile. Pour ceux déjà inscrits, rien ne change, assure le gouvernement.

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