Élections municipales | Changement ou continuité, telle est la question
Soraya Martinez Ferrada a peut-être réussi son pari : transformer le scrutin de dimanche en référendum sur le bilan de Valérie Plante à l’Hôtel de Ville. Le débat télévisé de la semaine dernière à Radio-Canada a été révélateur. Normalement, le meneur est attaqué de toutes parts dans la dernière ligne droite d’une campagne électorale. Mais lors du face-à-face télévisé, c’est pourtant Luc Rabouin, deuxième dans les intentions de vote, qui a été sur la défensive.
Les électeurs veulent-ils du changement ou la continuité ? Pour bien des Montréalais, il s’agit sans doute de l’enjeu principal du scrutin. Après huit années aux commandes de la Ville, Projet Montréal a ressenti l’usure du pouvoir ces dernières semaines.
Pour ses partisans, Valérie Plante n’a pas à rougir de ses deux mandats à la tête de la métropole. Elle a laissé sa marque dans le paysage en transformant la trame urbaine en profondeur. Non seulement avec les pistes cyclables, mais en apaisant la circulation dans les quartiers familiaux — avec des saillies de trottoir, qui facilitent le passage des piétons aux intersections, avec des dos-d’âne qui forcent les automobilistes à ralentir, avec le verdissement, et ainsi de suite.
La mairesse sortante a aussi jeté les bases de futurs quartiers ambitieux, qui ajouteront des milliers de logements dans les secteurs de Bridge-Bonaventure, de l’ancien hippodrome, de l’ancienne tour de Radio-Canada, sur la rue Louvain Est…
Malgré tous les défauts de la métropole, les Montréalais adorent leur ville. Sa qualité de vie. L’« esprit » de Montréal, sa « coolitude », son aptitude au « vivre-ensemble », sa vie culturelle foisonnante.
Un portrait sombre
La cheffe d’Ensemble Montréal n’a tout de même eu aucune difficulté à trouver des angles d’attaque contre Luc Rabouin, successeur de Valérie Plante à la tête de Projet Montréal. Les crises de l’itinérance et du logement ont pris naissance — et perduré — durant le règne de l’administration Plante. Les chantiers ont continué de compliquer la vie des automobilistes. Les cônes orange sont restés le symbole d’une ville en manque d’amour depuis des décennies. La bureaucratie donne encore des maux de tête aux gens qui demandent un simple permis de construction. La propreté laisse à désirer dans certains quartiers. L’insécurité a aussi pris de l’ampleur.
La triste multiplication des campements de sans-abri s’est imposée comme la priorité de tous les partis. Juste ça, la misère humaine, bien visible un peu partout en ville, a empêché les prétendants à la mairie de faire rêver les Montréalais. Avec raison. Il aurait été indécent de promettre mer et monde tandis que des centaines de citoyens ont été jetés à la rue par l’explosion des coûts du logement.
Bien des Montréalais qui ont la chance d’avoir un toit au-dessus de la tête passent quand même de mauvaises nuits. Ils parviennent difficilement à payer les factures. Chaque visite à l’épicerie les rend anxieux. Et ils se demandent combien de temps ils pourront garder leur logement en cette époque d’évictions perpétuelles, malgré leur interdiction.
Un chef discret
Luc Rabouin était aux prises avec cette crise sociale dont il n’est aucunement responsable. Il devait en plus incarner le changement tout en représentant la continuité. Sa personnalité peu éclatante a aussi alimenté les conversations. Il a beau être décrit comme un gestionnaire hors pair au jugement sûr et au caractère rassembleur, le contraste avec la flamboyante Valérie Plante était frappant.
Les Québécois aiment habituellement des personnalités fortes à la mairie. Des personnages qui ne laissent personne indifférent, qu’on les aime ou qu’on les déteste. Valérie Plante était de cette trempe. Jean Doré, Régis Labeaume, Bruno Marchand et bien d’autres viennent à l’esprit. Luc Rabouin pourra-t-il démontrer la valeur d’un candidat discret, d’un doux qui n’a pas le couteau entre les dents ?
Il reste à voir si la réputée machine à « faire sortir le vote » de Projet Montréal saura convaincre ses partisans de se rendre aux urnes. Ces gens sont allés voter avec enthousiasme en 2017 et en 2021. La fébrilité semblait moins au rendez-vous dans les dernières semaines.
Désir de changement
Soraya Martinez Ferrada, cheffe d’Ensemble Montréal, souffre aussi d’un déficit de charisme, mais elle a promis un vent de renouveau à la mairie. Ses solutions à des problèmes complexes seraient-elles à la hauteur des espoirs qu’elle suscite ?
Son atterrissage à la tête d’Ensemble Montréal a semblé laborieux, après son départ du gouvernement Trudeau tout juste avant le déclenchement des élections fédérales. Elle devait coprésider la campagne libérale ; elle a plutôt été couronnée cheffe d’un parti municipal en quête de direction. L’ex-ministre et députée d’Hochelaga a pris de l’assurance au fil des semaines de la campagne.
Les deux meneurs dans la course à la mairie ont toutefois échoué à susciter l’engouement des Montréalais. Signe du désenchantement des électeurs, le tiers de ceux-ci demeuraient indécis aux dernières nouvelles. Les petits partis en ont profité et ont fait parler d’eux durant cette campagne sans éclat.
Craig Sauvé, chef de Transition Montréal, a attiré l’attention avec sa vision résolument à gauche. Cet ancien de Projet Montréal est un redoutable débatteur. Dans l’entourage de Luc Rabouin, on craint qu’il gruge le vote progressiste.
À sa troisième tentative de remporter la mairie de Montréal — il a remporté 0,35 % et 1 % des voix lors de ses premiers essais —, Gilbert Thibodeau, d’Action Montréal, a porté la voix des réformistes, des gens fâchés qui réclament un « ménage » dans la grosse machine montréalaise. Il semble acquis que cet électron libre augmentera sa part de l’appui populaire.
Un mystère entoure toutefois le taux de participation au scrutin. À 38 % en 2021, la participation des électeurs a été historiquement faible. La grève des bus et du métro, ainsi que le peu d’intérêt des Montréalais envers la campagne électorale font craindre une désaffection encore plus grande. La démocratie en sortirait amochée.




