Loi 2 sur les médecins | François Legault contredit son « ex-ami » Lucien Bouchard

Lucien Bouchard est passé de mentor à « ex-ami » aux yeux de François Legault. Le premier ministre contredit le négociateur en chef des médecins spécialistes, qui a accusé Christian Dubé d’avoir fait capoter les pourparlers à deux occasions où une entente se profilait.
Publié à 14 h 09
Mis à jour à 16 h 09
À la toute fin d’une rencontre éditoriale dans les bureaux de La Presse à Montréal, vendredi, M. Legault est sorti de lui-même du sujet qu’il avait imposé, l’économie, pour aborder un dossier chaud : le conflit avec les médecins.
« C’est effrayant » ce que raconte « mon ex-ami Lucien », a-t-il lancé au sujet de l’ancien premier ministre qu’il a toujours présenté comme son mentor politique dans le passé. Sur le ton de la blague, il a poursuivi en laissant entendre qu’il avait maintenant « beaucoup d’ex-amis » en raison de ce conflit.
Lucien Bouchard a recruté le cofondateur d’Air Transat en 1998, comme ministre non élu au sein de son gouvernement.
« Lucien Bouchard qui dit [jeudi], c’était dans votre journal : “j’étais proche d’une entente, deux fois, et Christian Dubé a fait capoter ça”. Ben voyons ! »
Un coup de fil à la négociatrice
En entrevue avec La Presse, le négociateur de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a soutenu que le gouvernement avait accepté dans les derniers mois, à la table de négociation, d’abandonner les sanctions pour privilégier des primes à l’atteinte de cibles de performance. C’était avant que le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’intervienne. Selon lui, Québec a même évoqué la création d’un fonds de 150 millions de dollars, « de l’argent neuf qui sortirait du Trésor » et qui servirait à payer des primes pour les médecins qui atteindraient les cibles.
PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE
Lucien Bouchard, lors du rassemblement contre la loi 2, au Centre Bell dimanche
C’est tout le contraire de la loi 2 qui prévoit une ponction de 15 % dans l’enveloppe de rémunération des médecins – ce que M. Bouchard appelle des « sanctions » –, somme qui serait versée aux médecins à la condition qu’ils respectent des cibles de performance.
Après avoir lu la version de M. Bouchard, François Legault a téléphoné à Édith Lapointe, négociatrice en chef du gouvernement.
C’est elle qui est à la tête de l’équipe de négociateurs présents à la table et qui est donc mise en cause par Lucien Bouchard.
« Édith, as-tu dit ça ? », lui a-t-il demandé. Ce à quoi elle a répondu : « Jamais, voyons donc », toujours selon M. Legault. « Dites-moi-le si vous êtes pour offrir 15 % d’argent de plus aux médecins, j’aimerais ça savoir où vous allez prendre l’argent, a-t-il ironisé. Nous, on dit qu’il faut que ça se fasse à coût nul. »
La moitié des médecins seront « contents » ?
François Legault a interprété les propos de M. Bouchard comme si, aux dires de ce dernier, le gouvernement avait été prêt à accorder des primes équivalant à 15 % de leur rémunération actuelle (les 150 millions évoqués par l’ancien premier ministre ne représentent pas 15 % de la rémunération actuelle). « Nous, on ne rajoutera pas 15 % en disant : “écoute, tu gagnes tant par année là, mais si tu atteins des cibles, je vais te donner 15 % de plus”. Non. Mais on dirait que c’était ça qui était dans l’article », a expliqué M. Legault en rapportant les propos de Lucien Bouchard.
La position du gouvernement est ferme : « on va vous couper 15 % de votre salaire, puis si vous atteignez des objectifs, on va vous le redonner ».
Québec compte geler l’enveloppe de rémunération des médecins, qui s’élève à 9 milliards de dollars par année (spécialistes et omnipraticiens confondus). Mais comme la loi spéciale prévoit que 15 % de cette somme est liée à l’atteinte de cibles, « ça se peut qu’il y ait un 15 % qui n’aille pas exactement aux mêmes personnes », a expliqué François Legault.
« Ça veut dire quoi, ça, mathématiquement ? La moitié [des médecins] vont être contents, ils vont en avoir plus ; et [l’autre] moitié, ils ne seront pas contents, ils vont en avoir moins. Mais en moyenne, ils vont avoir le même montant, OK ? »
Des médecins exagèrent en disant qu’ils vont « perdre 60 % de [leur] salaire », a-t-il déploré. « Premièrement, c’est 15 %, pas 60. Deuxièmement, on dit le budget total, il ne change pas. Non, mais c’est choquant toute la désinformation qu’il y a là-dedans, il n’est pas question de couper une cenne du budget. »
« Le fun d’aller au Centre Bell », mais…
PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE
Près de 13 000 personnes se sont réunies au Centre Bell pour protester contre la loi 2, dimanche.
Interrogé en point de presse à Beauharnois lundi, alors qu’il venait de présenter son plan économique, François Legault a quelque peu tourné en dérision le rassemblement des médecins au Centre Bell.
« J’aimerais que les médecins, au lieu d’être au Centre Bell, délèguent leurs représentants pour venir discuter avec le gouvernement […] Je comprends que c’est le fun d’aller au Centre Bell puis de montrer des vidéos, puis de se pomper […] On peut travailler ensemble pour les patients au lieu de faire des démonstrations comme ça. »
Il a répété que l’objectif de son gouvernement n’était pas de réduire le budget en santé. « En moyenne, tout le monde va garder la même rémunération. Par contre, ce qu’on essaie de faire, c’est de mettre des incitatifs aux bons endroits pour qu’on serve mieux la population. »
Avec Karim Benessaieh, La Presse




