L’actrice et cinéaste québécoise Monia Chokri, libre et épanouie

En 2005 sortait diplôme en poche du Conservatoire d’art dramatique de Montréal une certaine Monia Chokri. Vingt ans plus tard, Cinemania rend hommage à celle qui, dans l’intervalle, s’est fait un nom non seulement comme actrice, mais en tant que cinéaste également. Cela ici comme en France, où son film Simple comme Sylvain a remporté le César du meilleur long métrage étranger et où la principale intéressée a joué dans pas moins de cinq films cette année. Quatre d’entre eux ont d’ailleurs été sélectionnés par le festival montréalais. Retour sur le chemin parcouru en compagnie de Monia Chokri.
En l’occurrence, l’envie de réaliser sommeillait déjà en elle à l’époque du conservatoire, mais de manière diffuse.
« En troisième année, on avait un cours appelé Jeu cinéma, où il fallait que certains d’entre nous se portent volontaires pour adapter des scènes de films. J’en ai choisi une tirée de La maman et la putain — en toute humilité », précise avec autodérision celle qui fut révélée aux cinéphiles en 2010 dans Les amours imaginaires, de Xavier Dolan.
« François Bernier et Evelyne Brochu jouaient dans mon projet. Je suis restée soir après soir pour monter les décors. J’avais déjà ce goût pour la mise en scène et pour la beauté. »
Vinrent ensuite l’envie d’écrire et, enfin, celle de réaliser. « Plus j’écrivais, plus je voyais les images. Et plus je voyais les images, moins j’arrivais à imaginer quelqu’un d’autre réaliser. »
Marquant une pause, Monia Chokri réfléchit un instant, puis reprend : « Je pense que, fondamentalement, ce que j’avais envie de faire, c’était de raconter des histoires. Mais je ne pouvais pas l’articuler comme ça dans ma tête, pour plein de raisons. La première, c’est qu’il y avait peu de modèles de femmes réalisatrices quand j’étais enfant et adolescente. J’étais passionnée de cinéma, mais avec le recul, je constate que peu d’histoires m’ont été racontées par des cinéastes femmes. Donc, forcément, dans l’inconscient, c’est difficile de s’imaginer pouvoir soi-même en raconter. Jouer était une façon de participer à cette forme d’art là, mais c’était aussi parce que je pensais que c’était ma place. Pour moi, réaliser, c’était comme être astronaute : j’étais convaincue que ça prenait des capacités que je n’avais pas. »
Moments charnières
Lors d’une soirée en compagnie de la productrice Nancy Grant, de Metafilms, et de la directrice photo Josée Deshaies [L’Apollonide, Nelly, Passages, Urchin], Monia Chokri fit part de sa volonté de réaliser. La première lui suggéra de faire ses classes avec un court métrage, la seconde proposa ses services pour la lumière.
« Lors de mon 30e anniversaire, Nancy, que je ne connaissais pas très bien encore, ne savait pas quoi m’offrir en cadeau, alors elle m’a tendu une carte d’affaires de Metafilms au dos de laquelle elle avait écrit : “Bon pour un court métrage, toutes dépenses payées”. J’ai toujours cette carte d’affaires, qui a changé ma vie. »
Dans la foulée, en effet, Monia Chokri écrivit et réalisa le court métrage Quelqu’un d’extraordinaire, gagnant d’une pléthore de prix, dont celui du jury à South by Southwest.
« J’étais très néophyte et très inquiète. Je me souviens d’avoir dit à Nancy : “J’ai peur de ne pas savoir parler aux techniciens.” Elle m’a répondu : “Mais toi, tu sais parler aux acteurs, et il n’y a pas beaucoup de réalisateurs qui savent parler aux acteurs.” Ça m’a rassurée, car au fond, elle me disait : chacun ses qualités. Sauf que je me suis rendu compte que j’avais plus de connaissances que je ne le pensais. »
Des connaissances qui se sont accrues, un film à la fois. Chacun de ses trois longs métrages a marqué un tournant, pour différentes raisons, dixit la cinéaste.
« C’est un peu ce que Robert Altman expliquait à un journaliste qui lui demandait : “Durant votre carrière extrêmement prolifique, vous avez eu de grands succès et des échecs. Comment vivez-vous ça ?” Altman a répondu : “Si j’ai l’impression que je me suis amélioré comme cinéaste, pour moi, le film est une réussite, peu importe l’accueil.” J’aime cette manière de voir les choses. Je pense à Babysitter, dont la sortie a été plus difficile, pendant la pandémie. Ce film a été moins compris, et ça a été une épreuve pour moi après La femme de mon frère [prix Coup de cœur du jury du volet Un certain regard à Cannes], qui avait joui d’une très belle réception. Sans être mauvaise, celle de Babysitter a été plus mitigée. Mais ça m’a appris et fait réfléchir, énormément. Simple comme Sylvain a pour sa part été charnière, ne serait-ce que pour la notoriété. En France, j’avais une niche, des gens qui suivaient mon travail, mais après ce film… »
Après ce film, et après ce César, l’ensemble de la profession dans l’Hexagone retint le nom de la cinéaste québécoise. Surtout à l’issue de son délicieux discours de remerciement, qu’elle commença en s’excusant, sourire en coin, auprès de Christopher Nolan, nommé lui aussi, pour Oppenheimer.
« Il était un peu contrarié d’avoir perdu, je crois. Moi, je pensais qu’il trouverait ça charmant, qu’une jeune cinéaste lui dérobe sa place. »
Or, justement, Monia Chokri n’a rien « dérobé » à qui que ce soit en cette occasion : Simple comme Sylvain est formidable.
Quoi qu’il en soit, c’est en France qu’elle tournera son prochain film.
« Il est écrit. Ça s’intitule Ni le jour ni la nuit, et je le tourne au printemps. Ce film-là sera lui aussi un tournant, car il va clore ma trilogie de la séparation, amorcée avec La femme de mon frère et Simple comme Sylvain. C’est une variation sur ce même thème, et sur le couple, dont j’aurai ensuite fait le tour je crois. C’est toujours sur les questionnements de l’amour, sur les structures intimes… Dans le ton, ça mélange les deux volets précédents, leurs côtés caustique et mélancolique, respectivement. J’ai l’impression que j’ai ramassé mes deux tons, que je les ai fusionnés dans Ni le jour ni la nuit. »
Une actrice transformée
Qu’en est-il du jeu ? La passion perdure, mais s’exprime désormais autrement.
« Réaliser fait en sorte que, un, j’ai moins d’espace pour jouer, et que, deux, l’espace que je prends pour jouer, je le choisis soigneusement. C’est-à-dire que je ne fais que des choix qui viennent du cœur et qui correspondent à mes envies. À présent, quand j’arrive sur un plateau comme actrice, j’assume complètement le projet dans lequel je m’inscris. Je ne joue plus pour gagner ma vie : pour ça, je pourrais me contenter de réaliser et d’écrire. Jouer est devenu un endroit où je me sens beaucoup plus à l’aise aujourd’hui qu’avant la réalisation. Mettre en scène m’a conféré un surcroît d’assurance en tant qu’actrice. En ce qui concerne les techniques de cinéma, comme j’ai acquis plus de connaissances, je m’amuse avec ce volet-là : ces techniques deviennent des outils, des alliés pour moi, dans mon jeu. »
De confier la cinéaste, elle était auparavant une actrice beaucoup plus nerveuse.
« Parce que j’étais dans le désir de plaire, et plaire à long terme. Maintenant, l’idée de plaire n’est plus du tout une préoccupation pour moi. Et à partir du moment où ce n’est plus une préoccupation de plaire, une détente s’installe, et le plaisir s’accroît. C’est très libérateur. »
Tout récemment, Monia Chokri a terminé le tournage du nouveau film de Géraldine Nakache.
« Un film très dur émotionnellement, mais très beau, qui s’appelle Si tu penses bien. J’y retrouve Niels [Schneider], que j’adore, 15 ans après Les amours imaginaires. »
On a déjà hâte.
Monia Chokri participera à un tête-à-tête avec l’acteur Nahuel Pérez Biscayart le 16 novembre. L’horaire des films Des preuves d’amour, Les enfants vont bien, Love Me Tender et Où vont les âmes est disponible sur le site de Cinemania.
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