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Une Québécoise abandonnée par la Victoire

Je vous ramène à la saison dernière. 

La Québécoise et gardienne de but Tricia Deguire participe au camp d’entraînement de la Victoire. Elle n’a pas joué la saison précédente à la suite d’une blessure, mais en est pleinement remise. Entre-temps, elle a travaillé avec le Phoenix de Sherbrooke dans la LHJMQ, devenant la deuxième femme à être derrière le banc d’une équipe junior majeur au Québec après la directrice générale de la Victoire, Danièle Sauvageau, en 1999.

Elle ne joue aucun match préparatoire et en fin de compte, on lui préfère l’Allemande Sandra Abstreiter et l’Ontarienne Elaine Chuli. Tricia retourne donc travailler en kinésiologie dans son coin de pays en Estrie.

Avec si peu de postes disponibles, il est difficile pour une gardienne de se trouver un emploi dans une ligue professionnelle, encore plus rendu à la fin du mois de novembre. Les équipes européennes ont déjà toutes leurs gardiennes et à moins d’une blessure, il n’y a pas d’autres options avantageuses.

Mais voilà qu’au mois de mars, Ann-Renée Desbiens se blesse et on décide de faire appel à Tricia, question d’avoir une gardienne de plus si une autre blessure survenait. Elle s’arrange donc avec son employeur et dépanne l’équipe pendant quelques semaines.

Au cours de l’été, elle reçoit une autre invitation au camp de la Victoire, qu’elle accepte. Avec le départ d’Elaine Chuli, tout semble en place pour que Tricia puisse finalement se joindre à l’équipe. On invite une autre gardienne, Megan Warrener, question d’avoir un peu de compétition au camp d’entraînement. Mais celle-ci arrive de jouer quatre saisons du côté de l’université du Connecticut avec qui elle n’a jamais été la gardienne numéro un.

Les chances de Tricia sont bonnes.

Un camp d’entraînement trop court

Lors du premier match préparatoire de la Victoire, Tricia est mandatée pour débuter le match. Face à Boston, elle ne fait face qu’à cinq lancers en une période de demie et accorde deux buts. Le premier à la suite d’une mauvaise communication avec sa joueuse de défense et le second, après une échappée.

Malgré cela, elle se fait dire par plusieurs personnes dans l’organisation qu’elle a fait un bon travail dans les circonstances. Cinq lancers, c’est peu, trop peu pour évaluer une gardienne. Warrener la remplace devant le filet et n’accorde aucun but en 10 lancers. Ça a beau être le double, 10 lancers ce n’est pas bien bien plus pour évaluer qui que ce soit.

Avec seulement deux matchs préparatoires, on ne les reverra plus devant le filet de la Victoire.

L’entraîneuse-cheffe Kori Cheverie mentionne en point de presse qu’on regarde plus que juste les deux matchs préparatoires. Mais la réalité c’est que deux matchs c’est peu. Pourquoi ne pas avoir plus que deux matchs préparatoires? Pourquoi ne pas faire des matchs intra-équipe? Pourquoi ne pas jouer contre des joueuses universitaires?

C’est donc au bout de trois entraînements sur glace avec la formation complète et de deux matchs préparatoires que les décisions doivent se prendre.

Pas d’options

Mardi après-midi, Tricia est convoquée à Montréal afin d’y rencontrer la direction.

C’est l’heure de vérité.

Et après une très courte rencontre avec Sauvageau, on annonce à Tricia qu’elle ne fera pas partie de l’équipe.

C’est une surprise pour Tricia et un mix d’émotions.

Sauvageau lui conseille de continuer à jouer. L’an prochain, deux à quatre équipes s’ajouteront à la ligue.

Mais jouer où?

Les saisons en Europe ont commencé il y a quelques mois déjà et les équipes sont pleines. En Amérique du Nord, il n’y a aucune autre possibilité de jouer professionnellement.

Alors il reste quoi? Les ligues de bière? Les ligues d’été dans six mois?

Est-ce que ça va vraiment faire une différence?

Un exemple à Vancouver

Vous allez me dire que Tricia n’a pas joué depuis deux ans, sa dernière saison remontant à 2022-23 avec la Force de Montréal dans la défunte PHF. Vous allez me dire qu’elle a 28 ans et qu’elle a été blessée. Vous allez me dire qu’elle a accordé deux buts en présaison.

Et je vous dirai «ouin pis?»

À Vancouver, une gardienne de 30 ans vient de signer avec l’équipe comme troisième gardienne de but. Kimberly Newell n’a pas joué depuis 2022, alors qu’elle a représenté la Chine aux Olympiques. Et en présaison, elle a joué 16 minutes, accordant un but en quatre lancers. Et de plus, elle est native de Burnaby, une banlieue à 20 minutes de Vancouver.

Ça ressemble drôlement à Tricia, non?

La différence est que les Goldeneyes n’ont pas eu peur d’y aller avec une locale, plus âgée, qui n’a pas joué depuis quelques saisons et qui a obtenu une fiche très similaire à Tricia en présaison.

Une occasion manquée pour les jeunes Québécoises

Ce n’est pas que je désire qu’on choisisse une Québécoise à tout prix.

Cependant, jamais une troisième gardienne de but n’a joué ne serait-ce qu’une seule seconde en deux saisons à Montréal. Les chances que Warrener joue cette année sont moins bonnes que celles d’Équipe Haïti de remporter la Coupe du Monde en 2026.

Alors, pourquoi ne pas donner le poste à une Québécoise, qui aurait pu faire des entrevues dans les deux langues officielles et qui aurait pu représenter l’équipe lors de certains événements?

Mais surtout, pourquoi ne pas donner le poste à une Québécoise qui aurait pu inspirer de jeunes filles du Québec?

Oui, il y a déjà Ann-Renée Desbiens. Oui, il y a sept autres Québécoises. Mais il n’y en aura jamais assez. Au total, seulement neuf Québécoises ont signé un contrat dans la LPHF, dont deux sur des équipes de réservistes.

Et je pense que la Victoire de Montréal, avec une direction qui se vante de promouvoir le hockey féminin local, a manqué une opportunité d’ajouter un modèle pour des dizaines de jeunes gardiennes de but en province et qui aurait pu voir en Tricia un exemple de persévérance à suivre.

À sa place, l’équipe aura une Ontarienne anglophone de 22 ans qui ne jouera pas de la saison, à qui les médias ne s’adresseront pas une seule fois, à qui les jeunes gardiennes d’ici ne s’identifieront pas et qui ne sera probablement plus avec l’équipe l’an prochain.

Minnesota priorise davantage la loyauté

Au même moment où Tricia a dépanné la Victoire la saison dernière, l’ancienne gardienne numéro trois de Montréal, la Néo-Brunswickoise Marlène Boissonneault, a signé un contrat de réserviste avec le Frost du Minnesota, une équipe qui a aussi démontré de l’intérêt pour Tricia.

Et je ne sais pas si c’est uniquement par loyauté et pour la remercier de les avoir dépannés la saison dernière, mais Boissonneault a signé un contrat régulier avec Minnesota cette saison.

Danièle Sauvageau m’a confirmé que le facteur francophone a été considéré pour Tricia. Et je suis pas mal sûr que si je lui avais posé la question sur les facteurs loyauté et redevance, elle m’aurait répondu la même chose.

Faut croire que ces facteurs n’ont pas la même importance dans son livre que dans le mien.

Et pendant que Boissonneault et Warrener vivront de leur sport, Tricia retournera travailler à Sherbrooke, se demandant si tous ces sacrifices et toutes ces déceptions valent la peine de continuer.

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