Ambiance d’enterrement à la manifestation de soutien à Nicolas Sarkozy

L’ambiance était lourde ce matin dans le 16e arrondissement de Paris. Il était à peine 8 heures qu’une grande procession se dirigeait déjà, silencieusement, vers la rue de la Source. Une ambiance d’enterrement, sans cercueil, mais avec un hommage pour un ancien président qui avait rendez-vous à la prison de la Santé une heure et demie plus tard.
Une grosse centaine de personnes a répondu à l’appel de Louis Sarkozy qui avait demandé aux fidèles de son père de venir le soutenir avant son incarcération après sa condamnation pour association de malfaiteurs au procès libyen. Si son avocat a déposé une demande de mise en liberté ce jour même, l’ancien président doit passer par la case prison dans le cadre d’une exécution provisoire décidée par le tribunal correctionnel de Paris.
« Nous assistons à la mort de la République »
Si la solennité règne dans la foule, une certaine tension se fait tout de même sentir. De très nombreuses personnes se refusent à nos questions. Parfois par timidité, souvent par défiance. « Nous assistons à la mort de la République. C’est la France qu’on met à genoux, et vous, les journalistes, êtes complices », nous assène un homme d’une cinquantaine d’années en nous toisant sous son Borsalino.
S’il préfère observer l’événement à distance, des dizaines de personnes s’agglutinent, elles, dans la rue Pierre-Guérin pour tenter d’apercevoir Nicolas Sarkozy ou un membre de sa famille, toujours dans l’immeuble qui fait face.
Un riverain descend la rue et rompt avec le calme ambiant en criant : « Pour Zyed et Bouna, Sarko en taule ! » La foule s’écarte pour le laisser passer non sans lui jeter quelques quolibets au visage. Un « connard » vole, suivi d’un « rentre chez toi » et d’un autre « va travailler fainéant » contradictoire. Pour lui répondre, une femme crie un « Nicolas ! Nicolas ! Nicolas ! » en frappant dans ses mains. Elle est reprise par une dizaine de personnes pendant quelques secondes.
Mediapart et les magistrats en ligne de mire
Sans grand enthousiasme toutefois. L’heure est trop grave. Et certaines personnalités qui remontent la foule ou répondent aux caméras attirent plus l’œil que son chant. Gérard Longuet est chaudement salué, Karl Olive attire l’attention en tentant tant bien que mal, et téléphone à l’oreille, de passer le cordon de sécurité. Il ne semble pas invité, ce qui fait sourire certains de ses voisins de pavé. Il faut dire que le dispositif de sécurité est important, plusieurs dizaines d’agents de polices, et presque autant de camions bouclent le quartier.
L’attente est un peu longue, d’autant que la rue, en léger faux plat montant ne permet pas de voir le pied de l’immeuble, aussi tout le monde se demande ce qui se passe. Et avec l’attente, les langues se délient. Une femme lance en direction des micros et objectifs un « Mediapart, Médiatrash » qui fait rire autour d’elle. Le média qui a enquêté pendant plus d’une dizaine d’années sur l’affaire libyenne est une des cibles privilégiées. « C’est un média de terroristes qui porte qui a corrompu des magistrats gauchistes pour faire tomber l’Etat », commente Pierre-Jean, retraité de 64 ans venu en voisin soutenir « le dernier grand président de la République ».
Pour lui, la justice est devenue politique et tente de « prendre le pouvoir ». « Pas la justice, les magistrats », corrige une femme à quelques mètres de lui. Pierre-Jean ne relève pas. Son opinion et celle de beaucoup présents ce matin est faite. C’est un coup monté. « La preuve c’est qu’il n’y en a pas. Les juges eux-mêmes ont dit que Nicolas Sarkozy est innocent. Ils n’ont aucune preuve mais ils voulaient quand même l’emprisonner », explique, les yeux exorbités Guillemine, 67 ans, qui omet les milliers de pages de l’enquête et les trois mois de procès.
Macron et Darmanin légitimisent la théorie du complot
L’argument qui revient le plus souvent reste l’exécution provisoire. « Ce n’est pas un homme dangereux, il n’a pas de preuve à détruire ou de témoins à soudoyer. Donc si on le met en prison alors qu’il fait appel, c’est bien que ce n’est que de l’acharnement », ajoute Guillemine qui oublie encore les cas Takkiedine ou du juge Azibert. « Et pendant ce temps-là, les juges font une haie d’honneur aux dealeurs et à ceux qui tuent », lance-t-elle comme pour conclure.
Une centaine de personnes s’est amassée devant l’immeuble en attendant Nicolas Sarkozy et ses proches. - R.Le Dourneuf / 20 Minutes
Dans sa théorie, elle est appuyée quelques instants plus tard par Arno Klarsfeld qui passe à un mètre et explique à des confrères qu’on « met un innocent en prison ». La preuve ? « Emmanuel Macron l’a reçu. Gérald Darmanin va aller le voir. Vous croyez que le président de la République et le ministre de la Justice s’engageraient de cette manière s’ils ne le savaient pas innocent ? » Et tant pis pour la séparation des pouvoirs.
La thèse du complot contre Nicolas Sarkozy et l’Etat français rencontre un succès fou dans la foule. « Un homme qui a sauvé des enfants innocents de Human Bomb, qui sont peut-être ici aujourd’hui d’ailleurs, un ancien président, vous croyez qu’il peut être capable d’une chose pareille ? », s’énerve une femme envers un contradicteur.
Une ambiance d’enterrement
Giada est de cet avis aussi. Mais cette Italienne, arrivée en France il y a vingt ans ne se permettra pas de commenter ou de discuter la décision de la justice. Elle n’est venue que pour soutenir l’ancien président et trouve dangereux de remettre en cause les institutions. Elle trouve quand même l’exécution provisoire exagérée : « Je pense qu’ils [les juges] ont voulu faire un exemple. Taper sur quelqu’un d’aussi important pour montrer qu’ils ont du pouvoir. Mais c’est dangereux et ça donne l’impression que la justice veut être toute-puissante dans le pays. »
Au moment même où elle parle, la foule s’agite. Nicolas Sarkozy est en train de sortir. À peine quelques saluts à la foule et il monte, sous les cris de soutiens, dans la voiture qui l’emmène vers sa nouvelle demeure de 9 m2 pour quelques semaines au moins. L’instant est extrêmement court et laisse place à la stupeur. Quelques-uns lâchent même des larmes et l’ambiance retombe soudainement, mortifère.
Retrouvez ici le dossier sur la condamnation de Nicolas Sarkozy
D’autant plus que les fils de l’ancien président, Louis et Jean, se tiennent au pied de l’immeuble. Le premier remercie les proches présents pendant que le second serre les mains de la foule amassée, comme on remercie les amis venus dire au revoir à un défunt.
Un homme d’une soixantaine d’années regarde la scène la rage au ventre. « À mon époque, les jeunes auraient forcé le barrage pour le libérer et l’exfiltrer », commente-t-il avant de lâcher ce que beaucoup ont sous-entendu jusque-là sans oser dire les mots : « En 44, les juges, il y en a un paquet qui aurait été fusillé par les résistants… »




