Casser la glace quant à la rémunération des médecins

Le gouvernement aurait très bien pu forcer les médecins à reprendre l’enseignement universitaire tout en poursuivant le débat sur le projet de loi 106 pendant encore quelques semaines, quitte à utiliser le bâillon avant l’ajournement des travaux parlementaires pour la période des Fêtes. Après deux petites de journées d’examen en commission parlementaires au début de juin dernier (à l’issue desquelles le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait déclaré qu’il restait beaucoup de travail à faire), le projet de loi est tombé dans les limbes, d’où il n’a jamais émergé.
Normalement, on utilise le bâillon parce que l’opposition pratique un blocage systématique qui n’est limité que par sa capacité d’imaginer de nouvelles manœuvres dilatoires. Or, elle n’avait encore rien fait de tel, même s’il était à prévoir que cela viendrait un jour.
Il en ressort que le gouvernement Legault n’a jamais cru qu’il pouvait y avoir là une base de règlement, et il n’avait pas tort. De la même façon qu’il avait fallu une loi spéciale pour mettre en place le régime d’assurance maladie en 1970, les médecins n’auraient jamais accepté volontairement que le principe de la rémunération en fonction de la performance soit inscrit dans un projet de loi.
Les fédérations médicales ont poussé des cris indignés, accusant le gouvernement de n’avoir jamais eu véritablement l’intention de négocier. Si elles entendent par là qu’il n’était pas question pour lui de reculer sur le principe, quitte à se montrer plus souple sur les modalités d’application, elles ont parfaitement raison. Peut-être ont-elles cru que le premier ministre Legault finirait par reculer, comme ses prédécesseurs l’ont fait pendant des décennies. Il est vrai que l’histoire donne souvent l’impression de se répéter, mais ce n’est pas une fatalité.
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Les effets pervers du mode de rémunération à l’acte sont bien documentés. On a calculé qu’une hausse de 10 % des tarifs se traduit par une baisse de 3,9 % du nombre d’actes médicaux. Au-delà des considérations budgétaires, il y a donc une logique à les geler jusqu’en 2028, comme le prévoit la loi spéciale. L’expérience démontre également que s’en remettre au bon vouloir des médecins pour augmenter la prise en charge de nouveaux patients ne donne pas les résultats espérés.
La question est de savoir si le remède causera plus de tort que le mal.
Ce n’est pas d’hier que les fédérations brandissent la menace d’un exode des médecins si on veut les contraindre. Gaétan Barrette était un spécialiste en matière de chantage quand il était président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), mais il ne semblait curieusement plus y croire une fois devenu ministre. Finalement, on n’a jamais su si le danger était réel, puisque les gouvernements ont toujours capitulé.
La loi spéciale prévoit des sanctions pour ceux qui voudraient s’exiler, mais on ne peut pas imposer la motivation ni empêcher qui que ce soit de prendre sa retraite. Il y aura assurément des départs, mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Après avoir perdu des semaines de cours ou de stage en raison du boycottage de l’enseignement universitaire, on a du mal à croire que les étudiants pourraient maintenant faire la grève — ou que 53 % de ceux qui disent envisager de quitter éventuellement le Québec, selon un sondage effectué par l’Association des étudiants en médecine de l’Université de Montréal, le feront réellement.
Même si la contestation judiciaire annoncée par la FMSQ n’est pas annonciatrice d’une grande collaboration, le gouvernement Legault fait le pari que la colère finira par retomber. Le sentiment d’injustice qui habite les médecins est cependant tel que cela demandera du temps, et c’est ce dont le gouvernement caquiste dispose le moins.
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Il était prévisible que les partis d’opposition déchirent leur chemise et votent contre la loi spéciale : cela fait partie des figures imposées du jeu parlementaire. Mais peu importe qui formera le prochain gouvernement, il ne reviendra pas à une rémunération inconditionnelle à l’acte. L’opposition ne témoignera publiquement pas de la moindre reconnaissance envers le gouvernement Legault, mais elle doit être ravie qu’il ait eu le courage de briser la glace, même si c’est parce qu’il n’avait plus rien à perdre.
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, l’a accusé d’avoir « bâclé le travail », mais pas d’avoir défriché le terrain. Si le dirigeant péquiste devient premier ministre, il pourra faire les corrections nécessaires à la lumière de ce « projet pilote » tout en accusant « l’ancien gouvernement » de l’avoir mal conçu.
Il est évident que la performance ne peut pas être évaluée en termes strictement quantitatifs, sans égard à la qualité des soins. La Presse rapportait vendredi qu’un haut fonctionnaire du ministère de la Santé et une médecin-conseil avaient été congédiés pour avoir posé trop de questions sur les conséquences du projet de loi 106.
Le temps manquait pour y répondre de manière adéquate, mais elles continueront à se poser. Il sera toujours temps de réembaucher les experts après les prochaines élections.




