« Appelez 1-800 Doug Ford » | Legault accuse Ford de lui « tirer dans le dos »

(Québec) La grande séduction lancée par le premier ministre de l’Ontario Doug Ford à l’endroit des médecins qui préparent leur exode a piqué au vif François Legault qui l’accuse de lui « tirer dans le dos » et d’avoir fait preuve d’un « manque de jugement total ».
Publié à 10 h 03
Mis à jour à 16 h 42
« Doug Ford a invité les médecins du Québec à déménager en Ontario. C’est totalement inacceptable. C’est un manque de jugement total », a pesté le premier ministre mercredi. « Et on le sait, on a tous des gros enjeux pour améliorer nos systèmes de santé dans toutes les provinces. Ce n’est pas le temps de se tirer dans le dos entre les provinces. C’est le temps de travailler ensemble », a-t-il ajouté.
François Legault a fait une déclaration – également en anglais – pour répondre à son vis-à-vis après le Conseil des ministres, mercredi. Il n’a pas répondu aux questions des journalistes, se limitant à affirmer « je ne comprends pas » avant de tourner les talons.
La colère gronde dans le milieu médical depuis l’adoption de la loi 2. Depuis le 1er octobre, 64 médecins ont demandé un permis de pratique en Ontario et 40 au Nouveau-Brunswick.
Or, à des kilomètres de l’Assemblée nationale, à Queen’s Park, Doug Ford leur déroule le tapis rouge.
« Appelez 1-800 Doug Ford ! Les médecins, venez nous voir, appelez-moi sur mon cellulaire ! […] On vous fera travailler très rapidement. J’adorerais voir des médecins, des infirmières, n’importe qui qui travaille dans le réseau de la santé, venez en Ontario, nous avons une communauté en pleine expansion », a lancé le premier ministre ontarien en mêlée de presse, mercredi.
Doug Ford a souligné à grands traits la « riche culture francophone » en Ontario et les efforts de la province pour former et embaucher de nouveaux médecins. « Ce sera la meilleure qualité de vie que vous n’avez jamais connue, nous vous déroulerons le tapis rouge », a-t-il ajouté.
PHOTO NATHAN DENETTE, LA PRESSE CANADIENNE
Doug Ford
Il y a quelque chose de particulier entre moi et les Québécois. Nous sommes connectés. Ils sont passionnés, ils sont battants. J’aime les Québécois ! Alors, venez nous voir et nous allons vous mettre en contact avec le système de santé. Nous avons besoin de médecins.
Doug Ford, premier ministre de l’Ontario
Ces déclarations surviennent alors que les médecins du Québec ne décolèrent pas depuis l’adoption sous bâillon de la loi 2 qui vient lier une partie de leur rémunération à des indicateurs de performance. Le texte législatif prévoit une série de sanctions, comme des pénalités financières et une réduction des années de pratique en cas d’infractions, pour les dissuader de se « désengager » du régime public.
Prendre du recul
Le ministre Christian Dubé leur demande de prendre « un petit peu de recul » avant de plier bagage. La loi 2 est incomprise, selon lui, et « l’objectif » n’est pas d’appliquer les sanctions prévues, a-t-il martelé mercredi.
La Presse rapportait mercredi le cas d’une médecin de famille de 40 ans qui pratique à la fois sur la Côte-Nord et dans la région de Québec et qui quittera la Québec pour aller pratiquer dans les Maritimes.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Christian Dubé
« Notre intention, ce n’est pas de donner des pénalités, c’est de s’assurer, et je le dis bien, qu’il n’y aura pas de mouvement massif. C’est important de le dire là, on n’est pas en train de vouloir museler les gens au contraire, on veut leur donner l’information pour qu’ils puissent agir », a plaidé le ministre de la Santé, Christian Dubé. Il les invite à prendre « un petit peu de recul » avant de prendre une décision finale.
Le premier ministre François Legault a assuré pour sa part que les analyses se feront « au cas par cas » pour déterminer s’il s’agit d’actions concertées ou non.
« Les articles qui sont prévus dans la loi 2 sont les mêmes articles qu’on avait en 1999 avec un gouvernement du PQ, en 2001 avec un gouvernement du PQ, en 2006 avec des spécialistes et un gouvernement libéral. Donc ce sont des articles normaux qu’on met dans des lois spéciales pour s’assurer qu’il n’y aura pas de concertation que c’est une action concertée », a expliqué M. Legault.
La président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le Dr Vincent Oliva a réagi à l’appel du M. Ford. « Au lieu d’avoir à gérer une ligne 1-800 Doug Ford, à quand une ligne 911-Legault. Il faut saisir l’urgence et retenir nos médecins chez nous », a-t-il affirmé.
Appel à tous
Les médecins ne décolèrent pas depuis l’adoption de la loi 2 qui change leur mode de rémunération, leur fixe des cibles de performance et les menaces de sanctions. Le gouvernement Legault plaide que cette loi est nécessaire pour améliorer l’accès aux soins de santé au Québec. Et vous, qu’en pensez-vous ?
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Selon le ministre Dubé, certains articles de la loi 2, qui interdit par exemple à des médecins « de participer ou de continuer de participer à toute action concertée » comme des moyens de pression, se retrouvent dans « une soixantaine » de lois spéciales. « On n’a pas inventé cette terminologie-là », a-t-il dit.
Les mesures qui prévoient « le suivi de l’assiduité et des services » des médecins, qui voudraient par exemple ralentir leur pratique en guise de représailles, doivent être mises en application par arrêté ministériel. Pour l’heure, le ministre explique que Santé Québec « suit très bien ce qui se passe dans le réseau » et que l’objectif est « de rétablir un climat de travail avec [les] médecins ».
« Restez »
Les partis d’oppositions demandent aux médecins d’attendre que la CAQ perde ses élections dans moins d’un an avant de prendre la décision drastique de quitter la province.
« On a besoin de vous, pour vous occuper de nos parents, de nos grands-parents, de nos enfants. Restez, parce qu’on a besoin de vous, le Québec a besoin de vous. Et, si vous pensez qu’il n’y a pas d’option, il y en a une option dans un an, lorsqu’on va remplacer le gouvernement Legault », a lancé le chef libéral Pablo Rodriguez.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Pablo Rodriguez
M. Rodriguez estime que la décision prise par certains professionnels de la santé est directement causée par l’imposition de la « loi matraque » de Christian Dubé.
Québec solidaire abonde. « Dans un an, et même un peu moins que ça, la CAQ ne sera vraisemblablement plus là. C’est le message que je leur envoie. Ne prenez pas de décision hâtive », a dit le porte-parole par intérim de QS, Guillaume Cliche-Rivard.
Le Parti québécois tient également ce discours : « Ne prenez pas de décision précipitée. Ça vient de se passer, dans la nuit de vendredi à samedi. Et à peu près tous les partis d’oppositions ont indiqué qu’ils voudraient apporter des modifications. C’est le cas de notre formation. […] Pensez aux patients », a lancé le député péquiste Pascal Paradis.
Le PQ a toutefois subi la foudre du PLQ et de QS, puise que son chef, Paul St-Pierre Plamondon, a affirmé qu’il souhaitait garder la loi s’il prend le pouvoir, en la modifiant.
« Un gouvernement du Parti québécois va conserver cette réforme-là, mais il va corriger les objectifs qui ne tiennent pas la route parce que le travail a été bâclé », a dit M. St-Pierre Plamondon lundi.
Avec Tommy Chouinard et Antoine Trépanier, La Presse
Recours judiciaire des étudiants en médecine
Après les médecins spécialistes, c’est au tour des étudiants en médecine du Québec d’entreprendre un recours judiciaire contre la loi 2 qui menacent, selon eux, leurs droits fondamentaux.
Dans un communiqué de presse, la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ) annonce qu’elle dépose aujourd’hui une demande de pourvoi en contrôle judiciaire et en sursis d’application de plusieurs articles de la loi 2.
« Selon l’interprétation, la loi permettrait au gouvernement d’imposer des amendes massives à des associations étudiantes ou à leurs représentants simplement pour avoir tenu des débats et fait des choix démocratiques sur des enjeux touchant la formation médicale, dénonce-t-elle. Même des étudiants individuels pourraient se voir muselés par le projet de loi, et s’exposer à des pénalités pour des propos tenus sur les réseaux sociaux, dans les médias ou en assemblée par exemple. »
La FMEQ affirme vouloir faire suspendre temporairement l’application d’articles de la loi 2 « qui menacent les droits à la liberté d’expression et la liberté d’association des étudiants en médecine ».
Marie-Eve Cousineau, La Presse



