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Loi 2 sur les médecins | Carmant part, Legault fonce

(Québec) Le départ de son ministre et ami proche Lionel Carmant n’ébranle pas François Legault qui fonce tête première dans sa réforme du mode de rémunération des médecins. Pas question non plus de jeter du lest sur les sanctions et la surveillance pour empêcher leur exode.


Publié à 9 h 39

Mis à jour à 14 h 17

Le ministre responsable des Services sociaux Lionel Carmant a démissionné jeudi de ses fonctions de ministre en plus de quitter le caucus de la CAQ pour siéger comme indépendant. Sa décision survient dans la foulée de l’adoption sous bâillon de la loi 2 et des critiques formulées publiquement par sa fille, la Dre Laurence Carmant, sur la controversée réforme du gouvernement Legault.

« Il n’est pas question de reculer sur le changement du mode de rémunération. Ça fait 25 ans minimum qu’on essaie de [le] changer. On n’ira pas retirer le projet de loi qui enfin vient changer », a assuré le premier ministre qui a tenu une mêlée de presse en après-midi.

François Legault a confirmé que Sonia Bélanger, qui était à l’Habitation, aura la responsabilité des Aînés-le portefeuille qu’elle détenait avant le remaniement de septembre-et des Services sociaux. La ministre Caroline Proulx cède les Aînés à sa collègue et hérite de l’Habitation.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Francois Legault et Lionel Carmant après l’annonce du départ du ministre de la CAQ

Le départ de Lionel Carmant qui est neurologue de formation a provoqué une onde de choc jeudi à l’Assemblée nationale. Plusieurs ministres et députés de toutes les banquettes ont été ébranlés par la décision du M. Carmant, un parlementaire apprécié de tous. Mais, cela tourne les projecteurs sur la réforme controversée pilotée par le ministre Christian Dubé.

Or, ce coup dur n’entraînera pas de réflexion profonde chez le premier ministre. Il garde le cap sur sa loi 2 qui vient lier une partie de la rémunération des médecins à des indicateurs de performance et leur imposer plusieurs sanctions s’ils se désengagent du régime public en guise de représailles.

Je m’attendais à ce que ça soit dur. Je m’attendais à ce que les médecins soient très émotifs et c’est ce qu’on voit actuellement. Mais, il faut à un moment donné laisser la poussière retomber.

François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault a répété que des articles de sa loi se retrouvent dans d’autres lois spéciales et qu’il n’est pas prévu de « ne pas couper d’un sou le budget global » aux médecins.

« Je choisis ma famille »

Lionel Carmant a fait le point sur son avenir politique jeudi matin lors d’une conférence de presse, accompagné du premier ministre.

« Après une réflexion sincère et beaucoup de discussions avec mes proches, j’ai pris la décision déchirante de quitter mes fonctions de ministre. Les dernières semaines ont été difficiles et m’amènent aujourd’hui à recentrer mes priorités. Je fais le choix de ma famille, la famille que nous avons construite, mon épouse et moi », a expliqué le ministre, avec calme.

« C’est sûrement pas facile de quitter le dossier qui me passionne, mais je crois que c’est la bonne décision pour moi et les miens. Cette décision n’est pas un renoncement, mais plutôt un choix de responsabilité. J’ai toujours cru que l’engagement politique devrait s’exercer avec équilibre, lucidité et honnêteté envers soi-même et envers les autres », a-t-il ajouté.

« Dans la vie, il faut toujours d’abord choisir sa famille. C’est ce que fait Lionel aujourd’hui. », a pour sa part affirmé M. Legault, ébranlé. Il a dit comprendre la décision de son ministre, qui est l’un des signataires du manifeste ayant mené à la création de la Coalition avenir Québec. Les deux hommes se sont fait une longue étreinte après l’annonce.

« Je peux vous dire Lionel Carmant, c’est un homme d’une valeur exceptionnelle, je le connais depuis longtemps et je connais sa famille et je comprends le déchirement qu’il vit actuellement avec sa famille », a déclaré M. Legault. « Je veux le remercier sincèrement d’avoir accepté mon invitation d’embarquer dans cette aventure un peu folle, un peu extrême qui est la politique », a-t-il ajouté.

Des critiques

Sa décision survient au lendemain de la publication d’une lettre au Devoir par sa fille, médecin spécialiste, qui s’en prend à la réforme du gouvernement Legault. La Dre Laurence Carmant affirmait dans sa lettre qu’elle n’aura « malheureusement d’autre choix que de partir pour une autre province » si le gouvernement québécois ne lui « permet pas de pratiquer librement ».

« Le ministre de la Santé, Christian Dubé, semble attribuer aux médecins le manque de productivité observé au Québec », écrit-elle. « Néanmoins, l’écart avec l’Ontario ne relève ni du manque de volonté ni de la paresse : c’est le symptôme d’un système profondément brisé. »

Christian Dubé, dont la réforme est directement liée au départ de M. Carmant, a limité ses commentaires. Il affirme qu’il a « beaucoup d’empathie » pour son ex-collègue. « Vous me laisserez digérer la nouvelle », a-t-il dit à l’entrée de la période de questions.

« Je suis très content de pouvoir l’avoir eu comme collègue pendant ses années. Les situations politiques ont souvent beaucoup d’impact sur nos familles. Moi j’ai vécu ça beaucoup durant la pandémie », a-t-il ajouté.

Un peu plus tôt cette semaine, M. Carmant avait émis des réserves quant à la loi 2 affirmant que des éléments du texte législatif « doivent être négociés ». « Il y avait des choses qui n’étaient pas claires dans la loi », a-t-il reconnu, sans spécifier ce à quoi il faisait référence.

Son cabinet a ensuite précisé qu’il faisait référence aux changements apportés à la rémunération de la télémédecine et au « supplément à la consultation », qui est aboli dans la loi 2.

Lionel Carmant avait également reconnu que cela n’était « pas facile à la maison » depuis l’adoption de la loi 2. « Ma femme est médecin, ma fille est médecin, elle commence sa pratique. Et elles sont fâchées », avait-il dit.

Concert d’éloges

Les réactions n’ont pas tardé à fuser. Du côté de la CAQ, les élus disent respecter le choix de M. Carmant, qui quitte le parti qu’il a contribué à fonder. « On perd un gros morceau, je lui souhaite de passer du temps avec sa famille », a dit l’ex-ministre François Bonnardel.

Le ministre de la Sécurité publique, Ian Lafrenière, est un voisin de circonscription. Il parle d’un « moment difficile » pour le parti. C’est un bon ami, un homme que j’apprécie énormément, un voisin, et avant tout on s’est lancé en politique ensemble en 2018 », a-t-il dit.

Le président du caucus, Yves Montigny, décrit un « collègue exceptionnel », d’un « humain formidable ». Son départ a créé « beaucoup de discussions » au sein de l’aile parlementaire caquiste. Mais il dit comprendre le départ. « On l’aime vraiment beaucoup Lionel », a-t-il dit.

Du côté des députés d’oppositions, il y avait des éloges pour M. Carmant. « Je veux saluer l’homme, la droiture, le courage, et son esprit de grande collaboration », a dit l’élu solidaire Vincent Marissal. Le libéral André Fortin a renchéri : « Il fait de la politique pour les bonnes raisons », a-t-il résumé. « Lionel a longtemps été ministre pour des dossiers dont j’étais porte-parole, c’est quelqu’un qui a offert ses talents, son expertise aux Québécois pour les bonnes raisons et je sais qu’il fait face à des choix déchirants au cours des dernières semaines », a ajouté M. Fortin.

Lionel Carmant a été chargé notamment de la mise en œuvre des recommandations de la commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dite commission Laurent, mise en branle après la mort de la « fillette de Granby ».

PHOTO PASCAL RATTHE, ARCHIVES LA PRESSE

Lionel Carmant

Neuropédiatre de formation, M. Carmant a défendu les couleurs de la CAQ dans Taillon pour la première fois en 2018. Il est l’un des signataires du manifeste de la CAQ au moment de sa fondation, en 2011. Comme ministre, il a parfois eu l’air dépassé face à la crise de l’itinérance, et les ratés à la DPJ. Il a procédé à la création du poste de commissaire au bien-être et aux droits des enfants en 2024.

Depuis 2016, La Presse demande aux députés de l’Assemblée nationale qui, parmi leurs pairs, s’est démarqué. En 2024, M. Carmant a été choisi par ses pairs de toutes les formations politiques comme le ministre le plus apprécié du gouvernement. Il avait eu les mêmes honneurs en 2023.

Avec Marie-Eve Cousineau, La Presse

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