« J’avais des options » en cas de courte victoire du Oui, dit Jean Chrétien

(Ottawa) L’ancien premier ministre Jean Chrétien demeure convaincu que le camp du Oui a sciemment posé une question « ambigüe » aux Québécois lors du référendum de 1995 dans le but de semer la confusion et d’augmenter ses chances de remporter la victoire.
Publié à 5 h 00
Jamais, au grand jamais, l’option souverainiste menée par Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Mario Dumont n’aurait récolté 49,42 % des voix si on avait formulé une question claire et sans équivoque, estime M. Chrétien. Seulement 54 288 voix séparaient le camp du Non (50,58 %) du camp du Oui, le soir du vote.
Trente ans plus tard, M. Chrétien lève aussi le voile sur les options auxquelles il aurait pu avoir recours au lendemain d’une courte victoire du Oui au référendum du 30 octobre 1995.
Dans une entrevue accordée à La Presse pour le 30e anniversaire de ce vote qui a marqué un tournant dans les relations fédérales-provinciales et mis à rude épreuve l’unité du pays, l’ancien premier ministre explique qu’il aurait pu déclencher rapidement un autre référendum au Québec afin d’établir hors de tout doute l’appétit réel des Québécois pour l’indépendance. Et la question de ce référendum organisé par Ottawa aurait été limpide.
« On a gagné. Le problème, c’est que les séparatistes voulaient cacher la vérité. […] Même s’ils avaient gagné par la peau des fesses, une des options que j’avais, c’est que j’avais le droit de faire un référendum moi aussi. Pensez-vous que la police provinciale nous aurait arrêtés ? La question aurait été : “Voulez-vous vous séparer, oui ou non ?” Savez-vous ce qui serait arrivé ? Le Parti québécois l’aurait boycotté, et on aurait eu 95 % des votes », affirme-t-il, tout en se remémorant chacun des moments importants de cette campagne référendaire.
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Rassemblement du camp du Non, auquel a participé Jean Chrétien, le 24 octobre 1995
« Et s’ils s’étaient battus contre [le référendum fédéral], on aurait gagné quand même facilement. C’est pourquoi je n’étais pas aussi nerveux que les gens pensaient. Je ne voulais pas perdre. J’avais des options. Il y a toujours des solutions. Quand il y a un problème, c’est parce qu’il y a une solution. Il faut la trouver », avance-t-il aussi dans son langage coloré qui a toujours été sa marque de commerce.
Une autre option aurait été de refuser toute négociation ou encore de faire pression sur les alliés du Canada pour qu’ils ne reconnaissent pas l’indépendance du Québec après un vote aussi serré.
Bloquer toute démarche sécessionniste
Quelques jours après la courte victoire du Non, en 1995, M. Chrétien avait fait savoir que si le camp souverainiste l’avait remporté avec une mince majorité, il aurait bloqué toute démarche sécessionniste du Québec. Mais il n’avait jamais rien dit, du moins publiquement, sur la possibilité d’organiser un référendum fédéral dans la province pour faire échec au mouvement souverainiste.
La question référendaire retenue par le gouvernement péquiste de Jacques Parizeau, au terme de tractations impliquant Lucien Bouchard, alors chef du Bloc québécois à Ottawa, et Mario Dumont, qui était chef de l’Action démocratique du Québec, proposait un partenariat au reste du Canada.
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Rassemblement du camp du Non à Montréal, le 30 octobre 1995
La question référendaire était la suivante : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995 ? »
Selon Jean Chrétien, cette question a mené des Québécois fédéralistes à voter Oui parce qu’ils croyaient qu’ils pourraient ainsi obtenir des changements constitutionnels sans provoquer une rupture.
Dans un discours à la nation, cinq jours avant le vote, le 25 octobre, M. Chrétien avait toutefois mis en garde les Québécois. « Ce n’est pas seulement l’avenir du Québec qui se décidera lundi, c’est également celui de tout le Canada. C’est une décision sérieuse et irréversible aux conséquences imprévisibles et incalculables. Un Oui mène à la destruction irréversible de l’union économique et politique que nous avons actuellement, rien de plus », avait-il déclaré sur un ton solennel.
La campagne référendaire a été marquée par plusieurs rebondissements. Au départ, le camp du Oui était mené par le premier ministre du Québec, Jacques Parizeau. Les appuis à la cause souverainiste stagnaient. Mais l’allure de la campagne a changé du tout au tout quand M. Parizeau a annoncé qu’il nommait Lucien Bouchard comme négociateur en chef en cas de victoire.
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Jacques Parizeau et Lucien Bouchard lors d’un rassemblement du camp du Oui à Québec, le 22 octobre 1995
Pour Jean Chrétien, il est évident que cela a changé la donne. Et qu’il a dû lui-même s’impliquer davantage dans la campagne. « Lucien Bouchard avait perdu une jambe et les gens pensaient qu’il avait été miraculé pour faire l’indépendance du Québec. Et c’est difficile de faire campagne contre le bon Dieu », laisse-t-il tomber.
Nouvelles règles
À la suite de ce référendum, le gouvernement de Jean Chrétien a décidé d’imposer de nouvelles règles en adoptant la « loi sur la clarté ».
En entrevue, l’ancien premier ministre affirme que l’époque des questions « ambiguës » comme celle de 1995 est révolue. Il se permet d’ailleurs d’offrir un conseil au chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon. Il aurait avantage à relire cette loi fédérale attentivement s’il remporte la victoire aux élections prévues l’an prochain et qu’il choisit de tenir un troisième référendum sur la souveraineté, malgré les sondages défavorables.
M. Chrétien affirme que ce conseil s’applique aussi à la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, qui pourrait tenir un référendum sur l’avenir de sa province en 2026.
« J’espère que le chef du Parti québécois et la première ministre de l’Alberta vont lire la loi sur la clarté. Ce n’est pas facile. Il y a quelques petites montagnes à surmonter », soutient-il, sourire en coin. « Le Parlement [du Canada] doit approuver la question. »
Entre autres choses, cette loi indique que, dans les 30 jours après le dévoilement du texte de la question qu’un gouvernement d’une province veut soumettre à ses électeurs dans le cadre d’un référendum sur un projet de sécession, la Chambre des communes du Canada doit déterminer, par l’adoption d’une résolution, « si la question est claire ».
Cette même loi prévoit aussi que « le gouvernement du Canada n’engage aucune négociation sur les conditions auxquelles une province pourrait cesser de faire partie du Canada si la Chambre des communes conclut, conformément au présent article, que la question référendaire n’est pas claire et, par conséquent, ne permettrait pas à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada ».
M. Chrétien n’entend pas souligner le 30e anniversaire du référendum. « Je ne vais pas célébrer. C’est terrible de faire des référendums. Ça divise tout le monde. Je connais des amis dont les familles ne se sont jamais replâtrées de ça. »



