Saint-Basile-le-Grand | Les Hells Angels érigent un monument peu catholique en plein cimetière

La hiérarchie de l’Église a autorisé l’érection d’un monument très peu catholique en l’honneur des Hells Angels au cimetière de Saint-Basile-le-Grand, malgré l’opposition de fidèles qui refusaient cet honneur à l’organisation criminelle, a appris La Presse. Depuis l’apparition de l’imposante stèle des motards la semaine dernière, le diable est aux vaches dans le diocèse.
Publié à 5 h 00
Le monument est impossible à manquer, avant même de franchir le portail de fer du cimetière montérégien qui entoure l’église patrimoniale achevée en 1876. Une grosse tête de mort ailée, flanquée de l’inscription HELLS ANGELS MC SOUTH, en référence à la section du club de motards qui contrôle le trafic de drogue dans un vaste territoire en Montérégie. La colle est encore fraîche sur le monument. Deux attaches de plastique temporaires maintiennent en place ses différents morceaux.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
Le monument érigé en l’honneur des Hells Angels au cimetière de Saint-Basile-le-Grand
« Ça n’a pas d’allure », laisse tomber une source paroissiale, qui s’est exprimée sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles. « C’est de l’intimidation », renchérit une deuxième source locale, qui a demandé à taire son nom pour les mêmes raisons.
Selon nos informations, des gens ont même menacé de quitter leur poste en raison de leur désaccord. La Presse n’a pas été en mesure de confirmer s’ils avaient mis cette menace à exécution.
Le nom d’aucun motard n’est gravé dans la pierre pour l’instant. La section « South » des Hells Angels possède un lot à cet endroit depuis des décennies, mais vient tout juste d’y installer le monument frappé de son nom et de son logo la semaine dernière. C’est la seule pierre tombale du cimetière qui porte le nom d’une organisation plutôt que d’une famille.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
Le cimetière de Saint-Basile-le-Grand
Des plans ont dû être soumis au préalable à la fabrique de la paroisse Saint-Basile-le-Grand, qui a consulté des personnes de la hiérarchie au diocèse de Saint-Jean–Longueuil, étant donné le malaise suscité par le projet. Un entrepreneur de pompes funèbres a estimé lundi le coût d’une telle structure de 3,5 mètres sur 1,5 mètre à environ 15 000 $ avant les taxes.
Selon nos sources, la recommandation d’accepter le monument a été formulée à un niveau de la hiérarchie diocésaine plus élevé que celui du curé de la paroisse, Frédéric Bakala. Ce dernier n’était pas disponible lundi pour commenter le sujet. Plusieurs intervenants à l’interne auraient manifesté leur désaccord.
L’évêque Claude Hamelin, en voyage à l’étranger, n’était pas non plus disponible pour réagir lundi. Le diocèse nous a toutefois confirmé que le règlement du cimetière, mis à jour en 2022, permet de retirer un ouvrage funéraire qui ne respecterait pas « le rite catholique romain » ou « le caractère spécifique des lieux ».
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
Le monument des Hells Angels représente la seule pierre tombale du cimetière qui porte le nom d’une organisation plutôt que d’une famille.
« La Fabrique a donc des recours pour faire valoir son droit si elle considère l’ouvrage non conforme », affirme Yvon Métras, secrétaire général du diocèse.
« C’est rire des victimes »
« Ils ont donné combien d’argent au cimetière ? », lance avec colère Michèle Bessette-Laforest.
Il y a 25 ans presque jour pour jour, son fils Francis Laforest, tenancier de bar à Terrebonne, a été battu à mort en pleine rue, à coups de bâtons de baseball. Il avait souvent expulsé de son établissement des revendeurs de drogue liés aux Hells Angels. La police a arrêté des motards en lien avec sa mort, mais ils n’ont pu être accusés, faute de preuves suffisantes.
« On n’en voulait pas, de drogue, dans notre place. C’était à eux d’aller faire leurs affaires ailleurs. Mon fils n’avait pas peur d’eux autres. Il s’est tenu debout devant ces lâches-là », relate-t-elle, la voix encore pleine de rage.
PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE
Un mémorial improvisé devant le Bistro McTavish en hommage à Francis Laforest, le 23 octobre 2000
Elle n’arrive pas à comprendre que l’Église permette d’afficher les couleurs du club au cimetière. « C’est encore rire des victimes », laisse-t-elle tomber.
Qu’ils achètent donc un terrain au cimetière pour les victimes innocentes qu’ils ont tuées. Pas pour les criminels, parce que ça ne me dérange pas quand ils s’entretuent entre eux. Mais pour les personnes innocentes qui n’ont rien demandé et qui veulent juste rouler leur business comme elles veulent !
Michèle Bessette-Laforest
Le ministre de la Sécurité publique, Ian Lafrenière, était aussi choqué lorsque La Presse l’a informé de l’affaire. Il se réjouit toutefois de voir que des citoyens ont fait part de leur désaccord.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
L’église catholique Saint-Basile-le-Grand, située rue Principale
« De voir un tel monument, je trouve cela déplacé. Cependant, ce qui me rassure, c’est de voir la réaction de la communauté », a-t-il déclaré.
« Ça démontre à nouveau que ceux qui pourrissent la vie de nos communautés ne se cachent plus. Ça démontre aussi que notre gouvernement est à la bonne place en faisant de la sécurité et de la loi et l’ordre une priorité », a-t-il ajouté. Le Journal de Montréal rapportait récemment que M. Lafrenière cherche une façon d’interdire aux Hells Angels d’afficher leur emblème en public.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Les Hells Angels sont arrivés au Québec dans les années 1970.
Depuis son arrivée au Québec en 1977, l’organisation des Hells Angels traîne une longue et sanglante feuille de route : massacre de Lennoxville en 1985, guerre pour le contrôle des stupéfiants qui a fait plus de 160 morts entre 1994 et 2002, explosion d’une bombe qui a tué un enfant de 11 ans dans Hochelaga-Maisonneuve en 1995, assassinat de deux gardiens de prison en 1997, tentative de meurtre contre le journaliste Michel Auger en 2000, intimidation dans l’industrie de la construction au tournant des années 2010. Encore le mois dernier, un membre du club a été accusé du meurtre de la mère d’un membre de gang rival de la région de Québec.
À première vue, l’iconographie du groupe a peu pour plaire aux autorités ecclésiastiques. La bande se réclame de l’enfer, alors que ses clubs-écoles et ses clubs de supporteurs québécois portent des noms évocateurs comme les Red Devils, les Satan’s Crew, les Dark Souls ou les Devils Ghosts.
Un long débat au sein de l’Église
La façon d’accueillir les membres du crime organisé fait rage depuis longtemps au sein d’une Église qui se targue de favoriser la rédemption. Dans le Nouveau Testament, Jésus est présenté comme un prophète qui tend la main aux gens même s’ils mènent une mauvaise vie qui les a placés au ban de la société.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Des Hells Angels portant le cercueil de Kenny Bedard lors de ses funérailles en août 2016
Au cours des années 1990, alors que les grandes processions funéraires de motards se multipliaient, en raison de la guerre qui faisait rage entre les Hells et leurs ennemis des Rock Machine, plusieurs religieux avaient insisté sur l’importance d’accueillir tous les fidèles, même les criminels.
« Ce n’est pas mon rôle d’envoyer quiconque en enfer, pas plus que de le canoniser, d’ailleurs. Personne ne doit juger au nom de Dieu », avait ainsi déclaré le curé Bernard Signori à La Presse au moment des funérailles du motard Renaud Jomphe, en 1996.
« Qui suis-je pour dire qu’il a commis de trop gros péchés ? Ce n’est pas cela qui m’est demandé et il appartient à Dieu le Père de décider ce qu’il fera de lui. L’Église des purs, moi, je n’y crois pas », avait déclaré Bruno Verret, de Limoilou, en entrevue au Soleil lors des funérailles du Hells Angel Richard Émond.
Il est toutefois arrivé que des hommes d’Église se montrent plus sévères. En 2002, le diocèse de Brooklyn avait accepté que le célèbre chef mafieux John Gotti reçoive une sépulture dans un cimetière catholique, mais refusé qu’une messe soit dite en son honneur. En 2014, lors d’un discours prononcé en Italie, le pape François avait quant à lui déclaré que « ceux qui, dans leur vie, suivent cette voie du mal, comme les mafieux, ne sont pas en communion avec Dieu : ils sont excommuniés ! »
Un porte-parole du Vatican avait ensuite précisé que cette déclaration n’avait pas de valeur légale.




