Politique d’immigration | Ottawa entreprend un virage majeur

Ottawa prévoit une réduction de près de la moitié du nombre de travailleurs étrangers et d’étudiants internationaux d’ici 2027. Un virage majeur pour freiner la pression sur le logement et remettre un peu d’ordre dans le système d’accueil. Voici ce qu’il faut savoir.
Publié à 5 h 00
Le gouvernement réduit-il vraiment les seuils d’immigration ?
Oui. Ottawa rompt avec la trajectoire de hausses des dernières années. À partir de 2026, les admissions de résidents permanents seront plafonnées à 380 000 par année (contre 395 000 cette année) et resteront à ce niveau jusqu’en 2028. En parallèle, le nombre des résidents temporaires (travailleurs étrangers et étudiants) passera de 673 650 en 2025 à 385 000 en 2026, puis à 370 000 en 2027 et 2028. Le fédéral veut ramener la part des immigrants temporaires sous 5 % de la population canadienne d’ici la fin de 2027, et celle des permanents sous 1 % après 2027.
Pourquoi ce virage ?
Parce que le système est jugé hors de contrôle. Les flux d’étudiants et de travailleurs temporaires ont explosé depuis 2021, aggravant la pénurie de logements et la pression sur les services publics. Ottawa parle d’un retour à une immigration « claire, cohérente et en contrôle » dans son budget. Objectif : stabiliser la démographie, réduire les déséquilibres régionaux et recentrer l’immigration sur les besoins économiques. « C’est drastique », commente Me Krishna Gagné, avocate spécialisée en immigration. « On ne sait s’il va y avoir une transition qui va permettre aux entreprises de survivre à ce coup de hache. On a besoin de détails, de prévisibilité et d’un plan. »
Les travailleurs étrangers temporaires seront-ils toujours les bienvenus ?
Le plan des niveaux d’immigration 2026-2028 tiendra compte des industries et des secteurs touchés par les droits de douane, ainsi que des besoins propres aux communautés rurales et éloignées.
Les admissions économiques seront-elles touchées ?
Oui. Leur part augmente. Les immigrants admis pour des motifs économiques passeront de 59 % à 64 % du total des nouveaux résidents permanents d’ici 2028. Le fédéral veut privilégier les candidats hautement qualifiés, capables de pallier des pénuries dans la santé, la construction et les technologies.
Et pour les réfugiés ?
Le budget prévoit une « initiative unique » visant à accorder le statut de résident permanent à 115 000 réfugiés reconnus au Canada en 2026 et 2027, pour accélérer leur intégration et leur accès à la citoyenneté. « La grande question, ça va être : est-ce que les réfugiés au Québec – on sait qu’il y en a autour de 50 000 qui attendent la résidence permanente – vont pouvoir bénéficier de ça aussi ? », demande Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). « C’est ça qui nous inquiète. »
Y a-t-il des mesures de régularisation ?
Une mesure ponctuelle permettra à un maximum de 33 000 titulaires d’un permis de travail de devenir résidents permanents. Ces travailleurs sont des personnes déjà intégrées, qui paient de l’impôt et qui comblent des besoins critiques dans certains secteurs.
Qu’en est-il des étudiants étrangers ?
Ottawa réduit fortement les nouveaux permis. Le nombre de permis de travail passera de 230 000 en 2026 à 220 000 les deux années suivantes, tandis que celui des permis d’études passera de 155 000 à 150 000. Le fédéral veut se concentrer sur les secteurs en véritable manque de main-d’œuvre et limiter les programmes d’accueil jugés excessifs.
Y a-t-il des investissements liés à ce virage ?
Oui. Trois priorités se dégagent. D’abord, un fonds d’action de 97 millions sur cinq ans pour accélérer la reconnaissance des compétences étrangères. Ensuite, 1,7 milliard pour attirer des talents internationaux. Enfin, un renforcement d’Immigration Canada doit permettre d’accélérer le traitement des demandes.
Est-ce un changement de philosophie ?
Oui. Le Canada passe d’une logique de croissance démographique rapide à une approche de croissance maîtrisée et sélective. Le discours du budget lie désormais immigration, productivité, souveraineté économique et sécurité nationale. « C’était une erreur de monter à 500 000 immigrants permanents au cours des deux dernières années. C’est ce qui a créé une certaine déstabilisation », explique Me Patrice Brunet, qui se spécialise dans l’immigration.
Qu’en est-il de l’immigration francophone hors Québec ?
Ottawa fixe une cible de 10,5 % de résidents permanents francophones établis à l’extérieur du Québec d’ici 2028, contre 9 % en 2026. Le gouvernement mise sur un recrutement accru dans les pays d’Afrique francophone et sur l’élargissement des services d’accueil et d’intégration en français.




