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«In-I In Motion»: Juliette Binoche, ou le charme de la nouveauté

En 2008, l’actrice Juliette Binoche dévoila un nouveau volet de sa palette artistique par l’entremise du spectacle de danse-théâtre In-I, cocréé avec le danseur-chorégraphe Akram Khan. Pour la star lauréate d’un Oscar, d’un César, d’un prix d’interprétation à Cannes et de quantité d’autres lauriers, cela revenait à sortir de sa zone de confort. En une intéressante mise en abyme, voici que Juliette Binoche se frotte à nouveau à l’inconnu en 2025, à l’occasion d’un premier documentaire, revenant sur ledit spectacle. Le résultat, In-I In Motion, présenté à Cinemania, donne un accès privilégié au processus créatif ayant mené à l’œuvre, montrée ensuite en entier. On en a discuté avec la principale intéressée.

Plusieurs années ont beau séparer In-I et son « making-of », le projet sommeillait dans l’esprit de Juliette Binoche depuis longtemps.

« L’ennui, c’est que je manquais de temps, parce que je tourne trop », lance la vedette de Rendez-vous, Bleu, The English Patient (Le patient anglais), Copie conforme, Caché, et Un beau soleil intérieur.

« J’avais les cassettes qu’avait tournées ma sœur [la photographe de plateau Marion Stalens] des sept dernières représentations, ainsi que toutes les cassettes de répétition, parce que personne ne les voulait. Je ne savais pas, à l’époque, que j’allais en tirer un documentaire. Je savais en revanche qu’à un moment donné, je voudrais monter les images du spectacle. »

La décision d’incorporer toutes les discussions, expérimentations et répétitions survenues en amont, vint plus tard, mais de manière très naturelle, puisque cela correspond à la nature curieuse de Juliette Binoche.

« En général, le processus de création, c’est ce qui m’intéresse le plus. J’ai toujours envie de voir derrière le rideau comment ça se passe et comment ça arrive ; comment c’est écrit et conçu. C’est comme un peintre qui peint : j’ai envie de voir comment il applique la couleur. Est-ce qu’il commence par dessiner, est-ce qu’il y va direct ? J’ai ce côté petite souris. Et c’est pour ça que j’ai fini par m’accorder le temps nécessaire pour me plonger dans ce matériel-là. »

Quitte à moins tourner comme actrice dans l’intervalle.

Tout part de la sensation

Pour autant, Juliette Binoche commença par assembler le spectacle, qui constitue la seconde partie du documentaire, à partir des différentes captations.

« J’ai monté ce volet-là d’une façon assez rapide, parce que je connaissais les mouvements, donc il y avait quelque chose d’évident pour moi de couper là, ou là, et d’y aller avec assurance. Ça a d’ailleurs a un peu surpris ma monteuse, cette assurance, parce que je n’avais jamais vraiment monté auparavant. »

En définitive, Juliette Binoche travailla avec trois personnes différentes au montage.

« Au fur et à mesure du travail, ils avaient d’autres films pour lesquels ils avaient été engagés avant de commencer avec moi. Ça a par conséquent été un long temps de travail, mais qui m’a permis d’apprendre à vraiment faire confiance à mon intuition, et à sentir aussi ce qui me paraissait juste. Finalement, ça part toujours du même endroit : c’est pour ça que j’ai commencé le documentaire sur Susan Batson [la coach de jeu] qui parle de la sensation. Le montage, ça part de la sensation, diriger, ça part de la sensation, peindre, ça part de la sensation, écrire… Si on est vraiment en relation avec un ressenti, la forme qui émerge de cette sensation est toujours vraie. »

En compulsant toutes ces heures d’archives audiovisuelles détaillant les origines d’In-I, Juliette Binoche fut mûre pour quelques surprises.

« J’avais un regard neuf. Je ne savais pas ce que j’allais trouver sur ces cassettes. »

Grandir, se transformer

Il n’empêche, lorsqu’on s’apprête à livrer au regard du public cette étape cruciale faite d’essais et, forcément, d’erreurs, ne se sent-on pas un peu vulnérable ?

« Non, parce que, quand on est acteur, actrice, on ne peut pas avoir peur du ridicule. Sinon, on n’ose pas. Et je suis ridicule plusieurs fois dans le film, et ça n’a pas d’importance. Il faut prendre des risques et avoir une humilité, une vraie humilité, afin d’apprendre quelque chose de nouveau. Si on ne commence pas avec ces premiers pas d’humilité, on ne peut pas grandir, on ne peut pas se transformer. Donc, c’était nécessaire de montrer ces premiers pas-là. »

Nécessaire de montrer les tâtonnements, les essais non concluants…

« L’idée du documentaire, c’est de présenter des gens qui osent faire quelque chose qu’ils n’ont jamais fait, mais dont ils ont toujours rêvé. »

C’est-à-dire une actrice qui se réinvente danseuse, et un danseur-chorégraphe qui se réinvente acteur.

« Il n’y a rien de mieux pour un film que de proposer aux gens de vivre quelque chose de nouveau. J’aime l’idée d’aller vers quelque chose de nouveau que je découvre en lisant un scénario. Lorsqu’il y a ce moment où, tout d’un coup, je me dis : « Waouh ! J’ai envie de plonger là-dedans, j’ai envie d’essayer ça ! » Il y a alors quelque chose qui s’allume en moi. »

Ne pas se soumettre

Toujours dans cette optique de soif de nouveauté, la volonté de s’initier à la danse puis, des années plus tard, celle de réaliser un documentaire, émanaient-elles du même genre de pulsion créatrice ?

« Bien honnêtement, je l’ignore. Ce que je peux dire, par rapport à la danse, c’est que j’ai dit oui à Akram sans penser aux conséquences. Pour moi, c’était dire oui à la vie, dire oui à quelque chose de nouveau sans trop savoir ce que ça allait être. »

Marquant une courte pause, Juliette Binoche esquisse ce sourire qui a l’heur d’éclairer davantage son visage légendairement lumineux.

« Akram devait penser dans sa tête : “Je vais la chorégraphier.” Là, j’ai dit non. Car j’ai en moi ce désir de liberté, et aussi un peu d’orgueil, certainement, dans ce cas-ci à vouloir trouver mon propre mouvement. Et cet orgueil m’a permis d’avoir une légitimité, de pouvoir être créatrice, et non exécutrice. C’est important de savoir regarder en soi le créateur ou la créatrice, et de ne pas se plier. C’est comme les acteurs qui se soumettent au metteur en scène, qui obéissent comme des soldats. Je l’ai fait, moi, comme jeune actrice. Parce que je pensais que me soumettre, ça me permettait de me faire aimer, d’être acceptée. Je me soumettais à moi-même, finalement. On peut être créateur en tant qu’acteur, tout en étant à l’écoute de ce que le metteur en scène voit de son côté. Il faut garder sa conviction, sa vérité. »

Deux partenaires

Le spectacle devint ainsi une authentique co-création, l’œuvre de deux partenaires. Et c’est aussi à la naissance de cette collaboration, que l’on assiste dans le documentaire.

Un documentaire qui, il appert, a donné la piqûre à Juliette Binoche. « J’aimerais bien continuer, oui. Mais ça implique de dire non à des choses — je reçois beaucoup de demandes. Ça consistera à savoir mettre de côté ce qui pourrait m’empêcher d’entreprendre un projet, un film… »

C’est la grâce qu’on lui souhaite, évidemment. Quoiqu’à la perspective de la voir dans moins de films, il est impossible de ne pas ressentir comme un petit pincement.

Le film In-I In Motion est projeté jeudi à Cinemania. Vendredi, Juliette Binoche participera à une classe de maître animée par Marc Cassivi et Catherine Beauchamp à l’Usine C.

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