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Monia Chokri : « Montrer le quotidien simple d’un couple queer, c’est déjà un acte politique »

Consacrée comme réalisatrice avec Simple comme Sylvain, qu’elle présentait à Cannes deux ans plus tôt, Monia Chokri était de retour sur la Croisette cette année avec les présentations de deux longs métrages très attendus et appréciés de la rédaction : l’un à la Semaine de la Critique, Des preuves d’amour d’Alice Douard, et l’autre à Un Certain Regard, Love Me Tender d’Anna Cazenave Cambet. Deux œuvres qui, chacune à leur manière, interrogent la place du couple (lesbien) et la manière de filmer la tendresse entre femmes. Rencontre avec une artiste pour qui la bienveillance, sur un plateau comme dans la vie, est une ligne de conduite.

Il y a deux ans, vous aviez introduit votre film avec un discours fort et mémorable, une véritable ode à la bienveillance sur les plateaux de tournage, dénonçant tout ce que l’on excuse encore sur l’autel du génie. Aujourd’hui, on retrouve cette attention à l’humain dans vos choix de rôles et de collaborations.

Monia Chokri : Absolument. Je ne suis pas tellement abonnée à la folie. Je peux refuser des projets ou ne pas vouloir travailler avec certains acteurs, même si je les trouve extraordinaires, parce que je sais que c’est trop compliqué, qu’il y a de la violence. La bienveillance ne s’inscrit pas que dans les gens qui hurlent sur un plateau. C’est aussi comment on est conscient du monde qui nous entoure. Certains acteurs semblent oublier qu’ils sont dans un privilège. Il y a des glissements de comportement, parfois minimes, mais moi j’y suis trop sensible. Ça me fragilise trop pour avoir envie de les encaisser dans le travail, peu importe le talent.

Ce mythe de la rivalité féminine me fait rire : les premières qui m’ont tendu la main, ce sont des femmes cinéastes.

Pour moi, la première qualité, c’est l’humain : est-ce que cette personne me convient, me met à l’aise ? Est-ce qu’il y a une communication ? Et se souvenir que c’est un métier de privilégié : pour avoir le privilège de l’exercer, il faut avoir la reconnaissance de l’autre. Je l’avais dit à l’époque de Simple comme Sylvain : ma plus grande réussite, c’était que mes techniciens et les gens sur le plateau étaient heureux de venir travailler. Quand j’ai vu un de mes techniciens siffler à cinq heures du matin parce qu’il était content d’être là, pour moi, c’était la plus belle récompense.

Vous parlez souvent de sororité, qui se manifeste aussi dans vos liens avec d’autres cinéastes.

Oui, et ça me fait rire quand on parle du mythe des femmes qui se crêpent le chignon. En réalité, les premières qui m’ont tendu la main, ce sont des femmes cinéastes : Rebecca Zlotowski, Justine Triet, Audrey Diwan… et d’autres.
C’est un mythe, cette idée de rivalité féminine. On est beaucoup plus solidaires qu’on ne le dit.

Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario d’Alice Douard pour Des preuves d’amour ?

Deux choses m’ont interpellée : d’abord la douceur et la tendresse d’Alice. Dès la première rencontre, je me suis dit que c’était une femme d’une grande délicatesse. J’aime travailler sous le regard de quelqu’un comme ça : on sent la bienveillance très vite. Et puis j’ai trouvé cette histoire belle : celle d’un couple normal, mais non normalisé par le regard extérieur. Si c’était deux hétéros, ce serait sans intérêt. Montrer le quotidien simple de ces femmes, et l’adversité constante – ne serait-ce que de se tenir la main – c’est assez nouveau et intéressant. Enfin, il y avait Ella. J’étais fan d’elle depuis Grave. Quand on m’a dit qu’elle était affiliée au projet, j’ai eu envie de travailler avec elle.

Comment avez-vous construit ce couple à l’écran ?

On a fait un peu de répétitions avant les scènes, sur le plateau, un petit temps d’exploration. C’était un travail très organique, pas intellectuel. On a marché à l’instinct. Ella et moi avons eu une grande complicité dès le départ. On s’est aimées dès le jour 1. Le couple n’a pas eu besoin d’être inventé. On n’était pas ensemble, mais il y avait une familiarité, une absence de gêne. C’était comme si le couple existait déjà.

Dans Love Me Tender d’Anna Cazenave Cambet, votre personnage apparaît dans la deuxième partie du film, mais il est essentiel. Comment avez-vous abordé ce rôle ?

J’ai cru à ce projet dès la première minute. J’ai rencontré Anna par Zoom, et on s’est aimées tout de suite. Vicky Krieps, je ne l’avais jamais rencontrée avant le tournage. Notre première scène, c’est celle où on est couchées dans le lit, à la campagne. J’arrive sur le plateau, elle n’était pas encore là. Je me couche, elle arrive, je lui dis “enchantée”. Anna dit “action”. C’était fou : ça passait ou ça cassait. Et ça a fonctionné en une seconde.

La bienveillance, c’est une manière d’être au monde.

Est-ce que travailler avec des réalisatrices comme Alice Douard ou Anna Cazenave Cambet nourrit votre propre regard de cinéaste ?

Quand je suis actrice, c’est des vacances. Je ne me positionne pas comme réalisatrice. Évidemment, j’observe, mais chacun a sa manière de faire. La compétition ne m’intéresse pas, l’émulation oui. Travailler avec des cinéastes comme Justine Triet m’élève.

Vous avez aussi tourné récemment avec Nathan Ambrosioni (Les enfants vont bien).

Oui, et c’est quelqu’un de tellement doux. On n’a pas besoin d’être agressif pour être talentueux. On peut être très gentil et avoir un talent infini.

Dans Des preuves d’amour, il y a une scène particulièrement marquante : celle de la discothèque, sur It’s Only You and Me de Disclosure.

C’était déjà écrit dans le scénario. Il n’y a pas de mots, mais il y a un dialogue. Ce que j’adore dans cette scène, c’est ce principe : “il n’y a que toi que je vois dans la foule”. Il y a quelque chose de très beau : on est à la fois envers et contre tous, et en même temps protégées par cette foule queer.

Du côté de la réalisation, avez-vous un nouveau projet ?

Oui. Je tourne en septembre 2026. Je termine l’écriture.

Propos recueillis au festival de Cannes 2025

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