Indépendance du Québec | Les droits des Autochtones, un nouvel incontournable ?

Les hostilités entre le Parti québécois et Québec solidaire ont repris de plus belle. Au cœur du débat : qui propose la formule gagnante pour faire du Québec un pays ? Sur ce plan, des experts préviennent que le contexte a changé depuis 1995, particulièrement au sujet des droits des peuples autochtones. Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, qui dit tenir « plusieurs rencontres » sur cette question avec les Premières Nations, est même prêt à demander l’implication de l’ONU.
Publié hier à 7 h 00
Une attaque n’attend pas l’autre
Après l’élection de Sol Zanetti à titre de co-porte-parole de Québec solidaire (QS) au côté de Ruba Ghazal, la formation politique de gauche et le Parti québécois (PQ) ont renoué avec les attaques pour définir qui a la meilleure approche pour que le Québec devienne un pays.
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La cheffe parlementaire de Québec solidaire, Ruba Ghazal, lors d’un point de presse à Québec avec des députés de son caucus, en octobre dernier
Mme Ghazal a accusé le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon (rebaptisé le « pape de l’indépendance ») de bâtir un camp du Oui qui divise et qui exclut. Ce dernier a répliqué que sa vis-à-vis était « désespérée » face à ses piètres résultats dans les intentions de vote.
Dans le contexte où les sondages prédisent que le PQ pourrait former le prochain gouvernement, les débats entourant l’organisation d’un troisième référendum prennent de la vigueur, même entre souverainistes.
Encore récemment, la députée solidaire sortante Manon Massé a exprimé ses réticences face à une démarche « coloniale » qui n’inclurait pas en amont les Autochtones. Ce débat, prédisent des experts, devient incontournable.
L’ONU aura-t-elle un rôle à jouer ?
Paul St-Pierre Plamondon, affirme que sa formation politique tient déjà « plusieurs rencontres » avec des communautés autochtones au sujet de l’indépendance du Québec. Ces échanges « confidentiels » visent à réfléchir « en amont » et de façon conjointe avec les Premières Nations. Le chef du PQ confirme aussi son intention d’impliquer l’Organisation des Nations unies (ONU) dans le processus.
« Juridiquement, si on sort du Canada, […] la Loi sur les Indiens disparaît », a-t-il expliqué vendredi lors d’une conférence devant des étudiants à Sherbrooke. M. St-Pierre Plamondon s’engage à offrir le « statu quo » aux communautés qui le souhaitent, admettant que certaines pourront voir dans la souveraineté « un risque ».
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Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois
Si [certaines communautés autochtones] veulent exactement les mêmes conditions que le régime canadien, on [leur] garantit. On n’aura pas d’enjeux à le financer, c’est de l’argent qu’on envoie déjà à Ottawa.
Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois
Du côté de Québec solidaire, Sol Zanetti appelle les péquistes à se rallier à leur projet d’assemblée constituante, qui aurait pour mandat – avec les peuples autochtones – d’écrire la constitution d’un pays du Québec, ensuite soumise par référendum. Il incite aussi tous les indépendantistes à reconnaître la souveraineté des peuples autochtones.
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Sol Zanetti, co-porte-parole de Québec solidaire
« Nous voulons que les nations autochtones aient la place qu’elles désirent occuper dans la [création de] l’assemblée constituante. On ne veut pas la déterminer d’avance, ce qui serait paternaliste et colonial. […] Ce qu’on souhaite, en s’étant entendus avec les nations autochtones, c’est qu’on soit tous du même côté avant même la victoire d’un référendum gagnant », dit-il.
UN contexte changé depuis 1995
Karine Millaire est professeure adjointe à la faculté de droit de l’Université de Montréal, experte en droit constitutionnel et autochtone. Selon elle, ce qui a changé depuis le référendum de 1995 est que la question des droits des peuples autochtones ne peut être ignorée. « C’est probablement une des limites, sinon la limite constitutionnelle, la plus importante », prévient-elle.
Par exemple, les tribunaux se sont exprimés à plusieurs reprises sur le concept de « souveraineté préexistante des peuples autochtones », explique Mme Millaire. Cela confère des droits préexistants aux Autochtones face « à toutes ces questions liées aux volontés d’autonomie du Québec », dit-elle.
Dans ce contexte, « à moins [que les souverainistes] adoptent une nouvelle approche de colonisation », en tentant d’imposer la souveraineté advenant une victoire du Oui, la jurisprudence constitutionnelle sur la souveraineté préexistante amène l’obligation de la Couronne, donc de l’État canadien, « de consulter et d’obtenir le consentement des peuples autochtones », affirme la professeure.
Est-ce donc dire que les peuples autochtones ont un droit de veto ? « On a l’obligation de négocier, et si on ne s’entend pas, il n’y a pas la possibilité d’imposer le résultat du Oui », analyse Karine Millaire.
Et sans une négociation fructueuse avec les Autochtones, les souverainistes auront plus de difficulté à faire reconnaître l’indépendance du Québec sur la scène internationale, selon elle.
Un État 2.0 sans « bases coloniales »
Ghislain Otis, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, lui aussi expert en droit constitutionnel et autochtone, estime pour sa part que sur le plan strictement légal, le Québec pourrait parvenir à faire l’indépendance même si des peuples autochtones s’y opposent. Or, réaliser la souveraineté sans eux reviendrait à fonder un pays sur les mêmes bases coloniales qui ont servi à la création du Canada, prévient-il.
Pour changer la donne, le chercheur estime que le mouvement souverainiste a l’occasion de dépasser l’héritage colonial en inventant un « État 2.0 », qui serait mis au monde avec les peuples autochtones.
Selon le chercheur, ce serait même une contribution « exceptionnelle » du Québec sur la scène internationale, mais il faudra du « courage » afin de surmonter plusieurs barrières.
« Ça nécessite qu’on négocie la souveraineté avec les peuples autochtones, qu’on essaie d’associer [ces] peuples à la démarche en disant : regardez, on va en arriver à un partage de souveraineté, on va reconnaître la souveraineté [autochtone] et la concilier avec celle d’un État québécois. […] L’avantage, c’est qu’on ne part plus sur des bases coloniales », dit-il.
M. Otis rappelle par ailleurs que la souveraineté autochtone ne s’appuie pas sur les mêmes bases rigides que la souveraineté des États telle qu’elle est reconnue par le droit international. « La souveraineté autochtone, ce n’est pas une souveraineté étatique », rappelle-t-il. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée et mise en œuvre au Canada, parle d’ailleurs du droit à l’autodétermination comme du « droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales ».
Avec Fanny Lévesque, La Presse



