Le ciel sur la tête

« Vous connaissez mon nom : c’est Rizqy. Donc je prends des risques et, oui, j’assume mes propos », avait lancé Marwah Rizqy en janvier 2019, après avoir déclaré que le Parti libéral du Québec devrait s’excuser de l’austérité imposée aux Québécois par le gouvernement de Philippe Couillard.
Il est vrai que la situation était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Le PLQ n’avait pas de chef permanent et la Coalition avenir Québec venait tout juste d’être portée au pouvoir en faisant élire 74 députés. Dans ces conditions, sa sortie ne pouvait pas avoir des conséquences bien graves.
En renvoyant sa cheffe de cabinet Geneviève Hinse sans avertir Pablo Rodriguez, dont elle était la protégée, Mme Rizqy était bien consciente qu’elle allait déclencher une crise qui ne pouvait qu’ébranler le PLQ à moins d’un an des prochaines élections générales.
Quelle que soit la « faute grave » qu’aurait commise Mme Hinse, M. Rodriguez ne pouvait pas tolérer une telle atteinte à son autorité, qui paraissait déjà fragile, et Mme Rizqy le savait très bien. Être capable de prendre des risques est certainement une qualité en politique, mais encore faut-il que cela ait un sens.
Quand elle a annoncé qu’elle ne se présenterait pas aux élections de 2026, tout le monde a compris que la députée de Saint-Laurent, qui apparaissait — et de loin — comme la meilleure candidate à la succession de Dominique Anglade, faisait simplement une pause et que ses ambitions demeuraient intactes. À défaut de raisons d’une extrême gravité, plusieurs auront cependant du mal à lui pardonner d’avoir compromis les chances de victoire du parti et de ses collègues qui continuaient le combat.
On peut concevoir que l’ex-cheffe parlementaire libérale ait eu du mal à supporter la présence d’une adjointe en qui elle voyait plutôt une surveillante, mais cela fait partie des désagréments de la politique. Il serait sans doute répréhensible que Mme Hinse ait utilisé pour des activités partisanes des fonds publics destinés au travail parlementaire, mais la ligne entre les deux peut être très fine et le PLQ ne serait pas le premier à l’avoir franchie.
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Le président du PLQ, Rafael P. Ferraro, a déclaré que la direction du parti et Mme Rizqy elle-même avaient été informées en avril 2025 de l’existence de certains des textos concernant la course à la chefferie de M. Rodriguez qui ont été dévoilés par le Journal de Montréal, mais que tous les avaient alors jugés non crédibles.
On ne connaît pas l’identité des auteurs de ces textos rédigés dans un pénible franglais, et rien ne prouve que M. Rodriguez ou Mme Hinse étaient au courant que des gens impliqués dans sa campagne auraient distribué des « brownies » — possiblement des billets de 100 $ — à des membres du parti pour acheter leur vote.
« Il faut encore payer pour faire élire Pablo », dit l’un d’eux. « C’est comme ça que j’ai gagné mon investiture », répond l’autre, ce qui laisse supposer qu’il s’agit d’une personne qui a été candidate à une élection et peut-être élue députée.
L’enquête « indépendante » annoncée par M. Rodriguez ou celle du Directeur général des élections permettront-elles de faire toute la lumière ? Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, voudrait que l’Unité permanente anticorruption s’en mêle. Compte tenu des antécédents du PLQ et des mauvais souvenirs laissés par la commission Charbonneau, bien des Québécois trouveront que c’est une bonne idée.
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« C’est une crise comme d’autres », a déclaré M. Rodriguez, qui ne croit pas que l’image du PLQ puisse être entachée.
S’il croit réellement ce qu’il dit, les libéraux ont un sérieux problème. Déjà, sa performance en a déçu plusieurs, même si les 20 ans qu’il a passés à Ottawa auraient dû leur démontrer qu’ils n’avaient pas élu un foudre de guerre. Si, en plus, il ne comprend pas que le ciel menace de tomber sur la tête de son parti…
À neuf mois du début de la campagne électorale, il faudrait une preuve irréfutable de sa culpabilité personnelle pour qu’on doive le remplacer. Il assure n’avoir été mis au courant de rien, et il n’y a pour l’instant aucune raison de douter de sa parole. Il faudra cependant des semaines, sinon des mois, avant que les différentes enquêtes permettent d’y voir clair.
En attendant, un doute subsistera dans la population et les adversaires du PLQ se feront un plaisir de l’entretenir, peu importe la conclusion des enquêtes. Au lieu de dénoncer la tenue d’un référendum ou les méfaits du gouvernement Legault, il devra défendre son intégrité et combattre les fantômes du passé. Pendant tout ce temps, la seule députée qui donnait un peu de tonus à l’équipe libérale restera clouée au banc des punitions.
Le dernier sondage Léger avait enregistré un resserrement dans les intentions de vote depuis le début de l’automne. Alors que le PLQ avait un retard de onze points sur le PQ en septembre, l’écart n’était plus que de cinq points au début de novembre.
Tous les autres partis peuvent espérer tirer profit d’une chute du vote libéral. Les transferts directs du PLQ au Parti québécois sont hautement improbables, mais ce dernier pourrait profiter d’une division du vote fédéraliste si des électeurs caquistes passés dans le camp libéral décidaient de retourner à la CAQ ou encore au PCQ. Qui sait, même Québec solidaire pourrait grappiller quelques votes.




