Le mot de la semaine | Brownie

Publié à 7 h 00
« … they get a brownie for voting ».
Ces quelques mots sont tirés d’un échange de textos rapporté dans les pages du Journal de Montréal, mercredi. Il impliquerait deux personnes ayant travaillé à l’élection de Pablo Rodriguez à la direction du Parti libéral du Québec (PLQ), au printemps dernier.
Quand on lit l’échange au complet, qui n’a pas été authentifié, on comprend que des militants auraient reçu des billets bruns (brownie, 100 $) pour voter pour l’ancien ministre fédéral dans la course qui l’opposait à Charles Milliard, Karl Blackburn, Mario Roy et Marc Bélanger. Or, à la surprise générale, on apprenait jeudi que le Directeur général des élections du Québec ne prévoit pas d’infraction pour un don en échange d’un vote dans une course à la chefferie, à condition que ces dépenses soient comptabilisées dans un rapport à lui remettre.
Donc pas illégal, mais est-ce moral pour autant ? À Québec, l’inconfort est évident et jeudi, le ministre responsable des Institutions démocratiques, Jean-François Roberge, disait étudier la possibilité de modifier la Loi électorale.
Que s’est-il passé ? Pour l’instant, on nage dans le brouillard. Un brouillard qui dure depuis quatre jours. Peu d’éléments concrets nous permettent de comprendre la crise qui déchire actuellement le PLQ.
On ne sait même pas s’il y a un lien entre le premier signe d’une crise interne – le renvoi brutal, par Marwah Rizqy, de sa cheffe de cabinet, Geneviève Hinse, lundi soir – et la seconde révélation-choc, soit le dévoilement d’un échange de textos potentiellement incriminants pour le PLQ par l’équipe d’enquête du Journal de Montréal.
La conférence de presse du chef, Pablo Rodriguez, mercredi, ne nous en a pas appris beaucoup plus, si ce n’est que le président du parti, Rafael P. Ferraro, avait entendu parler de l’existence de textos (les mêmes ou d’autres ? Ce n’est pas clair). Leur authenticité n’ayant pas été confirmée à l’époque, on nous explique aujourd’hui que l’affaire avait été classée.
Les prochains jours nous en apprendront davantage sur ce qui se joue derrière les portes closes du PLQ. Mais il est évident que cette histoire réveille des traumatismes.
Au sein du parti, d’abord. Voilà une formation politique qui a travaillé d’arrache-pied, au cours des dernières années, pour faire le ménage dans ses rangs et redorer son blason.
Après une multitude de scandales, après des enquêtes, après une traversée du désert, après les élections catastrophiques de 2022 où le PLQ est arrivé derrière le Parti québécois et Québec solidaire en votes exprimés, les libéraux avaient reçu des signes encourageants dans les plus récents sondages, qui les repositionnaient comme option politique crédible.
Le travail du député Monsef Derraji pour faire la lumière sur le scandale SAAQclic ainsi que la nomination de Marwah Rizqy comme cheffe de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale avaient marqué des points dans l’opinion publique.
Le psychodrame de cette semaine risque d’anéantir ces gains.
Car cette crise réveille aussi des traumatismes au sein de la population. Il n’est pas si loin, le temps où elle associait la marque libérale à des allégations de corruption, qui ont mené aux commissions Bastarache et Charbonneau. Les deux commissions n’avaient peut-être pas distribué de blâmes à la formation, mais elles avaient critiqué certaines de ses pratiques.
PHOTO JONATHAN HAYWARD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
La couverture du magazine Maclean’s, publiée en octobre 2010
Les Québécois n’ont pas oublié non plus la terrible une du magazine Maclean’s, publiée en octobre 2010, montrant Bonhomme Carnaval avec une mallette d’où s’échappaient des billets de banque. La publication torontoise prétendait que le Québec était la province la plus corrompue au pays. Maclean’s et son journaliste ont été blâmés par le Conseil de presse du Québec pour leur manque de rigueur, mais ce reportage a marqué les esprits.
Quant aux cicatrices de la commission Charbonneau, elles sont encore fraîches. La simple mention de l’UPAC, cette semaine, par le chef du Parti conservateur, Éric Duhaime, nous a replongés dans une époque qu’on croyait révolue.
Et que dire de ce mot, brownie, qui ravive des souvenirs douloureux. Il rappelle le vocabulaire coloré entendu lors des audiences de la commission Charbonneau. Oui, brownie a un beau potentiel pour aller rejoindre « Monsieur 3 % », « Un chum c’t’un chum », et « Monsieur Trottoir » au panthéon lexical de la politique québécoise.
Ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle.
Au moment d’écrire ces lignes, la balle est dans le camp de la députée de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, qui a reçu une mise en demeure de son ex-directrice de cabinet, Geneviève Hinse, jeudi. Celle qui incarne, jusqu’ici, le renouveau, la droiture et l’éthique au sein du PLQ doit parler.
Dans la palette des couleurs, le brun n’est pas seulement la couleur d’un billet de 100 dollars. C’est aussi la couleur de la saleté, de l’impureté. Or, tout ce qui traîne se salit. Les gens qui savent auraient intérêt à se manifester s’ils veulent nettoyer la boue dans laquelle leur parti est embourbé.
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