Entente entre Ottawa et l’Alberta | Steven Guilbeault quitte le Cabinet

(Ottawa) Le gouvernement Carney est secoué par une première crise : le ministre Steven Guilbeault, principal architecte des politiques de lutte contre les changements climatiques, claque la porte du Cabinet alors que l’encre sur le protocole d’entente énergétique entre Ottawa et l’Alberta est à peine sèche.
Publié à
12 h 05
Mis à jour à
16 h 37
Cette démission illustre les dissensions au sein du Parti libéral du Canada dirigé depuis huit mois par Mark Carney. Depuis son arrivée au pouvoir, il a multiplié les reculs en matière environnementale.
Depuis quelques jours, les projecteurs étaient braqués sur M. Guilbeault qui fuyait les journalistes alors que le premier ministre s’apprêtait à dérouler le tapis rouge à la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith. L’élu occupait des fonctions importantes au sein du Cabinet comme lieutenant politique du premier ministre au Québec et comme ministre de l’Identité, de la Culture et des Langues officielles. Il ne siègera plus à la table du conseil des ministres, mais demeurera député de Laurier-Sainte-Marie.
Le premier ministre sera forcé d’effectuer un remaniement ministériel, le premier depuis la formation de son gouvernement.
Plus tôt dans la journée, M. Carney et la première ministre albertaine Danielle Smith étaient tout sourire lors de la signature d’un protocole d’entente à Calgary pour la construction d’un oléoduc vers la Colombie-Britannique financé par le secteur privé. L’Alberta aura jusqu’au 1er juillet pour le soumettre au bureau fédéral des grands projets afin qu’il soit mis sur la voie rapide.
PHOTO TODD KOROL, REUTERS
Daniel Smith et Mark Carney ont signé un protocole d’entente visant à favoriser la construction d’un nouvel oléoduc vers l’ouest du pays.
« C’est une grande journée pour les Albertains », a déclaré Mme Smith. « Je suis très heureuse que le premier ministre ait entendu nos préoccupations. » Pour elle, il s’agit d’un « nouveau départ » dans la relation entre sa province et le gouvernement fédéral.
L’objectif est de faire du Canada une « superpuissance énergétique mondiale » transportant « au moins un million » de barils de pétrole « à faibles émissions » par jour vers les marchés asiatiques. Il repose sur la décarbonation du bitume par l’entremise du projet Nouvelles voies, aussi connu sous le nom de Pathways en anglais, pour la capture et le stockage du carbone.
« Ça rendra le Canada plus fort, plus indépendant, plus résilient et plus durable », a affirmé M. Carney.
Le gouvernement a fait le choix d’abandonner certaines politiques climatiques pour un oléoduc. En fait, Ottawa reconnaît dans le protocole d’entente qu’un oléoduc pour exporter le pétrole albertain vers les marchés asiatiques est une priorité et qu’il constitue un projet d’intérêt national. Il devra toutefois être soumis à l’examen du bureau des grands projets pour obtenir cette désignation officielle qui lui permettrait d’être approuvé dans un délai de deux ans.
La première ministre Smith avait fait de la construction d’un nouvel oléoduc une question d’unité nationale. Elle militait depuis des mois pour faire lever ce qu’elle appelle « les neuf mauvaises lois » liées aux évaluations environnementales et à la lutte contre les changements climatiques qui, selon elle, nuisent aux investissements dans l’industrie pétrolière.
Les deux gouvernements s’engagent à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, mais le gouvernement Carney abandonne certaines politiques climatiques qui irritaient l’Alberta. Il accepte d’abandonner le plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier qui aurait permis de réduire les gaz à effet de serre émis par cette industrie. Le règlement annoncé à l’automne 2024 par l’ex-ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, n’est toujours pas entré en vigueur.
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Il exempte aussi immédiatement l’Alberta de l’application du Règlement sur l’électricité propre en attendant la conclusion d’ici le 1er avril d’un nouvel accord sur la tarification sur le carbone industriel. Elle devra monter du prix actuel de 95 $ la tonne à un prix minimal de 130 $ la tonne.
En contrepartie, le gouvernement albertain s’engage à conclure un accord d’équivalence avec le gouvernement fédéral d’ici le 1er avril pour réduire les émissions de méthane de 75 % sous leur niveau de 2014 d’ici 2035.
Il est également question de produire de l’énergie nucléaire d’ici 2050 qui servirait à produire des « milliers de mégawatts » pour alimenter les besoins énergétiques de l’intelligence artificielle et d’un éventuel nuage informatique souverain « pour le Canada et ses alliés ».
Moratoire sur les pétroliers
Ottawa ouvre également la porte à modifier le moratoire sur les pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique. En vertu de ce moratoire imposé en 2019, les navires qui transportent plus de 12 500 tonnes métriques de pétrole brut ne peuvent s’arrêter, charger ou décharger leur cargaison dans les ports situés dans cette zone qui s’étend jusqu’en Alaska et inclut l’archipel Haida Gwaii.
« Nous croyons que le gouvernement de la Colombie-Britannique doit être d’accord », avait affirmé le premier ministre Carney lors de la période des questions mardi.
Or, le premier ministre britanno-colombien, David Eby, s’oppose fermement à ce qu’un oléoduc traverse sa province tout comme les communautés autochtones le long de la côte.
PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
Le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby
En conférence de presse, la première ministre Smith a signalé que le protocole d’entente n’accorde aucun droit de veto à la Colombie-Britannique. Elle estime pouvoir convaincre la province voisine de la sienne du bien-fondé du projet. La province s’engage à partager les bénéfices économiques avec sa voisine.
Elle devra également s’assurer que les Premières Nations touchées soient consultées en amont et que celles qui le souhaitent puissent être copropriétaires de l’oléoduc.
La signature de ce protocole d’entente fait suite à de nombreux aménagements effectués depuis l’élection du gouvernement Carney. Il y a d’abord eu l’adoption sous bâillon de la loi C-5 en juin qui permet à Ottawa de contourner des lois environnementales afin d’accélérer de grands projets d’intérêt national.
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Le premier ministre Carney a ensuite nommé Dawn Farrell, ex-dirigeante de la société d’oléoducs Trans Mountain, à la tête du Bureau des grands projets. Il a également choisi Calgary, le centre névralgique de l’industrie pétrolière canadienne, pour y installer le siège social de ce nouveau bureau.
Puis, le gouvernement a dévoilé sa stratégie de compétitivité climatique dans son dernier budget qui intègre plusieurs changements réclamés par l’industrie pétrolière et gazière. L’un d’entre eux touche directement le projet de capture et de stockage du carbone Nouvelles voies.
Le gouvernement veut modifier les dispositions législatives sur l’écoblanchiment qui avaient mené au retrait de publicités d’Alliance Nouvelles voies, un consortium formé par les six plus grands producteurs de pétrole des sables bitumineux, sur l’impact de l’industrie. C’est ce consortium qui fait la promotion du projet Nouvelles voies pour décarboner ce pétrole au moyen de la capture et du stockage du carbone.
L’ancienne ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, avait récemment mis en garde le gouvernement Carney sur la production d’hydrocarbures faibles en carbone qui ne permettront pas de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.
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