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Chronique de Michel David | Ruba Ghazal, l’ambassadrice du projet indépendantiste

Bien des souverainistes ont dû avoir un moment d’espoir en voyant Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) et Ruba Ghazal assis côte à côte lors de l’émission spéciale 24 / 60 sur le référendum du 30 octobre 1995.

Il y en a plusieurs au Parti québécois (PQ) qui n’ont jamais pardonné à Québec solidaire (QS) le rejet de l’alliance proposée en 2017, mais la « convergence » des forces souverainistes n’en demeure pas moins une condition sine qua non d’une victoire du Oui s’il doit y avoir un troisième référendum.

Le rapport intitulé Osez repenser le PQ, que PSPP avait rédigé en 2017 à la demande de Jean-François Lisée, alors chef du PQ, ne contenait pas moins de 43 recommandations visant à rapprocher le parti des « communautés culturelles », comme on appelait alors les immigrants.

« Il est fondamental pour un Parti québécois refondé de faire la promotion de la souveraineté au sein de cette population avec un discours neuf et inclusif », peut-on y lire. Observer « un manque de constance dans l’engagement » du PQ envers les diverses communautés tenait de l’euphémisme.

Huit ans plus tard, force est de constater que le lien de confiance est plus fragile que jamais. Le dernier référendum a laissé des traces des deux côtés. Si les immigrants ont été blessés par les mots de Jacques Parizeau, leur appui massif au camp fédéraliste a aussi causé de l’amertume chez les souverainistes.

Dans l’entrevue qu’il a accordée récemment au Devoir, le chef péquiste disait vouloir faire le prochain référendum avec les immigrants, mais l’inverse est loin d’être évident. Si on veut les convaincre d’adhérer au projet d’indépendance, quelqu’un d’autre devra leur en parler.

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Il est vrai qu’une majorité (56 %) des électeurs de QS voteraient Non, selon le dernier sondage Léger, mais cela n’empêche pas le parti lui-même d’être indépendantiste, même si le processus d’assemblée constituante qu’il propose peut laisser perplexe. Après tout, le PQ n’est pas moins indépendantiste qu’avant parce que le tiers de ses électeurs voteraient également Non.

Depuis la création de QS, tous ses porte-parole ont affiché leurs convictions souverainistes, même s’ils pouvaient avoir des priorités plus immédiates. Du nombre, Ruba Ghazal est celle qui y met le plus d’ardeur. Cette « enfant de la loi 101 » est sans doute l’ambassadrice la plus apte à défendre le projet indépendantiste auprès des immigrants et à comprendre les raisons ou les craintes qui expliquent pourquoi ils y sont aussi réfractaires.

La femme qu’elle est devenue parle autant que ce qu’elle pourrait dire. Dans le livre qu’elle vient de publier chez Lux sous le titre Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs, elle raconte de façon touchante le parcours qui l’a menée de Beyrouth à Laval, en passant par Abou Dhabi. Être née dans une famille musulmane conservatrice qui avait peur de la politique et de l’indépendance ne l’a pas empêchée de siéger à l’Assemblée nationale depuis sept ans, après avoir travaillé pendant des années dans des usines.

Elle est la preuve vivante, au même titre que Pablo Rodriguez ou Soraya Martinez Ferrada, que les enfants d’immigrants sont chez eux au Québec au point de pouvoir présider à ses destinées, peu importe qu’ils voient son avenir à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada.

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Mme Ghazal peut d’ailleurs jouer le rôle d’ambassadrice auprès des deux parties. Autant elle peut expliquer aux immigrants les aspirations des francophones, autant son exemple démontre leur apport à la société québécoise. Le chef du PQ serait le premier à reconnaître sa contribution au débat public.

Certains seront peut-être surpris de lire sous sa plume que les débats sur l’immigration sont incontournables, que ce soit pour évaluer notre « réelle capacité d’intégration » ou même pour étendre la loi 101 au cégep, ce que QS avait refusé d’inclure dans le projet de loi 96 sur la langue adopté en 2022.

Si ces discussions sont essentielles, il est à la fois « contreproductif » et « malhonnête » de taxer de woke et d’anti-québécois ceux qui ont des opinions contraires aux nôtres, dit-elle. Elle fait ainsi écho à plusieurs souverainistes, qui ne sont pas nécessairement à QS et qui n’apprécient pas le ton du discours péquiste sur l’immigration.

En 2013, Jacques Parizeau avait déjà mis le PQ en garde contre les excès de la charte des valeurs présentée par le gouvernement Marois, disant craindre qu’elle précipite les immigrants dans les bras d’Ottawa, en qui ils verraient le protecteur de leurs droits. Les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets.

Il est très possible que la députation de QS soit réduite à deux ou trois députés lors de la prochaine élection, mais sa voix ne serait pas moins nécessaire au camp souverainiste. Mario Dumont était le seul député de l’ADQ en 1995 ; il n’en a pas moins convaincu de nombreux électeurs de voter Oui, même parmi ceux qui étaient allergiques au PQ ou qui n’adhéraient pas à son projet de société social-démocrate.

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