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Les Ivoiriens tourneront-ils la page Ouattara ?

Il avait promis de se retirer après deux mandats, voici qu’il en brigue un quatrième… Alassane Ouattara sera-t-il réélu président de la Côte d’Ivoire ce samedi, dans une élection à deux tours dont la campagne a été tendue ? Questions et réponses avec Nicolas Klingelschmitt, enseignant à l’UQAM et chargé de recherche sur l’Afrique au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).


Publié hier à 7 h 00

La Côte d’Ivoire vote ce samedi au premier tour pour un nouveau président. Gros enjeu ?

R. Oui, quand même, parce que le président Alassane Ouattara se présente pour un quatrième mandat alors que, initialement, il était censé se limiter à deux. Au moment de la pandémie, il avait modifié la Constitution de 2016 pour pouvoir se présenter une troisième fois, et ça avait été très mal reçu. L’opposition avait préféré boycotter les élections, tandis que là, on a l’émergence de nouveaux acteurs, notamment l’ancienne femme de l’ex-président Laurent Gbagbo [Simone Ehivet Gbagbo], qui incarne une opposition historique. Elle a un poids, une assise électorale et populaire qui est assez importante. On a aussi des représentants de l’ancien parti de Henri Konan Bédier (mort en 2023) qui sont montés au créneau pour se présenter.

PHOTO LUC GNAGO, REUTERS

Simone Ehivet Gbagbo, saluant ses partisans à son arrivée à un rassemblement électoral mercredi à Abidjan

Il y a une semaine, le gouvernement ivoirien a interdit les manifestations politiques dans le pays pour les deux prochains mois. Des manifestants ont été mis en prison. On parle de trois morts cette semaine. Craint-on des violences postélectorales comme en 2010 ?

Cette crainte-là est omniprésente. Il y avait eu de grandes violences fin 2010 après le second tour des élections. On s’était retrouvé dans la situation où Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquaient tous deux la victoire. Cela avait entraîné une énorme crise postélectorale où le pays est entré dans une situation de guerre civile pendant plusieurs mois, qui avait abouti à l’arrestation de Laurent Gbagbo. Les gens qui ont connu cette période-là ne veulent surtout pas que ça se reproduise. Il faut aussi tenir compte du fait qu’en Côte d’Ivoire, comme dans la majorité des États d’Afrique subsaharienne, il y a une croissance démographique très importante. Il y a donc toute une génération appelée aux urnes qui était trop jeune quand ces troubles-là ont éclaté et qui pourrait descendre dans la rue pour réclamer des changements radicaux. C’est sûr que voir qu’on a un président qui a tendance à mettre en place une autocratie ou en tout cas à s’accrocher au pouvoir en modifiant la Constitution, c’est rarement de nature à apaiser les revendications de la jeunesse. Surtout dans un contexte où il y a eu des manifestations de la génération Z, ailleurs sur le continent, ces dernières semaines.

Doit-on parler d’une opposition muselée ?

C’est clair qu’il y a un contrôle du gouvernement qui s’exerce sur l’opinion publique. Mais historiquement, il y a en Côte d’Ivoire une pluralité des médias qui garantissent une possibilité d’expression pour l’opposition. Ce n’est pas une situation comparable au Cameroun, où il y a eu de la torture et de l’assassinat de journalistes qui dénonçaient les dérives du pouvoir ces dernières années. On n’en est pas là, mais Reporters sans frontières note un recul de la liberté de la presse en Côte d’Ivoire depuis deux ans.

L’ancien président du pays (2000-2011) Laurent Gbagbo a été exclu du scrutin. Pourquoi ?

Laurent Gbagbo est inéligible en raison de la crise postélectorale de 2011, pour laquelle il a été jugé et acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), mais condamné au niveau national. Il reste néanmoins quelqu’un de très influent dans la politique ivoirienne.

Alassane Ouattara, 83 ans, est au pouvoir depuis près de 15 ans. Quel est son bilan ?

La Côte d’Ivoire a toujours été un moteur économique pour l’Afrique de l’Ouest. C’est le premier pays exportateur de cacao et de noix de cajou au monde et un des plus gros exportateurs de café et d’hévéa. Cela a toujours permis un dynamisme économique. Mais il est vrai que Ouattara a engagé des réformes dans les infrastructures publiques. Il y a eu beaucoup de chantiers qui ont été lancés depuis son premier mandat. Métro à Abidjan, projet de train à grande vitesse, amélioration dans les dessertes en transport en commun entre les grandes villes comme Yamoussoukro et Abidjan, développement des infrastructures portuaires à Abidjan et à San-Pédro, avec une amélioration globale des conditions économiques. Cela étant, il y a quand même un contraste entre ce qui se passe dans les grandes villes du pays et ce qui se passe dans les zones un peu plus rurales. Mais ça, ce n’est pas propre à la Côte d’Ivoire.

La victoire de Ouattara est-elle assurée ?

Il y a une possibilité d’alternance. Mais en même temps, étant donné qu’on a deux ténors de l’opposition, il y a aussi un certain risque de fracture de ce côté, de dispersion des votes, puisque la possibilité d’une alliance entre Jean-Louis Billon et Simone Gbagbo est quand même relativement peu probable. Donc ça va surtout se jouer à qui va être le candidat de l’opposition au second tour, si jamais on va vers un second tour. Et à ce moment-là, voir si le candidat ou la candidate malheureux de l’opposition qui finit troisième va appeler à voter pour l’autre candidat de l’opposition…

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