Trends-CA

Le Qatar, magnat de l’immobilier en France

Selon l’enquête de “L’Œil du 20 Heures”, le petit émirat détient plus de 150 immeubles ou bâtiments haut de gamme dans toute la France. Des acquisitions permises par ses revenus, et avec la bienveillance du fisc français.

En dix ans, les Champs-Elysées ont fait leur mue, avec les marques de luxe qui ont supplanté les enseignes plus modestes et les cinémas. Fière de nous faire la visite “de la plus belle avenue du monde, bien sûr”, Jeanne d’Hauteserre, la maire (LR) du 8eme arrondissement a tout de même une pointe de nostalgie lorsqu’elle passe devant le 116bis. “On va arriver devant l’ancien cinéma, le Normandie, qui malheureusement a fermé l’an dernier. Son nom était écrit ici, en grand”, en montrant les supports métalliques vides, qui soutenaient l’enseigne disparue.

Ce cinéma historique, quasi-centenaire, qui a vu défiler une infinité de célébrités n’a pas eu d’autre choix que de tirer le rideau. Sa fréquentation baissait tandis que les loyers devenaient intenables. “Le loyer pour un commerce, c’est entre 15 000 et 17 000 euros du mètre carré à l’année. Et malheureusement, comme les propriétaires ne veulent pas négocier, on s’est retrouvés avec de nombreux lieux de culture comme celui-ci qui ont fermé.”

A cette adresse, le propriétaire est toujours une société détenue par un dignitaire du Qatar. Inscrit au registre officiel, il s’agit de Son Excellence Hamad Al Thani, l’ancien émir. Cet immeuble n’est pas la seule possession de la famille royale. 

a remonté une myriade d’entreprises dont le nom n’attire pas l’attention : Lys Vendôme, Provence Holding, Frégate Rennes… Pour beaucoup, aucune mention du Qatar ni dans le titre, ni dans les gérants. Leurs bénéficiaires sont pourtant bien des investisseurs de l’émirat liés à la famille Al-Thani avec un patrimoine impressionnant.

Leur lieu favori semble être les Champs-Elysées et les rues adjacentes : en plus de l’ambassade, le pays détient plus d’une dizaine d’immeubles entiers. A quelques encablures, sur la Place Vendôme, le Qatar possède les numéros 7, 19, 21, 23, 25 et héberge ainsi des joailliers prestigieux. Selon le comptage de “L’Oeil du 20 Heures”, l’émirat a 71 immeubles à Paris, 158 bâtiments dans toute l’Hexagone.

Sur la côte d’Azur, ils ont même racheté des hôtels célèbres, le Carlton ou le Martinez, et en construisent un tout nouveau boulevard Saint-Germain à Paris dans un bâtiment vendu par l’État français pour 300 millions d’euros.

Une frénésie immobilière, qu’aucun de ses représentants français ou qatariens n’a souhaité nous décrypter. “Nous avons une politique interne de ne pas communiquer sur tous ces sujets-là, donc voilà, je respecte la politique du groupe. Vous le comprendrez aisément en fait”, nous répond Gilles de Boissieu, responsable de fortune des Al-Thani en France, avant de nous raccrocher au nez. Le fonds d’investissement souverain du Qatar, QIA, n’est pas plus loquace, nous assurant par écrit qu’ils n’ont “aucun porte-parole” à Paris. L’ambassade n’a jamais donné suite.

Ces Qatariens sont peut-être attirés par un avantage fiscal. En 2008, Nicolas Sarkozy, l’ancien président de la république leur fait une faveur afin de faciliter les échanges commerciaux entre les deux pays. Il exempte les Qatariens d’impôts sur leurs plus-values immobilières.

Exemple à Paris, sur la prestigieuse île Saint-Louis, avec l’hôtel Lambert. Un joyau du classicisme, un écrin somptueux de 4 000 m2, d’une valeur historique inestimable selon de nombreuses associations du patrimoine. En 2022, ce domaine est vendu par un prince du Qatar à l’homme d’affaires Xavier Niel.

Grâce à des données publiques, nos propres informations, et malgré de gros chantiers de rénovation, l’émir aurait fait ici une plus-value à la revente estimée à 100 millions d’euros. En théorie, dans ces conditions, un Français devrait payer au moins 7 millions d’euros d’impôts sur cette plus-value : on appelle cela l’impôt de cession. Pour un Qatarien, c’est 0€, car il en est exempté.

Cet avantage a un coût pour les finances publiques… mais de combien? Une source proche du dossier, en poste lors de l’octroi de ce privilège fiscal, nous avoue que l’État n’a jamais fait d’estimation précise sur le coût à venir pour les finances publiques. “Dans mes souvenirs, à l’époque, il n’y a pas de note d’impact. C’est chiffré nulle part. Surtout qu’à l’époque, comment voulez-vous chiffrer le truc en question ? Il aurait fallu savoir ex ante combien le Qatar envisageait de dépenser et d’acheter comme biens immobiliers en France. C’est très compliqué.”

Contacté, le ministère de l’économie ne nous a pas donné plus de précisions. Cette ristourne alimente donc des critiques récurrentes de tous bords politiques, de la gauche à la droite, jusqu’à Emmanuel Macron. Alors candidat, il en avait fait une promesse de campagne en 2017. “Sur ce sujet, je serai très ferme. Je pense qu’il y a eu beaucoup de complaisance durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy en particulier. Je mettrai fin aux accords qui favorisent en France le Qatar”, assurait-il.

Un engagement oublié, et cela fait sourire Henri Guaino, l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy. Selon lui, cet avantage est le seul moyen d’attirer en France les investisseurs du Qatar et leurs richesses. “C’est un privilège fiscal, en contrepartie des investissements ! C’est pas gratuit, c’est pas pour faire plaisir à l’émir du Qatar. On veut leurs capitaux, on veut leur achats, leurs importations de produits français et d’armes françaises. Et on veut pouvoir profiter de leur pouvoir d’achat pour leur vendre le maximum de choses. En soi, c’est quand même pas aberrant.” 

L’an dernier, plusieurs députés avaient demandé au gouvernement le véritable coût de cet accord fiscal, lors du vote du budget. Des amendements passés à la trappe avec l’utilisation de l’article 49-3 pour contourner le blocage à l’Assemblée nationale.

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button