Loi 2 sur les médecins | François Legault doit stopper la réforme

En quelques mots, une médecin de 32 ans a réglé le cas de la loi 2 que le ministre Christian Dubé veut imposer aux médecins du Québec.
Publié à 5 h 00
Elle a attiré l’attention en raison de son nom de famille, bien entendu. Laurence Carmant est la fille de Lionel, ministre responsable des Services sociaux, mais aussi neurologue. Politiquement, ça la fout mal pour le gouvernement de François Legault. Le ministre Carmant a beau faire preuve de solidarité ministérielle, c’est une solidarité de façade. Plusieurs collègues caquistes un peu paniqués regardent Christian Dubé conduire sa réforme à grande vitesse sans savoir où elle s’en ira.
Mais là n’est pas l’essentiel. Dans une lettre transmise au Devoir1, la jeune médecin surspécialiste, formée au Québec et en Ontario, a dit ce qu’il y a de fondamentalement vicié dans la loi 2.
Ce qu’il y a de vicié, ce n’est pas qu’on demande aux médecins d’atteindre des cibles de performance. Bien des choses n’ont pas de sens dans le mode de rémunération à l’acte dans l’état actuel des choses.
Ce qu’il y a de vicié, c’est qu’on demande à un groupe d’atteindre des cibles collectives de performance, en sachant très bien qu’elles ne sont pas atteignables.
Je cite la Dre Carmant : « À Toronto, un avant-midi de procédures diagnostiques […] me permettait de voir huit à 12 patientes ; au Québec, on m’indique que je ne peux en voir que trois dans le même laps de temps. Même médecin, même motivation, mêmes compétences, ma productivité baisse de 75 % ».
Un cas particulier, me direz-vous ? Pas vraiment. Ou plutôt : il y a tant de cas particuliers que c’est tout un système qui est en cause. Les témoignages de médecins qui ne peuvent pas opérer après l’heure x ne manquent pas. Pourquoi ? Salle d’opération fermée. Heures sup limitées. Personnel manquant. Car les hôpitaux sont aussi soumis à des contraintes budgétaires.
Autrement dit, il n’y a aucune logique à exiger une plus grande performance médicale quand, dans les faits, elle est inatteignable. Soit parce que le système est lui-même inefficace et freine la productivité. Soit parce qu’on rationne le temps de travail.
Enfin oui, il y a une logique, mais elle n’est jamais dite en toutes lettres : diminuer le salaire des médecins. Si c’est le but, qu’on le dise.
Jusqu’ici, le gouvernement ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve qui est le sien : démontrer que ces incitatifs punitifs vont améliorer véritablement l’accès aux soins.
Le Collège des médecins, pourtant très critique face aux moyens de pression des syndicats, a dénoncé l’incohérence de la réforme.
Toute la logique de la réforme semble se résumer dans le slogan gouvernemental : les médecins nous coûtent 9 milliards, les Québécois n’ont pas un bon accès, donc on n’en a pas pour notre argent avec eux. Ils doivent travailler plus.
Ça frappe l’imagination, mais ça ne nous avance pas du tout.
J’en entends dire « les médecins ne me feront pas brailler ». Ils sont en effet très bien payés, bien mieux que dans plusieurs pays européens. Moi non plus, ils ne me font pas brailler.
Ce qui me fait brailler, c’est l’espèce d’incapacité organisationnelle congénitale de notre système de santé. Ça ne se peut pas qu’on soit plus caves que les Ontariens ou les Britanno-Colombiens.
Pourtant, les témoignages des médecins québécois qui en reviennent sont assez constants : ces systèmes, tout aussi publics et universels, bien qu’imparfaits, fonctionnent mieux, sont plus efficaces, prennent mieux en charge les patients.
Quant aux menaces de déménagement, ce ne sont pas que des menaces. Ça ressemble à des promesses. S’il y a une catégorie de professionnels mobiles et recherchés, ce sont bien les médecins. L’immense majorité ne partira pas et il y a bien sûr une enflure syndicale dans l’annonce de ces départs. Ils n’en sont pas moins réels. On n’a pas les moyens de perdre 250, 100 ou même 50 spécialistes ou généralistes.
François Legault était très remonté contre Doug Ford mercredi, quand il a entendu le premier ministre de l’Ontario appeler les médecins québécois à déménager. C’était en effet très inélégant. Mais les médecins n’ont pas besoin de Doug Ford pour regarder ailleurs. Ça se passe en ce moment. Ça magasine. C’est un fait.
Il est étonnant de voir à quel point le premier ministre Legault s’est collé sur son ministre de la Santé. Il est normal de l’appuyer, bien entendu. Mais depuis des mois, le premier ministre en rajoute dans la rhétorique agressive. Peut-être pense-t-il mettre la population de son côté. Dans un premier temps, il a réussi ; plusieurs traitent les médecins de privilégiés, et ils ne sont pas misérables, en effet.
Mais quelle est sa position de repli, maintenant ? Passer le bulldozer sur le corps médical, infliger des amendes à gauche et à droite ?
Il y a beaucoup d’émotivité dans l’air, puisqu’à la fin, on parle de vie et de mort. Mais les témoignages du terrain pointent tous dans le même sens : pour un très grand nombre de médecins, peut-être la grande majorité, cette réforme impose des objectifs sans donner les moyens de les atteindre. On a la contrainte sans la mécanique de solution.
Il faut que l’utilité et la pertinence de cette réforme soient démontrées concrètement, si ça se peut. Parce que jusqu’ici, elle repose sur des slogans comptables.
C’est pourquoi François Legault doit donner un grand coup de frein tout de suite avant que les choses ne dérapent. Il en est capable quand l’heure est grave.
Québec doit au moins retarder l’entrée en vigueur du projet de loi. Janvier, c’est demain !
Il faut en appeler à un arbitre, devant qui les choses pourront être exposées calmement. Quitte à ce que le résultat ne soit pas contraignant.
Parce que l’orgie de procédures judiciaires qui s’en vient pour contester cette loi d’urgence exorbitante n’apportera rien de bon, sauf aux avocats.
Ce climat pourri ne peut pas durer.
1. Lisez « Elle-même médecin, la fille de Lionel Carmant pourrait quitter le Québec »




