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Élections municipales | Les Pays-d’en-Haut sens dessus dessous

Pans de montagne défrichés, condos qui se multiplient, population en explosion : depuis la pandémie, l’afflux de résidants de la région de Montréal vers Sainte-Adèle met la nature, les infrastructures et les habitants sous pression. Au point que beaucoup craignent qu’ironiquement, la tranquillité qui attire tout le monde dans cette petite ville des Laurentides ne finisse par disparaître.


Publié à 6 h 00

(Sainte-Adèle) « Quand on fait du développement trop vite, on fait des erreurs. Et ça, ça en est une preuve », me lance la candidate à la mairie de Sainte-Adèle, Nadine Brière.

Elle pointe un terrain qui semble avoir été victime d’un bombardement.

Arbres rasés, monticules de terre retournée, structures et fondations de maison abandonnées : l’endroit est manifestement en chantier, mais aucun travailleur ne s’y active.

Nous sommes devant ce qui devait devenir « Le Bourg du Lac », un complexe de logements locatifs situé tout près du lac Rond. « Occupation Été 2025 », annonce toujours le site web du promoteur. Il n’y a pourtant pas d’occupants. Et personne ne sait s’il y en aura un jour.

En juin dernier, un incendie a ravagé le chantier. La Sûreté du Québec enquête. La Ville a ensuite suspendu, puis révoqué le permis de construction du promoteur. Une analyse du ministère de l’Environnement a montré que deux ruisseaux traversent le terrain. Des bandes riveraines auraient dû être conservées le long de chacun d’eux.

Pour la candidate Nadine Brière, qui a déjà été mairesse de Sainte-Adèle entre 2017 et 2021, ce projet avorté illustre toute la pression qui pèse sur sa municipalité. Depuis quatre ans, elle calcule que 2053 nouveaux logements ont été autorisés. Pour une ville qui comptait 14 000 habitants au recensement de 2021, c’est un tsunami.

D’où viennent tous ces gens ? En grande majorité de la région de Montréal. Depuis la pandémie, le télétravail et le désir d’air pur poussent les citadins vers cette petite ville des Laurentides. Ski alpin, ski de fond, randonnée, vélo de montagne… le tout à une heure de Montréal (quand il n’y a pas de bouchons, évidemment). Le mot s’est passé.

Sur place, le boom est impossible à manquer. Sur le boulevard Sainte-Adèle, au cœur de la ville, on a grugé dans le roc de la montagne pour dégager juste assez d’espace pour insérer un bloc de condos entre la falaise et la route.

Les montagnes environnantes sont quadrillées de nouvelles routes de gravier. Les chantiers sont partout, tout comme les pancartes annonçant « Réservez votre maison dès maintenant ». Des dizaines d’employés s’affairent sur l’immense site du projet Relief Nord, en pleine forêt, où 82 triplex sont en train d’être érigés.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le mégaprojet locatif Relief Nord, construit directement dans la montagne

Le 1er octobre, l’administration actuelle a imposé un moratoire sur le prolongement et l’ouverture de nouvelles rues hors des périmètres urbains. Nadine Brière va plus loin. Si elle est élue, elle interdira toute nouvelle construction le temps de mener une réflexion.

Une pause s’impose. On a délivré des permis de construction beaucoup trop rapidement, sans réfléchir aux conséquences. Moi, quand je reçois à souper chez nous, je m’arrange pour être capable de recevoir. En ce moment, on n’est plus capable de recevoir le monde.

Nadine Brière, candidate à la mairie

Elle me parle des pressions sur le réseau d’eau potable. Sur l’usine d’épuration. Sur Hydro-Québec, sur les écoles qui débordent, sur la circulation automobile.

Son adversaire à la mairie, Martin Jolicœur, partage les mêmes préoccupations.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le candidat à la mairie Martin Jolicœur

« Dans les 100 premiers jours, je veux faire un rapport sur la quantité et la qualité de l’eau qu’on a à Sainte-Adèle. Quel est le maximum qu’on peut fournir ? Et je vais faire la même chose pour les égouts », promet-il.

Sa stratégie est toutefois différente. Pour les nouveaux projets en montagne, il veut obliger les promoteurs à vendre des terrains d’au moins 75 000 pieds carrés par maison.

Cela ne risque-t-il pas d’encourager encore plus l’étalement ?

« Non, me répond-il. Actuellement, certains promoteurs ont des projets de 300 unités en pleine montagne. Notre mesure va les limiter. Et on va limiter la coupe d’arbres permise sur chaque terrain. »

Je laisse les Adélois juger de la valeur de chaque proposition. Chose certaine, ces enjeux les préoccupent. Alors que je discute avec Nadine Brière devant le site abandonné du Bourg du Lac, un citoyen interpelle la candidate. Jocelyn Gauthier est propriétaire d’un duplex situé juste en face du chantier abandonné et tente de le louer.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La candidate à la mairie Nadine Brière discute avec Jocelyn Gauthier, Adélois propriétaire d’un duplex situé en face du chantier abandonné du projet « Le Bourg du Lac ».

Vous allez faire quoi avec ça ? Ça fait dur en tabarouette ! On veut louer, nous. Les gens viennent, ils nous disent que la maison est belle. Puis ils se retournent et disent : c’est quoi ce désastre écologique ?

Jocelyn Gauthier, propriétaire d’un duplex

M. Gauthier juge lui aussi que ça construit trop vite à Sainte-Adèle.

« Avant, ça avait un cachet ici, lance-t-il. Là, c’est rendu comme Laval. Est-ce que ce serait possible de laisser Laval… à Laval ? »

Huguette Corbo fait partie de ces citadins qui ont craqué pour Sainte-Adèle. En mettant le pied dans son salon, je comprends immédiatement pourquoi. Une baie vitrée en demi-cercle offre une vue spectaculaire sur les montagnes environnantes, encore ponctuées des dernières couleurs automnales.

Après une carrière à la Ville de Montréal, Mme Corbo a déménagé ici en 2020, quelques jours avant le déclenchement de la pandémie. Depuis, sa maison a doublé de valeur. Et Sainte-Adèle s’est transformée.

« J’aime nager, et ici, il y a le lac Rond, illustre-t-elle. Mais c’est devenu tellement fréquenté ! Alors, j’y vais moins. J’y vais quand on gèle et qu’il n’y a plus un chat ! »

Elle comprend néanmoins le désir de développement.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Huguette Corbo, résidante de Sainte-Adèle depuis 2020

Ça prend de l’argent pour faire vivre cette ville, ça prend du monde. Et il y a de plus en plus de monde et de moins en moins de logements. À un moment donné, ouvrez-vous ! Ce n’est pas fini, ici, ça va continuer.

Huguette Corbo, résidante

Elle souhaiterait toutefois que le développement soit plus respectueux de l’environnement. « J’aimerais mieux qu’ils revoient le plan d’urbanisme plutôt que d’arrêter le développement », résume-t-elle. Elle insiste pour dire qu’elle a acheté une maison existante qui n’a pas contribué à l’étalement de la ville.

André Bérard et Benoit Huard, des Adélois de longue date, sont plus catégoriques : ils n’aiment pas le virage que prend leur ville. Les deux amis, que je rencontre chez M. Bérard, en ont long à dire.

« Nous, les gens qui habitent Sainte-Adèle, on est venus s’établir ici pour des raisons bien précises. Et ces raisons-là, elles sont en train de disparaître », dit Benoit Huard, qui énumère le charme, la nature et la tranquillité.

André Bérard est bien conscient du paradoxe.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

MM. Benoit Huard et André Bérard n’aiment pas le virage que prend leur ville.

« Les gens viennent chercher quelque chose ici, mais ils contribuent en même temps à le détruire, observe l’ancien journaliste. Donc on n’a pas le choix : à un moment donné, il faut tirer un trait, fixer des limites et encadrer ça. Sinon, tout le monde perd. »

Les deux amis se défendent bien de faire du « pas dans ma cour ».

« Pour parler de pas dans ma cour, encore faut-il avoir une cour ! Et on est à la veille de ne plus en avoir ! », lance M. Bérard en boutade.

Si on construisait des logements abordables pour les gens d’ici, ce serait différent. Mais ce n’est pas ça qui se passe. Dans les nouveaux projets, les condos de 600 pieds carrés se louent à 1700 $ par mois.

Benoit Huard, résidant

André Bérard observe que les nouvelles constructions font grimper les prix partout, ce qui n’aide en rien les résidants actuels.

J’avoue que je comprends les inquiétudes des gens de Sainte-Adèle. Oui, il y a une crise du logement. Oui, il faut construire. Mais la solution me semble être de densifier les milieux déjà urbanisés, pas de défricher des pans de montagne comme je l’ai vu sur place.

« Jusqu’à maintenant, les élus ont confié l’identité de Sainte-Adèle à des gens de l’extérieur qui ont une vision pécuniaire, estime M. Bérard. Pour eux, notre identité, c’est le tourisme et l’immobilier. Il est temps que ce soient les Adélois qui décident de l’identité de leur ville. »


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