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Québec défend sa loi spéciale, des médecins font leurs valises

Pendant que le gouvernement Legault défend sa loi spéciale sur les médecins, le Collège des médecins de l’Ontario enregistre une hausse des demandes de la part de praticiens québécois qui veulent traverser la frontière — et qui commencent déjà à l’annoncer à leurs patients.

Depuis jeudi dernier, le Collège des médecins de l’Ontario (CPSO) a reçu 60 demandes de la part de médecins québécois qui souhaitent pratiquer dans la province voisine. En comparaison, un total de 19 requêtes semblables avaient été envoyées entre le 1er juin et le 22 octobre dernier.

Dans un courriel au Devoir, un responsable des communications écrit que le Collège ne documente pas les raisons qui poussent les médecins québécois à faire ce type de demande. Reste que l’organisation a mis sur pied un « parcours simplifié » vers l’accréditation en fonction des « besoins évolutifs en main-d’œuvre », a écrit Mickey Cirak.

Pour deux médecins de la Montérégie avec qui Le Devoir a discuté, la motivation est claire, et elle s’appelle « projet de loi 2 ».

« Je suis en train d’appliquer pour CPSO, je fais les démarches », dit Alexandre Prud’homme-Delage, un médecin de famille de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il a payé les 2000 $ de frais pour sa demande et a commencé à envoyer des CV dans des cliniques ontariennes. « Je suis exactement le genre de médecin que le ministre veut », souligne l’omnipraticien en détaillant ses semaines de 60 heures de travail. Reste qu’il s’est construit une grille Excel et qu’il a calculé que sa rémunération serait amputée de 55 % en raison de la réforme. « Moi, je m’en vais, parce que, sinon, je fais faillite », lance le père de famille. Il entend faire la navette entre Saint-Jean-sur-Richelieu et la ville ontarienne qui accueillera sa candidature.

« Dormir, c’est tough »

À Saint-Hyacinthe, le chef d’un groupe de médecine de famille (GMF) a commencé mardi à annoncer son départ à ses patients. « Ce n’était pas drôle », laisse-t-il tomber. Le médecin, qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles, suit 1400 patients, dont certains à domicile. Mille d’entre eux sont vulnérables. Certains de ses patients ont le numéro de cellulaire de sa conjointe, qu’ils peuvent appeler pour éviter un séjour à l’urgence.

« Dormir, c’est tough », reconnaît-il. Vendredi dernier, pendant que l’Assemblée nationale s’apprêtait à adopter une loi spéciale, l’omnipraticien a « faxé une demande pour désinscrire [ses] patients ».

Le médecin dit qu’il n’avait aucun problème avec la modification de son mode de rémunération ou avec l’objectif d’inscrire tous les Québécois dans un milieu de soins, à condition que Québec s’engage à donner à tous les moyens pour y parvenir. L’approche frontale du gouvernement Legault l’a découragé. « Il aurait juste dû y aller par étapes, moins par la confrontation », suggère-t-il.

Lui aussi fera des allers-retours entre le foyer familial et l’Ontario, où il entend commencer à pratiquer pour une organisation fédérale durant le temps des Fêtes. En parallèle, il organisera son départ, prévu le 1er avril. « Je ne veux pas les laisser trop en plan », dit-il au sujet de ses patients.

Une poursuite et un rapprochement

À son arrivée à l’Assemblée nationale, le premier ministre a défendu sa réforme, adoptée sous bâillon aux petites heures de la nuit samedi. « On a essayé depuis deux ans », a dit François Legault au sujet des négociations avec les fédérations de médecins, qui n’ont pas abouti. « Si on attendait que les syndicats soient d’accord avant de changer le mode de rémunération, on ne le ferait jamais. Donc, il faut avancer », a-t-il plaidé.

Il s’est néanmoins dit « ouvert à des discussions pour améliorer les façons de faire ».

À ce chapitre, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a offert ses services. Sa conjointe et sa fille, médecins comme lui, sont « fâchées », a-t-il reconnu. « Je veux contribuer à un rapprochement dans les prochaines semaines », a-t-il proposé.

Entouré de collègues qui s’étaient masqués la bouche avec du ruban noir, le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), Vincent Oliva, a annoncé que son organisation comptait déposer mercredi une demande au tribunal afin qu’il suspende l’application de la loi. « Au minimum, la violation des libertés individuelles va être au cœur de cette poursuite », a-t-il annoncé.

La FMSQ en a notamment contre une disposition de la loi qui bonifie la rémunération des médecins lors d’une première consultation. Elle calcule que des spécialistes perdront de 30 à 50 % de leurs revenus. Québec estime que les spécialistes les plus durement touchés seraient les pneumologues, à hauteur de 17 %. Sauf qu’il affirme que les sommes réservées pour ce « supplément à la consultation » ne seront pas retirées aux médecins, mais bien redistribuées.

En pratique, un tel supplément est donné à un orthopédiste, par exemple, lorsqu’un médecin de famille lui réfère un patient. Cela crée donc des situations dans lesquelles un physiothérapeute réfère un patient à un médecin de famille afin que ce soit lui qui l’envoie ensuite vers le spécialiste, explique-t-on à Québec, où on dit souhaiter corriger ce genre d’incongruité par le biais de négociations.

La FMSQ veut exclure Dubé des négos

Le Dr Oliva a cependant été clair : la FMSQ ne souhaite plus discuter avec le ministre Dubé, avec qui « les carottes sont cuites ». La fédération médicale reviendra à la table seulement si elle a pour interlocuteur le premier ministre et que celui-ci « enlève toutes les cochonneries » que contient la loi. Pour seule responsabilité dans cette situation, le Dr Oliva a dit avoir été « trop naïf » face au gouvernement.

« Je comprends très bien la réaction des médecins ce matin, des spécialistes », a réagi le ministre Dubé. « Ce sont de gros changements qu’on demande. C’est leur prérogative de prendre le processus légal », a-t-il ajouté.

De son côté, le Programme d’aide aux médecins du Québec a dit avoir enregistré une hausse des demandes, du simple au double, récemment. « Dans les derniers jours, c’est indéniable », observe sa codirectrice médicale, Sandra Roman. « Il y a beaucoup d’anxiété, de gens en perte de repères, sans mots, sous le choc, blessés. »

Dans une communication envoyée à l’interne, la grande patronne de Santé Québec, Geneviève Biron, a de son côté déclaré aux professionnels du réseau qu’il valait mieux demeurer « calmes » dans le contexte actuel. « Tous ensemble, maintenons un climat serein et respectueux dans nos milieux de travail. Pour ce faire, nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour préserver cette stabilité », a-t-elle écrit.

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