Mémoires de Lisette Lapointe: «Jacques Parizeau, c’est pas un raciste»

Jacques Parizeau n’a jamais visé les citoyens des communautés culturelles quand il a prononcé sa phrase malheureusement célèbre sur «l’argent puis des votes ethniques», le soir de la défaite référendaire, soutient Lisette Lapointe dans un livre dévoilant notamment les coulisses de la campagne de 1995.
Dans ses mémoires répertoriés pour l’ouvrage intitulé De combats et d’amour, l’ancienne première dame raconte une vie mouvementée entrelacée avec le destin politique du Québec.
Mémoires de l’ancienne première dame du Québec Lisette Lapointe
Courtoisie Lisette Lapointe
Dès son jeune âge, Lisette Lapointe s’affiche comme une femme en quête de liberté, au risque de déplaire. Rapidement, elle s’implique en politique et sera attachée de presse de Jacques Parizeau, celui qui deviendra son époux de nombreuses années plus tard.
Et Lisette Lapointe ne sera pas seulement la femme du premier ministre, mais aussi sa conseillère. Elle occupera même un bureau adjacent à celui du chef au troisième étage du «bunker».
Elle est donc aux premières loges durant la campagne référendaire. Notamment lorsque Parizeau accepte de nommer Lucien Bouchard comme chef du camp du Oui. Pour la cause, il est prêt à tout, même à rester dans l’ombre du chef du Bloc Québécois, un homme avec qui les relations ont toujours été tendues.
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Mais le virage surprise orchestré par Bouchard, qui n’avait pas prévenu le premier ministre du changement de stratégie, est «la goutte d’eau qui fait déborder le vase». Lorsqu’il lance l’idée d’un partenariat économique et politique avec le Canada au lendemain d’un référendum gagnant durant un discours, Jacques Parizeau, assis au premier rang, continue de sourire, mais il se sent trahi.
Mémoires de l’ancienne première dame du Québec Lisette Lapointe
Courtoisie Lisette Lapointe
Le jour J
À moins d’une semaine du jour J, le camp du Oui subit un «coup dur». Les représentants des communautés d’origine grecque, italienne et juive du Québec incitent publiquement leurs quelque 400 000 membres à voter Non.
Le jour du scrutin, le coup fatal frappe le premier ministre à 22 h 20, lorsque la victoire du Non est prononcée. La première dame le supplie alors de renoncer à démissionner le soir même. Son conseiller Jean-François Lisée s’active à écrire un discours. «Jacques y a jeté un coup d’œil, puis l’a aussitôt enfoui dans sa poche.»
L’homme déçu s’est approché du micro, sans texte. «On a été battus au fond par quoi? Par l’argent, puis des votes ethniques, essentiellement», a-t-il déclaré.
À son retour de la scène, elle n’a rien dit mais comprenait que les paroles, sans explications, pouvaient déclencher «un tsunami».
Elle est catégorique: jamais Jacques Parizeau n’a visé les citoyens des communautés culturelles. «Il n’a pas dit: “le” vote ethnique ni “les” votes ethniques, mais bien “des” votes ethniques, faisant référence aux mots d’ordre donnés par les dirigeants du Congrès grec, du Congrès italien et du Congrès juif du Canada.»
«Jacques Parizeau, c’est pas un raciste», ajoute-t-elle, en entrevue avec notre Bureau parlementaire, revenant sur cette journée historique mais déchirante.
Photo Agence QMI, JOEL LEMAY
L’ultimatum de Landry
Et les heures qui ont suivi l’étaient tout autant. Après une courte nuit, une sonnerie stridente les réveille au petit matin dans la chambre d’hôtel.
Au bout du fil, c’est le vice-premier ministre Bernard Landry. «J’entends distinctement la voix à l’autre bout du fil et je blêmis à mon tour: “Allez-vous démissionner? Allez-vous le faire? Si vous ne démissionnez pas, je demanderai publiquement votre démission.”»
Parizeau a raccroché sans même répondre à l’ultimatum. «Jacques l’a vécu comme une trahison, l’une des pires. Moi également.»
Un show pour répliquer au love-in
Trois jours avant le référendum, le fameux love-in a lieu, organisé par les forces fédéralistes. Des dizaines de milliers de Canadiens de partout au pays convergent vers Montréal pour manifester leur amour du Québec. Les dirigeants du camp du Non, comme Jean Chrétien et Jean Charest, sont présents. De leur fenêtre d’hôtel, Jacques Parizeau et Lisette Lapointe constatent l’ampleur de l’événement, qui a dû coûter une fortune. Le lendemain, le chanteur Claude Dubois proposait d’organiser un grand spectacle au Stade olympique pour répliquer, une offre qui restera lettre morte. Même si les artistes avaient renoncé à tout cachet, ce serait quand même considéré comme une dépense et les souverainistes approchaient de la limite permise. «Je ne sais pas ce que ça aurait changé, glisse Lisette Lapointe. Mais tout est important dans la dernière semaine d’une campagne référendaire…»
L’amphithéâtre, la goutte de trop
Le passage de Lisette Lapointe en politique active à l’Assemblée nationale, à titre de députée péquiste de Crémazie, ne se passe pas comme elle l’avait imaginé. Sa relation avec Pauline Marois commence à se dégrader lorsqu’elle découvre que sa cheffe laisse tomber la tenue d’un référendum dans le premier mandat d’un gouvernement du PQ. Mais la goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est le projet de loi privé parrainé par le PQ qui protège une entente entre la Ville de Québec et Québecor pour la construction d’un amphithéâtre contre les recours juridiques. «Son équipe était obnubilée par cette volonté qu’elle devienne la première femme premier ministre; c’était le but ultime.» Des députés s’étaient même transformés en goons pour intimider les collègues qui étaient réfractaires. Lisette Lapointe, Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Jean-Martin Aussant claqueront la porte du PQ dans la foulée de cette controverse.
Une femme séparée peut perdre son job
Les mémoires de Lisette Lapointe nous rappellent qu’il n’y a pas si longtemps, les femmes devaient cacher leur séparation maritale pour ne pas perdre leur job. La réalité frappe la jeune enseignante de plein fouet après sa rupture avec son premier mari. «Je n’ai aucun droit: pas le droit de faire opérer mon enfant sans l’accord du père, pas le droit de contracter un emprunt à la banque sans endosseur… Pourtant, j’ai un emploi. Je dois à tout prix m’assurer de n’éveiller aucun soupçon à l’école; autrement, je perdrais mon emploi.» Et surtout, lorsqu’on est victime de harcèlement ou de gestes à caractère sexuel, on se tait. Alors qu’elle travaille dans les cabinets du gouvernement péquiste et se rend au domicile d’un collègue, celui-ci la prend par surprise et l’embrasse contre son gré en tirant ses vêtements. «J’arrive à me libérer, je sors en hâte de l’appartement, complètement sonnée, humiliée. Il m’en voudra, me le fera payer. Je m’efforce d’oublier cet épisode», se limite-t-elle à raconter, sans jamais mentionner son nom.
Son fils heurté par un conducteur ivre
Lisette Lapointe fait face à l’une des pires épreuves pour une mère: son fils Hugo, qui est alors âgé de 12 ans, est heurté par une moissonneuse-batteuse en bordure de la route. Le conducteur est le maire de Saint-Sulpice, qui conduisait en état d’ivresse. Le jeune garçon subit de multiples fractures et plusieurs organes sont touchés, qui nécessiteront une difficile rééducation. C’est le début de longues procédures juridiques et surtout, de son combat pour modifier le no fault. Mais jamais elle n’a voulu profiter de sa situation de première dame pour inciter le premier ministre Jacques Parizeau à modifier la Loi sur l’assurance automobile et les victimes de la route. «Parce qu’il aurait été immoral de se servir soi-même.»




