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Le grand retour des annulés | Marie-France Bazzo en terrain miné

Pour Le grand retour des annulés, Marie-France Bazzo a tendu la perche à presque toutes les personnalités qui ont disparu de l’espace public depuis l’avènement du mouvement #metoo. Finalement, seul Bernard Adamus a accepté de témoigner à visage découvert. L’animatrice appréhende déjà les réactions.


Publié le 7 novembre

Sera-t-elle elle-même « cancellée » pour ce documentaire qui interroge la culture de l’annulation ? Durant le tournage, cette crainte l’a habitée, mais le sujet était trop important pour passer à côté.

« C’est un mouvement qui a indéniablement changé nos mœurs. Et pourtant, on n’en parle jamais. C’est comme s’il y avait un black-out sur les années que l’on vient de vivre », s’étonne Marie-France Bazzo, qui comprend, cela dit, la peur que plusieurs ont d’aborder un sujet aussi sensible en public. Plus que ça : elle la partage.

À l’été 2020, l’animatrice et productrice a préféré ne rien dire quand la liste de dénonciations anonymes a fait son apparition sur les réseaux sociaux. Elle se souvient de s’être sentie « dépassée » par l’ampleur de la vague. Les combats de la nouvelle garde féministe ont toujours laissé perplexe la collaboratrice de La Presse. Elle était déroutée de voir plusieurs personnalités publiques perdre tout du jour au lendemain, sans avoir eu droit à un procès.

J’étais vraiment effarée par tout ce qui se passait. C’était de la délation, et de la délation, ce n’est pas très joli dans une société.

Marie-France Bazzo

Marie-France Bazzo croit que le Québec a évolué depuis cinq ans. La culture de l’annulation existe toujours, mais les mentalités ont changé. « La société s’est donné des outils qui n’étaient pas là il y a cinq ans. Je ne suis pas certaine que l’on verrait encore aujourd’hui une liste de dénonciations anonymes apparaître. Je ne l’espère pas en tout cas, car ces listes-là sont puantes. Je pense qu’il y a un consensus aujourd’hui pour dire que c’est extrême comme manière de faire », avance Marie-France Bazzo, qui fonde beaucoup d’espoirs sur la justice réparatrice.

Un mouvement nécessaire

Dans le cadre de ce documentaire, la sociologue de formation a néanmoins cherché à comprendre pourquoi autant de femmes s’en étaient remises à la dénonciation anonyme en ligne pour chercher justice. Marie-France Bazzo a tenu à s’entretenir avec certaines militantes féministes très actives en ligne.

Ces dernières s’opposent à tout retour dans l’espace médiatique des personnalités publiques visées par des allégations d’inconduite sexuelle. Dans leur esprit, pratiquer un métier dans l’œil du public est un privilège. Quel message envoie-t-on aux victimes sinon ?

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Coralie LaPerrière et Emna Achour, créatrices du compte Instagram @pasdefillesurlepacing

Sans partager leur opinion, Marie-France Bazzo reconnaît mieux comprendre aujourd’hui leur raisonnement. Au fil de ses rencontres, sa réflexion a d’ailleurs évolué.

Avec le recul, je pense que ce mouvement-là était nécessaire. Ça a suscité toute une discussion autour du consentement. Ça a éduqué des générations de garçons, qui font plus attention aujourd’hui dans leurs relations avec les filles.

Marie-France Bazzo

« Et quand on regarde aujourd’hui la montée du masculinisme, il y a lieu de se demander si ce mouvement-là est allé assez loin », laisse tomber Marie-France Bazzo, qu’on sent tiraillée sur ces enjeux. À l’image de ce documentaire, qui soulève beaucoup de questions, sans nécessairement apporter de réponses.

Croire à la deuxième chance

D’un côté, Marie-France Bazzo affiche un soutien total envers les victimes d’agressions de toutes sortes. Pas question pour elle de remettre en question le « on vous croit ». Mais de l’autre, elle ne cache pas non plus une certaine empathie pour les personnalités annulées qui ont entamé un cheminement personnel. Si elle refuse d’en faire des victimes au même niveau, l’animatrice est tentée de croire à la rédemption.

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Bernard Adamus dans une scène du documentaire

Pour Le grand retour des annulés, Marie-France Bazzo a rencontré plusieurs d’entre elles. Hors caméra, les conversations, souvent intenses, ont parfois duré des heures. Certains peinent à se trouver un emploi. Leurs amis leur ont souvent tourné le dos. Tous lui ont confié avoir pensé au suicide.

« Tous ! », insiste, visiblement ébranlée, Marie-France Bazzo, qui n’aura réussi à convaincre que Bernard Adamus de participer à son documentaire.

« Bernard Adamus, qui est sobre depuis cinq ans, m’a convaincue du travail qu’il a fait sur lui-même. Je ne veux pas banaliser le mot “courage”, mais il a fait preuve d’un certain courage en témoignant. Et il l’a fait sans être entouré d’une firme de relations publiques », remarque l’animatrice.

Malaise persistant

S’il se tient encore à l’écart de l’industrie, Bernard Adamus se produit aujourd’hui dans des petites salles en région. Quant à l’humoriste Julien Lacroix, il s’apprête à reprendre la route avec une nouvelle tournée.

Éric Lapointe, qui a fait récemment l’objet d’une série documentaire sur Crave, sera pour sa part au Centre Vidéotron le 31 décembre prochain, tandis que l’on peut entendre Maripier Morin tous les jours sur les ondes de Rythme, la station musicale la plus écoutée à Montréal.

Plusieurs des « annulés » ont connu une traversée du désert. Et si une partie du public est toujours au rendez-vous, il subsiste quand même un malaise autour de leur retour dans la sphère publique.

« Tu n’es pas obligé d’aller les voir en spectacle ou d’acheter leur disque », raisonne Marie-France Bazzo, qui constate que l’opinion publique est en train d’évoluer autour de la culture de l’annulation.

Le grand retour des annulés, le lundi 10 novembre, 20 h, à Télé-Québec. Dès maintenant sur telequebec.tv.

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