L’information régionale écope… encore!

Rappelons les faits: Pas moins de 87 personnes ont appris, mercredi matin, qu’elles perdaient leur emploi à Groupe TVA. Des compressions qui s’ajoutent, rappelons-le, à d’autres importantes coupures survenues en novembre 2023 et durant lesquelles 547 personnes s’étaient retrouvées au chômage.
Le service de l’information en région avait été complètement remodelé, avec l’enregistrement des bulletins à partir de Québec. Pas moins de 70 % des effectifs de la station de Trois-Rivières avaient été remerciés, gardant sur le terrain quatre journalistes en plus des caméramans.
Cette fois-ci, les compressions touchent davantage les caméramans-monteurs, opérateurs et techniciens. Pas forcément ceux et celles que vous voyez tous les jours dans votre écran, mais dont les fonctions sont tout de même essentielles pour la production de contenu de qualité.
En région, ça se traduira notamment par l’abolition de plusieurs postes de caméramans. Dans les stations de Trois-Rivières, Sherbrooke, Saguenay et Rimouski, il ne restera plus qu’un seul caméraman par station, et les journalistes devront désormais tourner eux-mêmes leurs images.
Certes, aucun poste de journaliste n’écope — pas cette fois-ci — mais la qualité de l’information n’en sera pas pour autant épargnée. Ça, le public ne le réalise peut-être pas encore.
Faisons ensemble un petit cours de journalisme 101.
Dans une équipe télévisée formée par un duo journaliste-caméraman, le rôle du caméraman ne se résume pas seulement à tenir la caméra et faire le focus sur son ou sa collègue. À travers une journée de travail, chaque geste qu’il pose a une conséquence directe sur la qualité de l’information qu’on vous présentera.
Ça passe d’abord par le temps. Celui que le caméraman consacre à effectuer des tâches que le journaliste n’a pas besoin de faire, lui permettant de se concentrer sur la recherche et la cueillette d’information. Et oui, ça va jusqu’au fait que c’est aussi le caméraman qui conduit le camion lors des déplacements pour les tournages.
«Tous nos reportages, on les écrit dans la voiture pendant le déplacement. Sinon, on n’aurait jamais le temps», me confie un collègue, qui se demande bien comment il pourra faire désormais, avec encore moins de temps dans sa journée.
Une simple couverture média à Shawinigan, par exemple, ça voudra dire désormais une heure consacrée au déplacement, une heure de moins dans la journée du journaliste, qui doit également télécharger lui-même ses images, faire son propre montage et se déplacer par ses propres moyens en gardant les deux yeux fixés sur la route. Ah oui: tout ça en livrant deux bulletins par jour et en ayant terminé, idéalement, pour 16 h…
Du temps aussi qu’il ne consacrera pas à fouiller, à faire des entrevues, à dénicher des histoires, à tendre le micro vers la personne qui a un message crucial à passer à la société.
Et j’oserais ajouter qu’un caméraman avec parfois 25 ou 30 ans d’expérience, comme ceux qui perdront bientôt leur emploi à Trois-Rivières, ça devient un partenaire précieux dans la cueillette d’information, l’étendue du réseau de contacts, la capacité à cultiver de multiples sources. C’est un atout essentiel au travail journalistique.
«Il me semble qu’on roulait déjà sur le fer depuis les annonces faites il y a deux ans. Là, je ne sais pas comment on va pouvoir presser encore davantage le citron. Il n’y a juste plus de jus».
— Journaliste de TVA qui a demandé à conserver l’anonymat
Qu’on se le tienne pour dit: oui, l’information régionale en sera affectée. Peu importe ce qu’on tente de nous faire croire.
Les petites municipalités éloignées des capitales régionales verront de moins en moins les équipes de TVA se déplacer pour aller les couvrir, par manque de temps. Les organismes qui ont grandement besoin de visibilité pour faire connaître leurs missions et aider les gens, les entreprises qui souhaiteront faire connaître leurs bons coups et leurs investissements…
Les politiciens qui, en campagne électorale, auront besoin de faire sentir leur présence partout, et pas juste dans les grands centres…
Vos histoires, vos réalités, celles qui dépeignent votre coin de monde et qui ont leur importance tout autant que bien d’autres…
La vitalité démocratique de nos régions…
Dans un communiqué diffusé mercredi avant-midi, le président et chef de la direction par intérim, Pierre Karl Péladeau, soulève des questions quant à la nécessaire intervention de l’État pour tenter de sauver le diffuseur privé.
Un discours qui n’est pas nouveau et qu’il a plaidé maintes fois, notamment lors du dernier lancement de saison de TVA. D’habitude festif, cet événement s’est transformé en véritable cri d’alarme, comme le rapportait mon collègue Richard Therrien en août dernier.
Depuis 2023, ce sont près de 800 postes qui ont été abolis au Groupe TVA, relate la direction de l’entreprise. Seulement pour les neuf premiers mois de l’année, on enregistre des pertes nettes de 17 millions de dollars, ajoute-t-on.
La tempête que traversent l’ensemble des médias, elle, est d’abord causée par la migration de plus de 80 % des revenus publicitaires des médias traditionnels vers les géants du web, mais sans que ceux-ci aient voulu payer des redevances sur la diffusion des contenus.
La loi C-18 devait remédier à cette situation, mais a plutôt incité META, soit Facebook et Instagram, à cesser la diffusion de contenus journalistiques au Canada. Résultat: une très grande partie de la population qui s’abreuvait d’information sur ces plateformes n’est désormais plus exposée à un contenu journalistique crédible et objectif pour s’informer.
Oui, des ententes ont été conclues avec Google, qui verse désormais 100 millions de dollars aux médias canadiens en redevances. Ça aide, mais ça ne sauvera pas l’ensemble de l’industrie.
Partout au pays, les médias régionaux multiplient donc les efforts, l’innovation et l’ingéniosité pour tirer leur épingle du jeu. Oui, de beaux succès se vivent à certains endroits, mais personne ne peut réellement se vanter d’être pour toujours tiré d’affaire.
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) s’est dite très inquiète, mercredi, de voir que cette décision affectera directement la qualité de l’information en région.
«On craint depuis plusieurs années que des déserts médiatiques voient le jour dans certaines régions du Québec. On s’en rapproche un peu plus avec ces nouvelles compressions».
— Éric-Pierre Champagne, président de la FPJQ
Selon le président Éric-Pierre Champagne, il faut également s’inquiéter de la montée fulgurante de l’intelligence artificielle générative qui favorise la diffusion de fausses nouvelles partout au Québec.
En attendant, je sais que les confrères et consœurs vont se lever demain matin, et continueront de faire leur travail avec le même professionnalisme et la même passion qui les habite chaque jour. Ce sera tout de même avec le cœur gros de réaliser ce qu’ils sont sur le point de perdre.
Ce sera aussi avec une réelle inquiétude de ne pas savoir quand surviendra la prochaine mauvaise nouvelle, et quel sera le média qui écopera.
Il ne faudrait pas attendre de perdre l’information locale pour comprendre la réelle valeur qu’elle a pour nos communautés.




