L’enfer de l’ARC et des vies coincées derrière la ligne occupée

Des contribuables racontent comment la machine fiscale les a mis dans le trouble.
Des heures d’attente, des réponses floues, voire incorrectes, ou la ligne qui coupe juste avant d’avoir les informations dont on a besoin. Bienvenue dans le service à la clientèle de l’Agence du revenu du Canada (ARC), où la patience, beaucoup de patience, est de mise. Et, surtout, un peu de chance.
En 2026, ça fera deux ans que je suis travailleuse autonome. Ça fera donc deux ans que je dois payer des acomptes provisionnels plutôt que des impôts prélevés sur ma paie. Une nouvelle réalité qui amène son lot de questions.
En mai, j’ai tenté d’appeler à l’ARC pour obtenir des réponses, moi qui ai une peur bleue de passer tout droit sur un paiement et d’être prise en défaut. Pendant un mois, j’ai tenté 18 fois de parler à un agent.
Pas une seule fois, je n’ai réussi à obtenir la ligne, comme environ 82 % des contribuables ayant tenté de joindre l’ARC au cours de la dernière année, selon le plus récent rapport du bureau de la vérificatrice générale du Canada.
Publié en octobre, le document indique aussi que ceux qui réussissaient à parler à un téléphoniste n’étaient pas certains d’obtenir les bons renseignements. Pour parvenir à ce constat, le bureau de la VG a effectué 167 appels à l’ARC entre février et mai 2025. « Leurs réponses aux questions liées à l’impôt des entreprises ou aux questions générales relatives aux prestations étaient exactes dans un peu plus de 54 % des cas, tandis que les réponses aux questions générales concernant l’impôt des particuliers n’étaient exactes que dans 17 % des cas », peut-on lire.
Ces observations rejoignent celles du Syndicat des employé.e.s de l’impôt. Cet été, celui-ci affirmait à Radio-Canada qu’en raison d’importantes compressions ayant éliminé 2 300 emplois dans les centres d’appels en un an, à peine 5 % des appels sont pris en charge.
Pour les 95 % restants, ça sonne dans le néant.
Un délai anormal qui coûte cher
La patience de Philippe D. a été mise à rude épreuve cet été quand il a eu besoin de rejoindre l’ARC.
Peu de temps après avoir envoyé sa déclaration de revenus, le contribuable a réalisé qu’il avait oublié d’y inclure un relevé de placement pour des REER qui lui donnait droit à « un bon retour d’impôt ». On parle ici de quelques milliers de dollars, les deux paliers gouvernementaux confondus.
« J’ai fait faire le redressement avec mon comptable et on a envoyé ça rapidement, vers la mi-mai », relate Philippe en entrevue.
Un mois plus tard, son retour d’impôt provincial était déposé sans anicroche. Silence radio du côté de l’ARC.
De plus, aucune information répondant à ses interrogations n’était disponible sur le site du ministère, déplore celui qui, à la mi-septembre, a décidé d’appeler l’ARC pour savoir si un tel délai était normal.
Le premier agent qui a pris son appel était courtois et aidant, note Philippe, qui avait attendu plus d’une heure pour parler à un être humain, après avoir conquis le labyrinthe téléphonique supposé acheminer son appel à la bonne personne.
Or, au moment de transférer son appel au bon département – parce que finalement, son appel devait être transféré – la ligne a été coupée.
Déçu, mais loin de se laisser abattre, Philippe a décidé de rappeler l’ARC, quitte à devoir attendre encore un bon moment et répondre aux « huit mille » questions d’identification assurant le ministère fédéral qu’il est bel et bien lui-même.
Coup de chance : il réussit à nouveau à parler à un être humain. Moins de chance : la dame au bout du fil ne semblait pas très encline à l’aider, ne pouvant fournir de réponses précises à ses questions.
« Je n’ai pas perdu patience, mais intérieurement, j’étais vraiment en tabarnak de me faire niaiser », lâche Philippe.
Le retour d’impôt tant attendu, qui représentait une somme d’un peu plus de 2 500 $, a finalement été déposé dans son compte bancaire la semaine suivante.
Simple hasard? Philippe n’aura jamais la réponse à cette question. « Je sais juste que le dossier a fini par débloquer, mais j’ignore si c’est parce que j’ai appelé », soupèse-t-il.
Deux poids, deux mesures
Philippe déplore le temps mis à traiter son dossier et à lui payer son dû, surtout que l’ARC est beaucoup plus pressée quand vient le temps de recouvrer une somme.
« En 2022, je m’étais présenté aux élections et j’avais pris un congé sans solde de mon emploi, précise-t-il. Ça avait compliqué mon rapport d’impôt, même si je l’avais fait faire par un comptable. »
« L’année fiscale suivante, alors que je n’avais jamais eu de nouvelles, je reçois un avis de cotisation, plus des frais d’intérêt. Mais c’était leur erreur. Ils ont mis plus d’un an à s’en rendre compte et on m’a demandé de payer des intérêts », dénonce Philippe, qui a quand même payé la somme pour éviter que le dossier ne s’éternise.
Philippe ne peut s’empêcher de relever le deux poids deux mesures. « C’est ça qui est frustrant : eux ne nous paient pas d’intérêt quand ils prennent leur sweet time pour gérer notre dossier, et en plus, ils nous font sentir comme si on était malhonnête quand ils font une erreur de traitement qui n’est pas de notre ressort. »
Une mère face à un système dépassé
Charlie est pour sa part maman d’un garçon vivant avec un trouble du spectre de l’autisme. Compte tenu de sa situation, elle a droit à une aide financière du gouvernement et des crédits d’impôt pour enfant handicapé, y compris des arrérages pour la période précédant son diagnostic, qu’il a eu à l’âge de cinq ans.
« Mon comptable s’est occupé de la partie qui touche les crédits d’impôt et les demandes d’aide financière, mais pour ce qui est de l’arrérage, c’est moi qui devais m’en occuper », explique la mère de famille.
Malheureusement, cette procédure n’était pas disponible en ligne. « Il fallait que j’envoie une lettre par la poste, indique Charlie. Pas de fax, pas de courriel. »
Le site web de l’ARC n’était d’ailleurs pas conçu pour ce genre de demande. « Tu ne peux rien envoyer, note Charlie. Ça avait l’air d’un site de 1996. En appuyant sur un bouton, ça annule tout, on ne peut pas revenir sur la page… »
Pour savoir comment bien rédiger ladite lettre, elle a tenté d’appeler à l’ARC. C’est ainsi qu’a débuté ce qu’elle qualifie de « parcours du combattant ».
« J’ai parlé à plusieurs êtres humains, décrit-elle. Mais je me suis fait transférer plusieurs fois, parce que personne n’avait les réponses à mes questions. Ils ont fini par m’envoyer dans un autre département et là, j’ai pu être renseignée. »
Ces quelques milliers de dollars ont servi à financer des services pour son fils, qu’elle doit désormais payer de sa poche. En effet, depuis qu’elle est revenue de congé de maternité, le revenu familial de Charlie est devenu trop élevé pour bénéficier de certaines aides gouvernementales pour lesquelles elle a dû se démener.
Tout ça pour ça, direz-vous.
L’ARC se défend
Dans un courriel, le service des relations médias de l’Agence du revenu du Canada affirme avoir procédé à d’importantes améliorations.
« Le 2 septembre 2025, nous avons lancé un plan d’amélioration des services de 100 jours afin de relever les principaux défis connus liés au service et à l’accès. Ce plan vise spécifiquement à réduire les longs délais d’attente au téléphone et à accélérer le traitement des demandes », indique la relationniste Nina Ioussoupova.
Selon cette dernière, 89 % des appels seront désormais pris en charge par un téléphoniste en moins de 15 minutes. Sur la page web du programme, on indique que si le taux de réponse aux appels était de 35 % au début du mois de juillet, il était de 92 % à la fin octobre.
« L’Agence reçoit plus de 30 millions d’appels chaque année, dont environ 80 % concernent des comptes spécifiques de contribuables. Selon notre suivi, ces appels ont atteint un taux d’exactitude moyen de plus de 90 %, ce qui se reflète également dans l’examen par la vérificatrice générale des appels concernant les comptes personnels », poursuit Mme Ioussoupova.
Au-delà des chiffres et des engagements d’amélioration, une chose demeure : pour des milliers de contribuables, chaque appel manqué ou information incorrecte peut entraîner des retards, du stress et d’importantes pertes financières. Ce sont souvent les personnes les moins outillées – parents d’enfants handicapés, travailleurs autonomes, nouveaux arrivants, citoyens en situation précaire – qui écopent le plus des lenteurs du système.
L’ARC promet que la situation est en voie de se redresser. Mais après des années de frustrations, les contribuables, eux, attendent surtout de voir si ces améliorations tiendront la route… et si le service qu’ils financent finira un jour par répondre, enfin, quand ils appellent.
Publié le 18 novembre 2025



