Éditorial | La laïcité les yeux bandés de la CAQ

La dernière version caquiste de la laïcité non seulement resserre celle de l’État — de la garderie aux universités, en passant par les menus des hôpitaux —, mais en outre s’étend à l’espace public — et au prétendu phénomène des prières de rue collectives. Un « renforcement » de la neutralité religieuse que le gouvernement qualifie de nécessaire, mais qu’il, en le défendant sur la base de projections non pas chiffrées, mais plutôt pressenties, étaye difficilement. Pour ne pas dire aucunement.
L’interdiction s’éloigne encore plus de celle des symboles religieux pour les figures d’autorité de l’État pour s’étendre à celle du visage couvert à la garderie comme aux études postsecondaires, faisant suite aux précédentes lois caquistes les prohibant dans les écoles. Le ministre responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge, ne sait chiffrer le nombre d’éducatrices et encore moins de bambins (que dire de plus…) qui porteraient le voile intégral. Pas plus qu’il ne peut dénombrer les cégépiennes ou les étudiantes universitaires se présentant en classe le visage couvert. Mais puisqu’il y en a « de plus en plus » dans la rue (phénomène que le ministre n’a pas davantage su quantifier), il ne serait pas « saugrenu », selon lui, de prédire qu’il « va y en avoir bientôt dans les cégeps et les universités ».
Qui plus est, « gouverner, c’est prévoir », répète-t-il en guise d’argument depuis le dépôt de son projet de loi, tel un prophète que l’on devrait croire sur parole.
Idem pour les salles de prière, qui seront interdites dans les établissements postsecondaires, de même que les prières « collectives », qui le seront dans l’espace public, comme les rues et les parcs (à moins d’une exemption municipale), et dont le ministre ignore également la fréquence.
Le rapport de la commission Bouchard-Taylor avait pourtant relevé que 71 % des cas d’accommodement raisonnable dénoncés à l’époque s’avéraient dans les faits d’importantes distorsions de rumeurs. Qu’importe, le gouvernement caquiste semble tout à fait à l’aise de légiférer à l’anecdote ou au pressentiment. Le ministre Roberge répliquera en citant les entorses à la laïcité recensées dans le rapport Pelchat-Rousseau, déposé l’été dernier, qui ne parle que de « certains », de « plusieurs » ou d’un cas à la fois. Lesquels le gouvernement est aujourd’hui toutefois incapable de chiffrer.
Jean-François Roberge se défend d’autre part de ne cibler qu’une seule religion. Or, comme les mesures les plus restrictives de son projet de loi interdisent la prestation et la réception de services à visage couvert, elles limitent l’avancement scolaire et professionnel d’une étudiante musulmane portant le voile intégral au postsecondaire. Il en va de même pour l’autonomie économique d’une éducatrice en garderie, dont la clause « grand-père » protégera certes le poste, mais qui pourrait néanmoins perdre l’envie de continuer dans le réseau.
Le ministre Roberge a raison de défendre l’égalité hommes-femmes, mais pas par la voie de la marginalisation. La laïcité, comme la pratique de la religion, ne peut s’opérer dans l’effacement et l’exclusion.
Glisser vers un régime de défiance pose le risque que « le fractionnement et la ghettoïsation tant redoutés soient au rendez-vous à plus ou moins brève échéance », prévenait encore une fois le rapport Bouchard-Taylor. La stricte laïcité de la France est maintes fois citée en exemple, mais le tissu d’urbanité sociale du pays est fort différent de celui du Québec, où il vaudrait mieux éviter d’ostraciser certaines communautés au point de le reproduire.
Le prosélytisme et l’entrisme auxquels le gouvernement soutient s’attaquer s’opèrent par la pensée et les valeurs. Faut-il rappeler une énième fois qu’à l’école Bedford, les contraventions inacceptables à la laïcité, à la pédagogie et à l’égalité entre filles et garçons furent commises par un groupe d’enseignants n’affichant aucun symbole religieux ?
Là où le ministre Roberge voit juste, c’est en balisant l’octroi d’accommodements religieux, au public comme au privé, au moyen d’un critère non plus de « contrainte excessive », mais de contrainte « plus que minimale ». Et, surtout, en excluant toute possibilité de refus qu’un service (outre que médical) soit donné par une personne d’un sexe — lire ici : féminin — ou d’un genre particuliers. Avec la fin annoncée du financement public des écoles privées religieuses qui persisteraient à lier leur curriculum ou la sélection d’élèves ou d’enseignants à la religion, le gouvernement fait également enfin preuve de cohérence.
Les atteintes au respect de la laïcité sont insidieuses, nécessitant une vigilance constante et des correctifs bien plus complexes qu’un simple renforcement de façade guidé par un entêtement borné. La Coalition avenir Québec préfère au contraire faire aveuglément fausse route.




