En espérant que Trump ne taxe pas nos sapins…

«C’est bien parti, confirme Charles Vaillancourt, président de l’Association des producteurs de sapins de Noël. On a une belle température pour récolter. C’est sûr que c’est un peu froid, mais cela fait en sorte que nos arbres restent frais. Il y a de la neige et ça incite les gens à décorer. C’est féérique.»
Il avait les deux mains «dedans», plus tôt cette semaine, alors qu’il se trouvait sur la terre familiale de Stanstead, en Estrie.
«On travaille souvent dans les pires conditions, mentionne le propriétaire de l’entreprise Produits Valfei, sans se plaindre. On va dans les champs, peu importe le temps qu’il fait. Ça prend de l’huile à bras pour les couper et les transporter, tous ces sapins! Ça se fait à la main, avec une scie à chaine.»
Le producteur âgé de 33 ans a la fibre. Il dirige une PME prospère fondée par son grand-père il y a soixante ans. Sur le terrain, il est à même de constater comment les choses évoluent dans ce secteur d’activités. Le Québec, faut-il le préciser, est le plus grand producteur d’arbres de Noël au pays, avec une production de 2,8 millions d’arbres (en 2023).
Le voisin américain
Cette année encore, les producteurs prévoient expédier la moitié de leur production aux États-Unis. Sans tarifs punitifs à la sauce Trump, du moins jusqu’à nouvel ordre. Parce que rien n’est acquis avec ce président aussi hargneux qu’imprévisible.
«On demeure à risque. On reste très attentif», convient le président de l’Association.
Il attend de voir comment se dérouleront les prochaines négociations entourant l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM). Il faut également comprendre qu’une menace tarifaire, à hauteur de 25 %, plane sur l’industrie canadienne.
Avec raison, Charles Vaillancourt évoque un «nuage d’insécurité» qui inquiète à la fois les producteurs d’ici et les clients de l’autre côté de la frontière.
«On sait qu’il y a des clients américains qui ont peur que nos arbres leur coûtent plus cher si jamais des tarifs entraient en vigueur, dit-il. On sait aussi que certains d’entre-eux ont magasiné ailleurs, cette année, pour leurs achats en prévision des Fêtes.»
Un exemple concret? Dans les Maritimes, un gros producteur déplore avoir perdu 50 % de ses ventes en dollars US après qu’un acheteur américain ait annulé sa commande de sapins naturels.
Un impact à prévoir
Chose certaine, l’imposition de droits compensatoires aurait un impact considérable sur les activités des producteurs québécois. Bon an, mal an, un peu plus d’un million d’arbres de Noël made in Québec sont expédiés dans le nord-est des États-Unis.
La faiblesse du dollar canadien avantage les producteurs qui se font payer en dollars US, mais il faut mettre dans la balance les coûts de transport, de plus en plus élevés.
C’est sans compter les coûts de main-d’œuvre qui ont «augmenté considérablement», de l’avis même du président de l’Association.
On l’oublie bien souvent, mais les producteurs québécois ont des concurrents de l’autre côté de la frontière. Ils ont beau livrer des «beaux sapins», ils se doivent de demeurer compétitifs.
Ça se passe principalement en Caroline du Nord, en Virginie, au Michigan et en Pennsylvanie. «Là-bas, en raison des conditions climatiques plus clémentes, explique-t-il, le temps de pousse d’un arbre est de quatre à cinq mois par année, alors qu’ici, il est de deux à trois mois. Là-bas, le sapin de Noël atteint sa maturité au bout de six ans, alors qu’ici, c’est huit ans.»
Aux États-Unis, on utilise des drones pour l’épandage d’insecticides, ce qui n’est pas permis ici pour des raisons environnementales.
Les sapins en plastique
Et maintenant, place au débat autour du sapin en plastique qu’on sort de la boîte une fois par année avant de le ranger jusqu’à l’année suivante…
Êtes-vous sapin naturel ou sapin artificiel?
Il n’y a pas de statistiques précises, mais dans l’industrie, on s’entend pour affirmer que le sapin naturel se retrouve dans seulement 30 % de nos demeures. Ce qui laisse un gros 70 % pour les sapins qui ne perdent pas leurs épines.
«Si on pouvait augmenter ce pourcentage, disons d’un autre 10 %, ce serait tellement bénéfique pour nos producteurs, fait valoir Charles Vaillancourt. Mais pour cela, il y a un travail d’éducation à faire.»
C’est-à-dire?
«Il faudrait le dire davantage et l’expliquer clairement que l’arbre de Noël, c’est une culture, précise-t-il. Pour chaque arbre coupé, il y en a presque deux qui sont plantés. Quand la saison est terminée, la terre agricole redevient une prairie. On ne prend pas des forêts pour couper des sapins.»
L’auto-cueillette réconfortante
Libre à vous d’acheter un sapin synthétique, c’est chacun son choix, il y en a de très beaux qui ont l’air de vrais sapins, mais ça vous dirait d’aller récolter votre sapin tout vert chez le producteur pour encourager l’économie locale?
L’auto-cueillette est une option très prisée par les jeunes familles qui veulent se reconnecter avec les vraies valeurs et par les grands-parents restés nostalgiques du «bon vieux temps».
«C’est très populaire chez nous», constate Christiane Labonté, copropriétaire, avec son conjoint, Gaétan Lefebvre, d’une plantation située à L’Avenir, près de Drummondville.
Elle se réjouit de voir des clients revenir année après année et d’en accueillir des nouveaux qui découvrent les joies de cueillir eux-mêmes leurs sapins.
«Ça vient de partout. On a même du monde du Plateau (Mont-Royal)!», dit-elle, amusée.
Tout cela se fait dans une ambiance bon enfant. Couper un sapin de Noël est un heureux prétexte pour sortir en famille par un samedi ou un dimanche après-midi.
«C’est tellement beau de voir tout ce beau monde, y compris les enfants, qui ont hâte de prendre leur chocolat chaud», dit la productrice.
Parce que le café et le chocolat chaud sont offerts en prime, en plus de la musique d’ambiance, du feu pour se réchauffer.
«On fournit même le petit sciotte pour couper l’arbre!», mentionne Christiane Labonté.
Avouons-le: la proposition est réconfortante en ces temps marqués par des tensions à travers le monde, et tout particulièrement avec nos voisins américains et son président belliqueux.



