Dans le métro, à 5h30 du matin
À la porte de la station de métro Fabre, il fait encore nuit noire. Le service de métro, qui commence à 5 h 30, vient de démarrer, mais Asamoah Kwabena est déjà en retard au travail. À ses pieds, sur le quai, il y a un casque de construction de la FTQ. L’homme travaille dans un chantier près de la station de métro Lucien-L’Allier. « On construit un immeuble neuf », dit-il en anglais. Il est Ghanéen et vit ici depuis trois ans. Lorsqu’on lui demande quel est son parcours du Ghana à Montréal, il répond simplement que « c’est une longue histoire ». D’ailleurs, le métro arrive et Asamoah s’engouffre à l’intérieur ; on n’en saura pas plus.
Tous les matins, Murielle Sept-Ans descend ici pour se rendre à son stage d’infirmière auxiliaire à l’hôpital Jean-Talon, qui commence à 6 h 30. Habitant près du boulevard Lacordaire, elle prend d’abord un autobus jusqu’à la station Saint-Michel, où elle prend le métro jusqu’à la station Fabre. Ce matin, elle s’attarde un peu dans la station parce qu’elle attend un ami.
Cette petite armée de l’ombre peuple les stations lors des premiers services matinaux du métro de Montréal. C’est une foule clairsemée, composée de travailleurs de la construction, de la santé, de l’agroalimentaire, de l’hygiène et de la sécurité. On y rencontre une forte proportion d’immigrants de plus ou moins longue date. Peu de paroles s’échangent à cette heure. Dans le vacarme d’un train qui roule à toute vitesse, les corps encore alourdis de sommeil s’enfoncent dans les parkas. Les têtes cognent des clous ; certaines s’abandonnent, le temps de quelques secondes, à l’envie de dormir un peu plus.
Rencontré dans le train, à la station Mont-Royal, Hamza se rend à son rendez-vous avec les services de l’immigration. Arrivé comme touriste il y a huit mois, il voudrait rester ici pour étudier l’électromécanique. « Le Canada, c’est un très bon pays », dit-il avec un sourire. « Sauf pour l’hiver. »
À la station Berri-UQAM, les travailleurs du matin se rassemblent autour des cafetières du Berri Express, le dépanneur qui ouvre lui aussi ses portes à 5 h 30 pour les accueillir. « Le café est très populaire à cette heure, surtout quand il fait froid », remarque le gérant, Jason Lam. Émile Codreano s’en sert une tasse avant de se rendre au IGA, où il travaille. « L’été, je fais le trajet à pied », dit-il. Vincent a lui aussi pris le métro ce matin pour aller travailler dans l’agroalimentaire, près de la station Mont-Royal. L’été, il commence plus tôt, à 5 h, et se rend au travail à vélo.
Croisé sur la ligne verte, qui traverse la ville d’est en ouest, Youva Serra fait une heure de transport en commun chaque soir et chaque matin pour se rendre à l’aéroport de Dorval, où il travaille aux services d’hygiène. Originaire d’Algérie, il vit au Canada depuis deux ans, mais rêve de mettre le cap sur la France. « J’aime pas le système ici, c’est trop capitaliste », dit-il. Le lendemain de notre rencontre, une grève est prévue dans l’ensemble des services de la STM. La directrice du service où il travaille a proposé de venir chercher cinq travailleurs chez eux en voiture pour les emmener au travail.
Embarquée tout au bout de la ligne verte, à la station Honoré-Beaugrand, Loona Lebrun fait elle aussi, chaque jour, un trajet d’une heure à l’aller et d’une heure au retour pour se rendre au centre d’hébergement Émilie-Gamelin, où elle est préposée aux bénéficiaires. Comme il n’y a pas de stationnement autour du centre, elle évite de prendre sa voiture. « C’est un très gros problème lorsqu’il n’y a pas de métro », dit-elle.
Roula Frein, qui habite dans l’arrondissement de Saint-Laurent, travaille comme cuisinière dans un café près de la station Place-d’Armes. Depuis 10 ans, elle fait deux heures de transport en commun chaque jour. « Je n’ai pas le choix, je dois travailler », dit-elle simplement en anglais. Libanaise d’origine, elle a eu deux enfants ici. « Je suis libanaise-canadienne », dit-elle fièrement.
Vers 7 h, la masse des usagers s’intensifie dans le métro. Les voyageurs doivent désormais se tenir debout. La ville est bel et bien sortie du lit. Lorsqu’on ressort du tunnel, à la station Fabre, le jour s’est enfin levé.




