Étude du commissaire à la langue française | Gare à la « polarisation », s’inquiètent des expertes

(Québec) Des chercheuses en éducation de quatre universités du Québec s’inquiètent de la « polarisation » et des effets sur les jeunes issus de l’immigration que pourrait générer une récente étude du commissaire à la langue française sur l’intégration à la nation québécoise.
Publié le
30 novembre
Ce qu’il faut savoir
Le commissaire à la langue française a publié plus tôt ce mois-ci un rapport sur l’intégration des immigrants à la culture et à la langue communes du Québec.
Dans son rapport, il s’inquiète de la forte concentration d’élèves issus de l’immigration dans certaines écoles de Montréal et de Laval, ce qui diminue les contacts interculturels entre les Québécois issus de l’immigration et le groupe majoritaire francophone.
Des chercheuses en éducation, dont les travaux sont cités par le commissaire, s’inquiètent des réactions politiques à ce rapport.
Ces expertes, rassemblées au sein de l’équipe IDEE (Inclusion et diversité ethnoculturelle en éducation), mènent des recherches à l’Université de Montréal, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et à l’Université Laval. En lisant le plus récent rapport du commissaire Benoît Dubreuil, dans lequel leurs recherches sont citées, elles ont senti le besoin de « mettre les pendules à l’heure » sur certains constats.
Dans son rapport, M. Dubreuil formule une série de recommandations au gouvernement pour améliorer l’intégration des immigrants à la culture commune. « Dans les écoles, la proportion d’élèves issus de l’immigration a atteint dans les régions de Montréal et Laval un niveau qui complique l’organisation de rencontres avec des élèves qui ne sont pas issus de l’immigration », s’inquiète-t-il.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil
Le commissaire constate aussi qu’à partir du secondaire, les jeunes ont tendance à se regrouper selon leur origine, « ce qui favorise l’émergence d’une frontière entre “immigrants” et “Québécois” [et] finit par entraver l’adhésion à la langue et à la culture communes ».
« Les témoignages des jeunes issus de l’immigration montrent qu’une part importante d’entre eux ont fait face à l’ignorance, aux préjugés, à la discrimination ou au racisme. […] Ces évènements n’ont pas besoin d’être nombreux pour marquer durablement l’identité sociale et culturelle des jeunes issus de l’immigration », note M. Dubreuil.
En contrepartie, « un bon nombre de jeunes issus de l’immigration semblent avoir acquis une image peu flatteuse des Québécois francophones, qu’ils n’hésitent pas à décrire comme ignorants, intolérants ou hypocrites », écrit le commissaire à la langue française. Il propose entre autres de « faire de la mixité et des rapprochements interculturels en français une priorité ».
Oublier les approches coercitives
Selon Marie-Odile Magnan, de l’Université de Montréal, et Corina Borri-Anadon, de l’UQTR, qui parlent au nom de l’équipe IDEE, il faut d’abord cesser de voir le plurilinguisme des jeunes issus de l’immigration (soit le fait de parler plusieurs langues dans différents contextes) comme une menace à la pérennité du français au Québec.
PHOTO MARIKA VACHON, ARCHIVES LA PRESSE
Marie-Odile Magnan, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal
« Ça fait partie de la vie des jeunes. Les écoles doivent réfléchir à comment faire une place au plurilinguisme. [Ces langues] ne vont pas disparaître en voulant les anéantir de l’espace scolaire, [car sinon], on mine le sentiment d’appartenance et le bien-être des jeunes », estime Mme Borri-Anadon.
À l’intention des législateurs qui lisent le rapport de M. Dubreuil et s’inquiètent de la forte concentration d’élèves issus de l’immigration dans certaines écoles de Montréal et de Laval, ces expertes préviennent qu’il faut éviter de mettre en place des approches coercitives pour forcer les jeunes à parler en français entre eux sur les terrains des écoles.
Lorsqu’on y va avec des approches coercitives, où on interdit l’usage d’autres langues, ça ne fonctionne pas. Les jeunes ne se sentent pas bien à l’école et ne se sentent pas compris.
Corina Borri-Anadon, professeure au département des sciences de l’éducation de l’UQTR
Marie-Odile Magnan souligne que lorsque les jeunes constatent que leur bagage identitaire est perçu comme une menace au français, cela peut nourrir une certaine méfiance envers la culture francophone.
À ceux qui s’inquiètent, comme le commissaire à la langue française, de la forte concentration d’élèves issus de l’immigration dans certaines écoles de la région métropolitaine, elle rappelle que de cesser de diviser les jeunes entre les classes ordinaires, les classes d’accueil et les programmes pédagogiques particuliers sélectifs réduirait les inégalités sociales et favoriserait la mixité ethnoculturelle.
Donner des ressources aux écoles
Dans son rapport, le commissaire Benoît Dubreuil préconise de favoriser les rencontres entre les jeunes de différentes écoles pour qu’un élève de Montréal, par exemple, puisse côtoyer ou rencontrer un camarade issu d’un autre milieu ethnoculturel que le sien.
Les chercheuses sont d’accord avec l’idée, mais elles s’inquiètent de voir que des programmes existants qui favorisaient ces rencontres ont déjà vu leurs budgets amputés. Mme Magnan croit aussi qu’il faut réfléchir aux raisons qui amènent des personnes issues de l’immigration à se sentir mieux accueillies dans des établissements anglophones que dans des établissements francophones, afin d’y remédier.
De plus, « [la vision] du francophone comme étant celui dont la langue maternelle est le français, ça exclut beaucoup de monde », prévient Mme Borri-Anadon.
« En fait, ça m’exclut moi-même. Il y a beaucoup de gens pour qui le français occupe une place centrale dans leur vie et qui contribuent au français, comme moi en tant que formatrice de futurs enseignants. [Mais] je ne compte même pas dans les francophones quand on les définit exclusivement par leur langue maternelle », dit-elle.
« Notre préoccupation principale est la polarisation que peut générer l’étude [du commissaire]. Ce qui nous inquiète, c’est que ça peut mener à ce courant dans les discours où les immigrants sont pris pour des boucs émissaires. Il faut reconnaître le racisme avant de penser aux rapports interculturels entre les groupes », conclut Mme Magnan.




