Hommage à Andrei Markov | « Je n’ai aucun regret »

Andrei Markov n’a jamais caché qu’il était sur son X à Montréal. C’est pourquoi il a joué chacun de ses 990 matchs dans la LNH avec le CH sur la poitrine. Un mélange d’affection pour la ville et d’aversion au changement.
Publié à
21 h 27
Au micro devant 20 000 spectateurs, il l’a répété. « Je vous aime », a-t-il lancé, en français, en conclusion de son discours.
Mercredi au Centre Bell, le Canadien et ses partisans lui ont renvoyé l’ascenseur, huit ans après son départ. Huit ans après des négociations houleuses, huit ans après qu’il eut quitté l’organisation bien malgré lui, parce qu’incapable de trouver un terrain d’entente entre le contrat de deux ans qu’il visait et l’entente d’un an que lui offrait Marc Bergevin. L’ancien DG disait souvent « si tu veux de la loyauté, achète-toi un chien », et dans ce cas précis, il est passé de la parole aux actes.
C’était une fin amère pour un joueur qui a probablement plus donné que pris à l’organisation.
Passeur hors pair
S’il y en a un qui peut mesurer l’impact de Markov, c’est Max Pacioretty. Des 453 buts que l’ancien défenseur russe a préparés, 28 ont été marqués par l’ancien capitaine.
Plus de buts marqués sur des passes de Markov
- Tomas Plekanec : 37
- Max Pacioretty : 28
- Alex Kovalev : 26
- P. K. Subban : 25
- Alex Galchenyuk : 24
- Michael Ryder : 21
- Saku Koivu : 20
Source : Hockey-Reference (via Stathead)
« À mes yeux, il était le ciment de l’équipe, estime Pacioretty, au bout du fil. Dès qu’il était sur la glace, tu avais la chance de jouer en attaque. Son attention aux détails était incomparable. S’il te faisait la passe, la rondelle arrivait au bon endroit, à la vitesse parfaite.
PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE
Max Pacioretty et Andrei Markov lors d’un match le 10 décembre 2016 au Centre Bell
Il comprenait ta situation. Si tu étais sur ton revers, il ne te faisait pas une passe vive, il t’en faisait une qui te permettait de faire le jeu suivant.
Max Pacioretty au sujet d’Andrei Markov
Markov a aussi aidé le Tricolore par ses habitudes de travail. « Je ne pense pas être jamais arrivé avant lui à l’aréna. Quand j’arrivais, il était sur le tapis », se souvient Pacioretty.
Des habitudes qui aidaient Dan Lacroix, dans ses années comme entraîneur adjoint, à prendre le pouls du vestiaire.
« Les coachs, on allait faire notre ronde dans le gym. Il arrivait tôt et passait beaucoup de temps à se préparer, raconte Lacroix. Donc quand tu avais besoin de feedback pour ton entraîneur-chef, tu allais voir le capitaine, tu allais voir Markie. Il nous disait souvent d’être plus durs avec [Alex] Galchenyuk. Il disait : lâchez pas Chuckie ! Lui-même était très dur avec Chuckie.
« Il aimait plus travailler que ne pas travailler, il ne cherchait pas toujours à avoir des congés. Quand on l’a perdu, ç’avait été des minutes difficiles, qui ne se remplaçaient pas facilement. »
En ce qui concerne le fait d’être dur à remplacer, la démonstration était jusque-là éloquente, notamment en raison des deux opérations au genou qui ont essentiellement coupé sa carrière en deux. De la saison 2005-2006, qui a marqué son éclosion offensive, jusqu’à son départ en 2017, la fiche du Canadien avec et sans Markov parle d’elle-même.
Fiche du Canadien de 2005 à 2017
- Avec Markov en uniforme : 401-244-78 en 723 matchs (fiche de ,608, rythme de 100 points sur 82 matchs)
- Sans Markov : 95-102-30 en 227 matchs (fiche de ,485, rythme de 79 points sur 82 matchs)
Les chiffres sont éloquents, mais à 38 ans, avec un genou doublement opéré, Markov n’avait plus sa fluidité d’antan. C’était le calcul de Bergevin, et Dan Lacroix assure qu’à l’origine, personne ne se grattait la tête en voyant que le DG était prêt à laisser aller le vétéran.
PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE
Andrei Markov en mars 2017
De plus, les éléments se liguaient. Au même moment, le CH perdait Alexei Emelin ; rien pour colmater la brèche à gauche. À droite, Shea Weber se blessait dès le premier match de l’automne 2017. Croire que David Schlemko et Karl Alzner étaient des remplaçants adéquats pour les deux Russes s’est aussi avéré un vilain calcul, qui a mené le CH de 2017-2018 à la déchéance que l’on connaît.
« Quand on fait des changements, on est tous pareils. Il y a une énergie, rappelle Lacroix. Un défenseur de son âge qui part, c’est normal. La fin arrive pour tout le monde. Mais tu te retrouves dans une mauvaise séquence en novembre où tu dis : OK, on a des joueurs qui amènent ça, les jeunes amènent de la bonne énergie, mais tu vois aussi des erreurs inévitables. »
La direction de l’époque avait-elle sous-estimé son apport ? « Je ne suis pas sûr. C’est une question pour eux, répond Pacioretty, capitaine lors de cette infâme campagne 2017-2018. Mais tu vas jouer ailleurs, tu rencontres d’autres bons joueurs, mais personne ne comprenait le jeu comme lui.
« Je me souviens d’une conversation avec Davey [Desharnais] dans l’avion. Il disait : attends qu’il parte et on va voir son impact. Et il avait 100 % raison. Les gens ne comprenaient pas son impact. Il a mené ses partenaires à des matchs des étoiles, à de gros contrats. Tout le monde a connu du succès à ses côtés. En tant qu’équipe, on a connu nos meilleures saisons avec lui. »
Sans amertume
PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE
Andrei Markov lors d’une conférence de presse tenue avant son hommage, mercredi
Markov a été amer à propos de son départ, amer à propos des négociations, mais mercredi, il n’était pas là pour régler ses comptes.
« Quand j’ai quitté Montréal, oui, j’y pensais. Mais là, c’est fini. Je n’ai aucun regret. Je suis chanceux d’avoir passé toute ma carrière dans une équipe comme le Canadien. »
A-t-il reparlé à Bergevin depuis ? « Quoi, il est en ville ? », a rétorqué l’ancien numéro 79, avant de confirmer qu’il ne lui a pas reparlé depuis.
En décembre dernier, Markov était revenu au Centre Bell, mais en tant que simple spectateur, à l’occasion de son passage en ville pour un festival de collectionneurs. Pendant le match, il avait été présenté à l’écran géant.
Cette fois, le Canadien a fait les choses en grand, avec montage vidéo, présentation sur la patinoire, l’occasion de parler à la foule, aux côtés de sa conjointe et de deux de ses cinq enfants.
« Pour ce soir, ce n’était pas mon choix, mais j’étais content de recevoir le message de Geoff [Molson] et je suis heureux d’être ici », a-t-il dit avant la cérémonie.
Son discours s’est limité à quelques phrases écrites sur un papier. Sa réaction pendant la longue ovation, les sanglots qu’il semblait retenir en disaient plus que toute phrase qu’il allait formuler.
Certaines personnes changent avec les années, s’épanouissent, s’adoucissent en vieillissant. Pas Andrei Markov, qui n’a jamais été reconnu comme le plus chaleureux. « Je suis qui je suis. J’ai toujours été un gars assez timide, j’ai 46 ans et je ne vais probablement pas changer ! Je suis heureux comme ça. »




