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Sortie de Miller sur l’avenir du français : des bonnets d’âne sous le sapin

Le nouveau ministre de l’Identité et de la Culture canadiennes, Marc Miller, a complètement raté son entrée en scène comme digne successeur de Steven Guilbeault. Là où son prédécesseur était tout en nuances, M. Miller a choisi de pourfendre les arguments de nombreux experts et politiciens inquiets pour l’essor de la langue française au Québec.

Tout en reconnaissant que le français est en déclin au Québec « à certains égards », le ministre Miller s’est dit « tanné » d’un débat dont il déplore le caractère « identitaire et électoraliste ». Il est plutôt déroutant qu’un politicien d’expérience fasse preuve d’autant de légèreté. Par ses déclarations à l’emporte-pièce, il procède lui-même à la surenchère électoraliste au sujet de l’essor du français, en faisant porter l’odieux à ceux qui s’inquiètent, à juste titre, de sa fragilité.

Par sa définition, le débat linguistique sera toujours identitaire et politique. La langue touche aux fondements de l’identité d’un peuple depuis des temps immémoriaux. C’est le socle sur lequel se bâtit la culture. Langue, culture et identité forment les briques d’un édifice qui resterait bancal sans le mortier de la fierté. Celle-ci nous provient des artistes qui ont nommé, décrié, aimé, critiqué, façonné et réinventé le monde, notre monde, encore et toujours.

Les artistes, justement. Il y avait bien peu de place pour eux dans la sortie initiale du ministre Miller. Malgré les injections de fonds des dernières années, à Québec et à Ottawa, le milieu de la culture reste généralement en état de crise. La transformation des habitudes de consommation, l’éclatement des publics, la diversité des pratiques, la concurrence infâme des entreprises du GAFAM contribuent à fragiliser les bases de la création, et la capacité même des artistes de gagner leur vie.

Le Devoir publiait le printemps dernier une série intitulée « La culture en crise », riche en enseignements sur les défis que doit relever l’industrie créative en entier. Le ministre Miller aurait pu nous dire s’il est disposé à créer un revenu minimum garanti pour les artistes, une proposition mise en avant par l’ex-chef de la direction du Conseil des arts du Canada Simon Brault. Il aurait pu nous dire s’il est favorable à la modernisation de la Loi sur le droit d’auteur pour que les industries créatives (et les médias) soient mieux outillées pour contrer le pillage des contenus à l’ère de l’intelligence artificielle générative. Il aurait pu nous dire s’il est favorable ou non à quelconque mesure législative additionnelle pour forcer les géants du numérique à contribuer davantage à l’écosystème culturel du Canada.

Les chances de succès de ces initiatives sont minces depuis l’élection du premier ministre Mark Carney, qui est plus prompt à protéger les acquis ou à concéder (comme sur la question de la taxe sur les services numériques) afin d’apaiser la fureur tarifaire du voisin sudiste instable. D’une certaine mesure, les propos de Marc Miller ont atteint leur but : ils ont offert une belle diversion par rapport aux dossiers politiques qu’il ne pourra probablement pas régler.

Le premier ministre du Québec, François Legault, a mordu à l’hameçon en accusant le ministre Miller d’être « une honte » et de répandre « des conneries ». Cette intransigeance détonne de la part d’un premier ministre, et M. Miller a bien raison de se sentir blessé par tant de dureté. Il semble que la détérioration du langage et de la civilité soient la norme dans le débat politique du moment. Qu’on ne s’étonne pas ensuite que l’électeur moyen réponde à cette surenchère par un sursaut de cynisme.

Dans ce débat qui n’en finit plus de surprendre, la sortie du chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, est tout aussi désolante. Celui-ci s’en est pris aux individus et aux organismes culturels qui ont salué la nomination de Marc Miller comme nouveau ministre de l’Identité et de la Culture canadiennes. C’est pourtant une pratique courante dans la gestion des saines relations gouvernementales. M. St-Pierre Plamondon a dénoncé « la vacuité intellectuelle », « l’aplaventrisme » et le manque de « loyauté » d’une partie non négligeable du milieu culturel.

Ses propos injustes étaient particulièrement ingrats à l’égard de deux personnes visées indirectement, Hélène Messier, p.-d.g. de l’Association québécoise de la production médiatique, et Laurent Dubois, directeur général de la SARTEC. Ces deux figures respectées dans le milieu, et les artistes dans leur ensemble, ne méritent pas cet odieux test de pureté idéologique.

Pour un aspirant premier ministre qui déplore la vacuité intellectuelle autour de lui, M. St-Pierre Plamondon a raté une belle occasion de s’élever au-dessus de la mêlée. S’il prenait le pouls du milieu, il comprendrait qu’une bonne partie du secteur est inquiète pour sa survie, soulagée de compter sur deux guichets de services à Québec et à Ottawa, et pas si enthousiaste à l’idée de rapatrier les pleins pouvoirs en culture, une revendication historique qui a jadis séduit autant les péquistes que les libéraux.

Nous attendons impatiemment le livre bleu de la bonne conduite attendue des artistes par le Parti québécois. Au royaume du mépris, ils seront ainsi mieux renseignés sur leur utilité de laquais au service de la cause.

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