Je suis une sale conne

N’en déplaise à la première dame de France, Brigitte Macron, je suis féministe. Assumée. Et donc selon ses propres dires, je suis une «sale conne». Comme plein de Québécoises et de Françaises, je dénonce les violences faites aux femmes et toutes les injustices dont elles sont victimes.
Je ne suis pas la seule sale conne — nous sommes des centaines, sur les réseaux sociaux, à rejoindre le mouvement #salesconnes depuis dimanche.
Ce jour-là, en coulisses des Folies Bergères, lors d’un spectacle de l’humoriste Ary Abittan, l’épouse du président de la République a traité des militantes féministes venues manifester de «sales connes».
Elle a ajouté qu’«on va les foutre dehors», ces «bandits masqués».
Brigitte Macron réagissait ainsi à la protestation, spontanée, bruyante et dérangeante, de quatre militantes du collectif national Nous Toutes. Celles-ci ont fait irruption le 6 décembre dans la salle où l’humoriste donnait son spectacle.
Masquées, elles ont scandé «Abittan violeur!» pendant quelques minutes avant d’être escortées vers la sortie.
Non-lieu
Pourquoi cet esclandre ?
Parce qu’Ary Abittan a été accusé de viol à l’automne 2021 par une jeune femme de 23 ans. Celle-ci a porté plainte rapidement (le lendemain du viol allégué) et elle a été soumise à des examens médicaux révélant «des lésions vaginales et anales graves», «des contusions», des «hématomes» et «des griffures», dixit le certificat médical rendu public.
Tout cela a été déposé en Cour, tout comme des messages textos échangés entre la plaignante et une amie et une pièce matérielle troublante soit une serviette de bain saisie au domicile de l’accusé et tachée du sang de la plaignante.
Après trois ans de démarches judiciaires, l’affaire a abouti à un «non-lieu» en avril 2024. Cela a été confirmé en appel en janvier dernier.
Bref, Ary Abittan est considéré comme innocent par la justice française.
«Je pardonne»
Mais je tiens à préciser quelque chose: un non-lieu n’est pas un acquittement. Il signe la fin des poursuites faute de preuves suffisantes. Un non-lieu n’efface pas les accusations, ni le témoignage de la plaignante, ni ce qui a été déposé au dossier judiciaire.
Abittan s’est d’abord retiré de la vie publique, mais il est remonté tout récemment sur scène pour présenter son nouveau spectacle (qui s’intitule, oui oui, «Authentique»). Dans une entrevue télé, il y a un mois, il annonçait: «Je pardonne».
Et dimanche, donc, Brigitte Macron s’est rendue au show d’Abittan et s’est entretenue en coulisses avec l’artiste. Dans une vidéo qui a fuité (et qui a été retirée du web depuis), elle lui a offert son appui… et a traité les militantes de «sales connes».
Les associations féministes n’ont pas tardé à dénoncer les propos de la première dame, demandant des excuses. Sur les réseaux sociaux, l’affaire fait grand bruit. Certaines personnalités, dont l’actrice Marion Cotillard et l’ancien président François Hollande, se sont insurgées.
Brigitte Macron s’excusera-t-elle ? Pour le moment, elle ne l’a pas fait. Ses relationnistes ont plutôt tenté de corriger le tir en disant qu’elle dénonçait «la méthode radicale» et non le mouvement féministe.
Antiféminisme ordinaire
Mais c’est trop peu, trop tard.
Les féministes sont piquées à vif. Je suis piquée à vif.
Cette déclaration s’inscrit directement dans ce qu’on appelle «l’antiféminisme ordinaire», sorte de réflexe adopté par certains pour discréditer et banaliser la parole des femmes… pour mieux défendre un homme en situation de pouvoir.
On revient donc à notre bon vieux patriarcat : il vaut mieux maintenir les structures et la hiérarchie existantes, laisser les privilèges aux hommes et repousser toute progression vers l’égalité.
Sale conne, c’est une insulte, une gifle, un crachat au visage de toutes celles qui nous ont fait avancer et le font encore. De Thérèse Casgrain à Martine Delvaux en passant par Nelly Arcan, Janette Bertrand, Idola Saint-Jean, Françoise David, Léa Clermont-Dion et j’en passe… Toutes des sales connes.
Abandonner les victimes
Ary Abittan peut bien réintégrer sa vie, reprendre sa carrière, revenir sous les projecteurs. Brigitte Macron peut bien se positionner dans son camp.
Mais moi, comme des milliers d’autres personnes, je continue de prendre au sérieux les femmes, les plaignantes, je continue de les croire. Et je continue de penser que notre système échoue trop souvent à protéger les victimes.
Alors oui, je prends volontiers l’insulte. Je suis une sale conne.
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