Crise au PLQ | Pablo Rodriguez remet en question son avenir politique

Émotif et en pleurs, le chef libéral Pablo Rodriguez remettait en question son avenir politique lors d’appels à des proches mardi. Sa décision de reporter une réunion déterminante de son caucus de 8 h 30 à 14 h ce mercredi a alimenté des rumeurs sur une démission imminente dans les rangs libéraux, de Québec à Ottawa.
Publié à
5 h 00
L’étau s’est resserré encore plus sur M. Rodriguez mardi avec de nouvelles révélations sur sa campagne à la direction du Parti libéral du Québec (PLQ).
Le producteur et importateur de portos et de vins Emanuel Cabral a versé 500 $ à certains de ses employés pour rembourser leur don fait à Pablo Rodriguez. C’est une pratique illégale qui intéresse l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans le cadre de son enquête criminelle sur des allégations de malversation et de trafic d’influence dans la campagne de M. Rodriguez.
Les faits se sont produits le 12 avril à la résidence de M. Cabral, où il tenait une soirée de financement pour M. Rodriguez.
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La Presse s’est rendue à la résidence d’Emanuel Cabral pour s’entretenir avec lui.
Alors aspirant chef libéral, Pablo Rodriguez était présent et a prononcé un discours. La chanteuse Patsy Gallant a offert une performance lors de cette soirée. Une publication sur Facebook le prouve.
Le Journal de Montréal a publié mardi matin un reportage concernant « une vingtaine de donateurs à la campagne de Pablo Rodriguez [qui] ont reçu des enveloppes de 500 $ comptant pour rembourser leur contribution, lors d’une soirée de financement tenue en avril dernier ». Il mettait en cause l’organisateur de l’évènement, « un homme d’affaires fortuné », mais le média lui a accordé l’anonymat.
« Ce n’est pas Pablo qui m’a demandé ça. Ce n’est pas lui. Lui, il ne m’a jamais rien demandé. C’est moi qui ai voulu faire ça, personnellement. Je suis chez nous, j’ai le droit de faire ce que je veux », a déclaré l’homme d’affaires au Journal.
« Moi, je sais rien »
La Presse s’est rendue à la résidence d’Emanuel Cabral pour s’entretenir avec lui, après avoir pu établir qu’il était bien l’homme d’affaires cité dans l’article. Il a toutefois refusé de commenter et a donné le numéro de son avocat. « Lui, il va pouvoir vous dire… Moi, je sais rien », a seulement déclaré l’homme d’affaires, président et fondateur de l’agence Réseau International Global Vins et Spiritueux.
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La résidence d’Emanuel Cabral
La Presse avait déjà joint son avocat, Me Mario Proulx, qui n’avait donné aucune précision. Le Journal de Montréal a publié des déclarations de l’avocat de M. Cabral sans le nommer.
« Si vous les avez lues, vous avez exactement ce que j’ai dit et il n’y a pas d’autre chose qui va se dire », a affirmé à La Presse Me Proulx.
La Loi électorale interdit le recours à des prête-noms et prévoit que « toute contribution doit être versée volontairement, sans compensation ni contrepartie, et qu’elle ne peut faire l’objet d’un quelconque remboursement ».
Emanuel Cabral a versé 500 $ à la caisse de M. Rodriguez, tout comme Patsy Gallant – de son vrai nom Patricia Gallant –, selon le registre du Directeur général des élections du Québec (DGEQ). Rien ne démontre que Mme Gallant a été remboursée.
Selon son rapport remis au DGEQ, Pablo Rodriguez a récolté 10 750 $ lors de la soirée de financement du 12 avril.
M. Cabral a déjà travaillé dans le monde politique : il a été conseiller du ministre libéral John Ciaccia à Québec dans les années 1990, avant de se lancer en affaires. Il n’a pas versé de dons au PLQ dans les dernières années, toujours selon le registre du DGEQ. Mais il est un contributeur à la caisse du Parti libéral du Canada, dont M. Rodriguez a porté les couleurs avant de traverser la rivière des Outaouais.
PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK
L’homme d’affaires Emanuel Cabral
Il a versé des dons dans le passé à l’association libérale fédérale d’Honoré-Mercier, circonscription que représentait M. Rodriguez. Selon les registres d’Élections Canada, il a participé à des activités de financement de la ministre Mélanie Joly dans Ahuntsic-Cartierville en 2018, 2019 et 2022, par exemple. Au total, il a donné plus de 6000 $ au PLC entre 2008 et 2023.
M. Rodriguez porte plainte
Pablo Rodriguez a décidé de porter plainte à l’UPAC et au DGEQ « concernant cette personne et les gestes qu’elle a posés, afin qu’ils fassent l’objet des enquêtes et des suites appropriées ». Il ne nomme pas Emanuel Cabral dans son communiqué de presse diffusé sur l’heure du dîner mardi.
Pablo Rodriguez déclare que même s’il était présent à la soirée de financement, « ni lui ni son équipe de campagne n’avaient la moindre connaissance de remboursements effectués à des participants ou à des donateurs ».
« Ce n’est qu’à la suite d’indices transmis par une journaliste et à partir de l’agenda de M. Rodriguez que nous avons pu identifier la personne concernée. Lorsqu’elle a été confrontée, celle-ci a reconnu avoir remboursé, de sa propre initiative, certains de ses propres employés qui n’avaient pas les moyens financiers de participer à l’évènement », explique le communiqué.
« Ce geste est inacceptable, contraire à l’éthique, aux règles en vigueur, et n’a jamais fait partie des pratiques de la campagne. Il a été posé sans autorisation, sans directive et à l’insu complet de Pablo Rodriguez et de son équipe. »
« Un très vieil ami »
En juillet, Pablo Rodriguez a participé à un garden party à la résidence d’Emanuel Cabral. Une vidéo de l’évènement se trouve sur les réseaux sociaux. Une autre ex-ministre libérale fédérale est présente, Soraya Martinez Ferrada, la mairesse de Montréal qui était à ce moment candidate.
Une représentante de la communauté portugaise, qui se veut une animatrice, présente M. Rodriguez comme « le chef du Parti libéral du Canada… non, du Québec ».
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Pablo Rodriguez
Puis Emanuel Cabral invite son « ami Pablo », « le prochain premier ministre », à prendre la parole. « Bonsoir tout le monde, il me fait ça à chaque année, affirme M. Rodriguez. Je ne veux pas faire de discours, surtout pas, c’est la dernière chose que vous voulez entendre, un discours politique », dit-il, remerciant « Emanuel pour l’invitation ». « Tout le temps un plaisir de vous voir. »
Dans un entretien avec l’animatrice, Pablo Rodriguez confirme que M. Cabral est un « très vieil » ami. Il dit avoir « beaucoup de travail devant » lui comme chef du PLQ. « On vous souhaite bonne chance dans la route, et on attend de belles choses de vous », dit l’animatrice. « Merci, on continue ! », répond-il.
Réaction timorée des opposants dans la course
Les adversaires de M. Rodriguez dans la course à la direction, Charles Milliard et Karl Blackburn, n’ont pas réagi aux nouvelles révélations. Mais certains de leurs plus grands partisans disaient s’attendre au départ du chef, estimant que la situation est intenable.
Une réunion virtuelle du caucus des députés ce mercredi à 8 h 30, qui a finalement été reportée à 14 h, était considérée comme déterminante. La confiance de certains députés envers le chef était déjà ébranlée avant même les nouvelles révélations. Monsef Derraji refusait la semaine dernière d’exprimer un appui envers son chef.
En soirée, des rumeurs d’une démission de M. Rodriguez en matinée ce mercredi circulaient. Le chef libéral était ballotté par les émotions lors d’appels à des proches mardi. Il remettait en question son avenir à la tête du parti.
Lundi, La Presse révélait que l’aile jeunesse du PLQ, qui compte pour le tiers des votes au sein du parti, a refusé de signer une lettre en appui à Pablo Rodriguez. Il y a plus : en réaction à la controverse soulevée par cette décision, une proposition a été soumise à une réunion de ses présidents régionaux afin de « soutenir le chef », mais celle-ci a été rejetée puisqu’elle ne faisait pas l’unanimité.
Le clan Rodriguez a commencé à faire circuler la lettre en appui au chef jeudi dernier pour riposter aux appels à la démission venant d’anciens députés et ministres. Une quarantaine de présidents d’association de circonscription sur 125 l’avaient signée, disait-on dans l’entourage du chef vendredi, sans donner de nouveaux chiffres par la suite. Des pressions ont été exercées pour que des présidents apposent leur signature, a-t-on déploré en coulisses.




