Grève à la STM | Qu’ils prennent un Uber !

Attendez-vous à un certain chaos. À tout le moins, à de sacrés bouchons. Pour la première fois en 38 ans, en ce samedi 1er novembre, le transport collectif sera entièrement paralysé à Montréal. Le cœur battant de la métropole s’arrêtera pendant 24 heures.
Publié à 7 h 00
Des centaines de milliers d’usagers du métro et de l’autobus devront se trouver un plan B pour se déplacer. Qu’ils se rassurent toutefois : le Tribunal administratif du travail, qui a donné son feu vert à la journée de grève, considère qu’ils « ont accès à plusieurs outils technologiques pour adapter leurs déplacements en temps réel ».
Grâce à ces formidables outils technologiques, voyez-vous, les usagers et les automobilistes montréalais « pourront moduler leurs comportements et emprunter des modes alternatifs de transport ».
Rien de plus facile, après tout : une grand-mère pourra enfourcher un BIXI pour se rendre à l’hôpital ; un ouvrier n’aura qu’à sauter dans un taxi pour aller pointer à l’usine ; idem pour la mère de famille monoparentale qui voudra se rendre au supermarché pour faire une épicerie, certes un peu plus modeste que prévu.
Ça me rappelle la célèbre phrase attribuée à la reine Marie-Antoinette. S’ils n’ont pas de métro ? Qu’ils prennent un Uber – quitte à se limiter sur la brioche !
Je raille, je raille, mais ce n’est tout de même pas la faute du Tribunal administratif du travail si Montréal est figé pour la journée.
Son rôle se limitait à déterminer si l’interruption du service pouvait mettre la population montréalaise en danger. Ce n’est pas le cas. La Société de transport de Montréal s’en est assurée, notamment auprès du Service de police, du Service des incendies et d’Urgences-santé, lit-on dans la décision.
Oui, la congestion routière pourrait ralentir les ambulances. Oui, des voyageurs coincés dans les bouchons pourraient manquer leurs vols à Dorval. Sans compter le cauchemar appréhendé des dizaines de milliers de personnes qui ont acheté des billets pour les matchs du Canadien, des Alouettes et des Carabins…
Mais rien de tout ça n’est suffisant pour interdire aux chauffeurs de métro et d’autobus de faire la grève pendant une journée entière.
« Quoique le Tribunal comprenne que l’exercice de cette grève entraînera des désagréments parfois importants dans la vie de nombreuses personnes, son examen consiste à s’assurer qu’il n’y a pas de danger pour la santé ou la sécurité publique », écrit la juge Maude Pepin Hallé dans sa décision.
Ces « désagréments » risquent de gâcher le samedi de beaucoup, beaucoup de gens – mais c’est précisément le but d’une grève, celle-là comme les autres. « Les perturbations ont pour objet de faire pression pour faire infléchir l’employeur et obtenir un règlement de leurs conditions de travail », rappelle la juge.
Tout le monde comprend le principe. Et personne ne remet en question le droit de grève des syndicats. Seulement, il faut bien reconnaître qu’il y a des gens pour qui cette grève occasionne plus que de simples « désagréments ».
Des gens aux revenus précaires, qui travaillent le soir, la nuit ou les fins de semaine, qui ne sont pas syndiqués et qui n’ont certainement pas les moyens de se déplacer en Uber.
Ce sont ces gens-là, pas les plus riches, qui paient le prix fort de cette grève.
Et ils n’ont pas fini de souffrir. Tout au long du mois de novembre, le métro et les autobus de Montréal ne circuleront qu’aux heures de pointe – gracieuseté, cette fois, du débrayage des employés d’entretien.
Ces jours-ci, on entend beaucoup le mouvement syndical reprocher au gouvernement caquiste de chercher à limiter son rôle de contre-pouvoir au sein de la société québécoise.
C’est que le ministre du Travail, Jean Boulet, a déposé jeudi un projet de loi qui instaurerait des « cotisations facultatives » pour tout ce qui ne touche pas directement aux conditions de travail des syndiqués.
Autrement dit, le gouvernement voudrait empêcher les syndicats de mener de grandes batailles de société. Il chercherait à les cantonner dans un strict rôle de négociateurs de conventions collectives.
Les syndicats sont pourtant beaucoup plus que ça ; l’histoire nous rappelle qu’ils ont grandement contribué à faire évoluer la société québécoise. Ils l’ont rendue plus juste, plus équitable, plus solidaire.
Mais lorsqu’une grève du transport collectif affecte démesurément les citoyens les plus vulnérables d’une société, cette solidarité, on la cherche en vain.



