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Kabasa, de Michel Jean | « Chaque livre est un combat personnel »

Deux ans avant Kukum, Michel Jean avait publié Tsunamis. Un roman qui nous entraîne du Québec au Sri Lanka et qui, regrette-t-il, était passé plutôt inaperçu. Mais ce livre lui est resté cher et il y est retourné pour le réécrire avec une nouvelle perspective. C’est ainsi qu’est né Kabasa, qui vient tout juste d’arriver en librairie.


Publié hier à 9 h 00

Kabasa, c’est le nom de l’esturgeon jaune, l’emblème des Abénakis d’Odanak. Là où, sur la rivière Saint-François, avec son grand-père, remontent les plus beaux souvenirs de son personnage, le journaliste Jean-Nicholas Legendre.

Reporter aguerri, celui-ci est envoyé au Sri Lanka en 2005 pour couvrir les ravages causés par le tsunami, tandis qu’il doit composer avec ses propres déchirements intérieurs. À des milliers de kilomètres de chez lui, une rencontre marquante avec les Tigres tamouls lui ouvrira les yeux, contre toute attente, sur les luttes des Premières Nations au Québec.

« L’idée derrière Tsunamis, c’était de parler de résistance autochtone, confie Michel Jean alors qu’il travaille déjà sur son prochain roman. Mais quand je l’ai écrit, je n’avais pas la maturité littéraire pour être capable de dire ce que j’avais envie de dire à ce moment-là. Mon message se perdait parce que j’étais trop timide ; et ça m’avait toujours énervé. »

Il y a un an, il a donc replongé dans le texte en conservant son personnage abénakis, créé pour son premier roman, Un monde mort comme la lune, et inspiré de ce qu’il avait vécu en tant que journaliste en Haïti en 2004.

C’est dans la jungle du Sri Lanka, au côté des Tigres tamouls, que son personnage réalise l’importance de connaître son territoire. Et il en vient à se demander ce que lui en connaît vraiment, de son territoire.

« C’est quoi, le territoire, pour un Autochtone ? Qu’est-ce qu’on fait pour le protéger ? Quand le personnage de Jean-Nicholas Legendre parle avec [le leader tamoul] Tamilselvan, que j’avais rencontré, celui-ci lui dit que son peuple n’a pas envie qu’il arrive à son territoire la même chose qu’à celui des Abénakis. »

Résistance autochtone

Depuis qu’il se consacre entièrement à l’écriture, l’ancien journaliste et chef d’antenne dit avoir trouvé une liberté qu’il ne s’était jamais permise auparavant dans son métier. Celle de pouvoir écrire sur des sujets qui le touchent personnellement. « Chaque livre est un combat personnel », dit-il. Dans Kukum, rappelle-t-il, son objectif était de parler de sédentarisation forcée. Dans Qimmik, du massacre des chiens nordiques.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Jean

Et avec Kabasa, l’actualité des dernières années a réaffirmé la pertinence d’explorer la question de la résistance autochtone. Car s’il évoque dans le roman les évènements d’Oka – sur lesquels il aimerait bien écrire, un jour, quand il sera prêt, dit-il –, il y en a eu plusieurs autres depuis, ajoute l’écrivain. En Colombie-Britannique, avec la Première Nation des Wet’suwet’en, comme au Québec, tout récemment, avec les blocus forestiers.

Chaque fois que les Autochtones ont dit non à quelque chose, ça n’a jamais bien tourné. Ça fait que les Autochtones ont souvent tendance à ne pas vouloir choquer. Puis finalement, les droits s’érodent peu à peu.

Michel Jean

Cette question du traitement et des droits des peuples autochtones était d’ailleurs au programme en septembre à la Foire du livre de Göteborg, en Suède, où Kukum (déjà traduit dans une quinzaine de langues) vient de paraître. Michel Jean a été invité à participer à une discussion avec la journaliste et écrivaine samie Ann-Helén Laestadius pour se rendre compte que les peuples autochtones de la Suède et du Canada ont en fait beaucoup en commun. De la même façon que les luttes et les blessures des peuples minoritaires sont toutes universelles, comprend-on dans Kabasa.

Après ce roman qu’il qualifie de politique, à l’instar de Kukum et de Qimmik, il termine de ficeler un collectif qui doit paraître au printemps et qui donnera la voix à des plumes autochtones sur l’amour – dans toutes ses formes.

« Mais je pense que le prochain roman après ça va revenir sur un thème plus personnel, dit Michel Jean. Basé sur ma mère qui a vécu en ville et qui a souffert d’être autochtone. Je suis dans une scène au début du roman où ma mère est dans le train. Elle s’en va visiter ses tantes, sa mère… Comment une jeune fille de 12 ans, à l’époque, réagit quand elle va voir ces tantes qui s’habillent bizarre, qui parlent une langue qu’elle ne comprend pas, sa grand-mère qui fume la pipe dans une tente… »

Et comme chaque fois qu’il s’assoit pour écrire, il espère pouvoir créer un peu de magie dans ses histoires, sans faire la morale.

« C’est ce que j’aime d’écrire. C’est comme un vertige. »

Kabasa

Libre Expression

208 pages

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