Le départ des Nordiques a-t-il coulé le référendum ?

« On a peut-être sauvé la peau des fédéralistes ! »
Publié à 16 h 00
Ces propos, prononcés sur un ton léger par l’ancien président des Nordiques de Québec, Marcel Aubut, ont été recueillis dans le cadre de notre dossier sur les 30 ans du départ des Bleus à Denver.
M. Aubut fait référence au référendum sur la souveraineté du Québec perdu par le camp du Oui en 1995, tenu un peu plus de cinq mois après l’annonce de la vente des Fleurdelisés au consortium de télécommunications Comsat, pour une somme de 75 millions de dollars américains.
Venant d’un fédéraliste notoire, la conclusion pèse peut-être moins lourd, mais même des figures respectées du camp du Oui ont la même interprétation.
L’avocat Guy Bertrand est de ceux-là, rappelant que le camp souverainiste a clairement sous-performé dans plusieurs circonscriptions de la région, comme Limoilou (le Oui à 51,90 %) et Jean-Talon (48,01 %), notamment, bien en deçà de la barre des 60 % atteinte dans plusieurs circonscriptions francophones de la province.
Souverainiste convaincu, André Joli-Coeur le dit avec « regret », mais il estime lui aussi que le pays a été perdu en même temps que les Nordiques.
C’est lui que le gouvernement avait nommé pour négocier avec Marcel Aubut au printemps 1995.
« On parle d’un impact mineur, un très léger pourcentage de votes, mais je suis moralement certain que ce peu de votes perdus aurait été suffisant pour gagner le référendum », tranche sans hésiter le spécialiste du droit administratif et constitutionnel.
PHOTO FRÉDÉRIC MATTE, ARCHIVES LE SOLEIL
L’avocat André Joli-Coeur
La zone d’influence de la Capitale-Nationale, c’était la zone d’influence des Nordiques de Québec. Ici, on prenait pour les Nordiques, pas pour le Canadien de Montréal !
André Joli-Coeur
En 2020, lors de la commémoration des 25 ans de la grande consultation du 30 octobre 1995, l’ex-chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ), Mario Dumont, abondait dans ce sens, parlant de « l’une des plus pitoyables erreurs politiques de l’histoire du Québec ».
Favorable au sauvetage des Nordiques, dans les mois qui ont précédé leur liquidation, le chroniqueur de Québecor estime que l’attitude du gouvernement Parizeau a contribué à faire pencher la balance en faveur du Non, qui l’a finalement emporté avec une majorité de 54 288 votes.
« Il est facile d’imaginer que si la grande région de Québec avait appuyé le Oui dans des proportions semblables au reste des francophones, le décompte final aurait montré 50 000 Non en moins, 50 000 Oui de plus. Cela venait inverser le résultat », concluait Dumont.
Pas si vite…
Jean Royer, chef de cabinet du premier ministre de l’époque, rejette cette thèse, qui a d’ailleurs été discutée par la direction du parti lors du bilan du référendum perdu.
Si cela avait eu un impact, ça se serait produit dans tous les comtés de Québec, mais quand on regarde les résultats des comtés limitrophes aux résultats décevants, certains ont fait jusqu’à 60 %. On peut dire que ça n’a pas eu d’impact.
Jean Royer, chef de cabinet de Jacques Parizeau
Le stratège péquiste de l’époque, Jean-François Lisée, y va du même son de cloche, en racontant aussi que la question des Nordiques n’a jamais eu d’incidence dans les sondages hebdomadaires que recevaient les instances du parti.
PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL
Le 6 avril 1995, Jacques Parizeau et Lisette Lapointe assistent au match Canadien-Nordiques au Colisée de Québec.
Pour y voir plus clair, regardons les résultats du Oui dans les 11 circonscriptions de la région en 1995. Nous avons exclu les circonscriptions plus éloignées, comme Portneuf, Beauce-Nord, Bellechasse et Lotbinière.
Au moment de consulter les Québécois, un an après les élections du 12 septembre 1994, 10 circonscriptions étaient représentées par des députés péquistes et une seule par le Parti libéral du Québec, Jean-Talon, par Margaret Delisle.
- Jean-Talon : 48,01 %
- Limoilou : 51,90 %
- Louis-Hébert : 53,01 %
- Charlesbourg : 53,20 %
- Chauveau : 54,50 %
- La Peltrie : 54,75 %
- Vanier : 55,24 %
- Lévis : 56,54 %
- Montmorency : 57,56 %
- Taschereau : 59,05 %
- Chute-de-la-Chaudière : 60,66 %
À ceux qui blâment le gouvernement de l’époque de ne pas avoir pris assez au sérieux l’épineux dossier des Nordiques, Jean Royer persiste à dire que le Parti québécois (PQ) a tout essayé dès son arrivée au pouvoir.
Québec a notamment proposé de débourser des dizaines de millions de dollars pour éponger les pertes à venir tout en devenant actionnaire, ce que ne souhaitaient pas la Ligue nationale et les partenaires non institutionnels de la Société Autil, formée de Marcel Aubut et Marcel Dutil.
La signature d’une nouvelle convention collective dans la LNH en janvier 1995, sans un plafond salarial qui aurait limité les pertes financières du club, a sonné le glas des Bleus.
Un symbole du nationalisme québécois allait disparaître dans une indifférence presque généralisée…
« Il n’y avait aucun avantage politique à voir les Nordiques s’en aller, rappelle Jean Royer. Il fallait donc trouver une façon de les maintenir à Québec. C’était en pensant sincèrement à cette époque qu’il y aurait un plafond salarial, or ce n’est pas arrivé. »
Ultimement, c’est le chef du PQ, qui avait déploré l’absence du maire Jean-Paul L’Allier au côté de Marcel Aubut des Nordiques dans le dernier blitz de négociation, qui en a payé le prix politique.
« Ça lui a coûté cher… », conclut Marcel Aubut.
Peut-être un pays ?




