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Avec «Le bézoard», Pascale Montpetit fait la paix avec une partie de son passé

« Les bézoards sont des accumulations très denses de matière non digérée pouvant se coincer dans l’estomac ou l’intestin ». Jouant de métaphores, Pascale Montpetit part de cet amas compact de résidus, le transforme et parvient, dans son tout premier roman, à en extraire avec humour, poésie et sincérité une trajectoire de vie faite de moments difficiles.

Inceste, cancer, boulimie, la quatrième de couverture du roman paru dans la collection III chez Québec Amérique — qui évoque des moments marquants de la vie des auteurs et autrices — laisse entrevoir un récit tumultueux et chargé. On pourrait avoir l’impression de lire « les pages d’un journal à potins, d’Échos vedettes : “L’enfance malheureuse de Pascale Montpetit” », s’amuse la comédienne, rejointe par Le Devoir lors d’un après-midi pluvieux.

Mais rien n’est, à ce moment, plus lumineux que cette femme de 65 ans, pleine d’entrain, heureuse d’avoir enfin expulsé cette matière qu’elle ruminait depuis 40 ans. Fière et convaincue d’avoir transformé les moments difficiles de sa vie en guérison. Un peu à la manière des Perses, raconte-t-elle, qui se servaient de bézoards comme antidote.

« En fait, la cochonnerie a des vertus magiques de guérison. Et, aussi, au XIXe siècle, il y avait des cabinets de curiosités […] dans lesquels on trouvait entre autres des bézoards. Il y a des gens qui en faisaient des bibelots, les ornementaient. J’aimais bien ce mot-là, parce que ça dit plusieurs choses. »

Avec ce titre évocateur, Montpetit présente une facette de sa vie, mais non l’ensemble de l’œuvre. « Je ne veux pas m’esquiver non plus, mais pour moi Le bézoard, c’est le motton pris qui n’a pas été digéré. C’est l’histoire de ça. C’est pas l’histoire de ma vie. […] Ma mère qui l’a lu m’a dit “mais pourquoi tout est si triste, si tragique ?” Mais c’est que c’est ça, le sujet du livre. Ça ne résume pas ma vie. Le prochain, ça sera sur toutes les choses extraordinaires que j’ai vécues, et Dieu sait qu’il y en a. »

Et le choix de ces trois arrêts-là — inceste, boulimie, cancer — s’est imposé au fil du temps. « J’avais commencé à écrire, et en cours d’écriture, […] j’ai entendu une entrevue avec Bruno Clavier, psychanalyste français qui a une expertise avec les enfants agressés en bas âge. Et il disait que les femmes victimes d’inceste développaient des problèmes à la glande thyroïde et de la boulimie. Et moi, je n’avais jamais fait de lien entre ces trois affaires-là avant, et je me suis dit que c’était un bon sujet. » Puis, Danielle Laurin, directrice littéraire de la collection III, est arrivée avec sa demande et Pascale Montpetit avait alors l’impression d’avoir la matière pour un livre.

Rien d’une victime

Mais Montpetit n’a pas écrit cette histoire comme on offre un témoignage ou une confession intime, dit-elle. Bien qu’elle raconte avoir été victime d’inceste par son père alors qu’elle ne parlait pas encore, avoir été rejetée par sa mère et avoir connu différents épisodes traumatiques, elle voulait au départ fabriquer un livre avec une narration « un peu détective ».

Elle voulait même se donner le défi d’en faire quelque chose de très comique, dit-elle en riant. « Ça n’a pas marché. Je n’y suis pas arrivée sur la durée. Je ne pouvais pas juste rire de ça, mais j’essayais de garder une fantaisie. Pour moi, c’est bien important. Je ne me vois pas du tout comme une victime. L’inceste, c’est un tabou, un interdit grave. Mais pour moi, […] c’est très ancien, c’est flou. Comme sur la couverture du roman, je ne voulais pas qu’il y ait de regard. J’ai 19 ans sur la photographie. »

Et si elle parvient à si bien exprimer ce passé, c’est sans doute grâce à la distance qui la sépare de ces événements, grâce au recul qu’elle a. « Mon père est mort il y a 40 ans, les faits que j’évoque reliés à l’inceste se sont passés dans les premières années de ma vie. Et ce que je n’ai pas dit dans le livre, c’est que je n’en garde aucun souvenir, c’est-à-dire que mon cerveau m’a protégé avec une amnésie traumatique. C’est juste en parlant avec mon père, en lui posant des questions qu’il m’a confirmé ça. Mais je ne suis pas en souffrance en ce moment. C’est pas radioactif. C’est sûr que pour quelqu’un qui le lit, ça devient de l’actualité brûlante. Mais pour moi, ça l’est pas », assure-t-elle.

Le pouvoir de la littérature

Malgré cette relation avec son père, psychiatre de surcroît, Pascale Montpetit ne garde aucune rancune envers cet homme. Quarante ans et plusieurs thérapies plus tard, elle parvient à dire qu’il n’a pas posé ces actes par méchanceté. « C’étaient ses démons et ça s’est passé de même. Après ça, mon père a essayé de s’en sortir, il a consulté, s’est médicamenté et a fini par se suicider, alors je ne peux pas en vouloir à mon père. […] J’aimerais ça aujourd’hui, comme je suis, avec tout ce que j’ai compris de moi, avoir une conversation avec lui… », dit-elle à regret.

L’écriture du Bézoard et sa publication auront permis à Montpetit de faire la paix avec cet hier, mais aussi d’estomper la distance qui la séparait de sa mère. « Depuis que ma mère a lu le texte, on s’est rapprochées, là ! Ben, je parle pour moi. On a des conversations que j’ai jamais eues avec elle. »

Visiblement émue par cette nouvelle proximité, par un sentiment de réel attachement avec sa mère, Montpetit souligne la force des mots, assure que la littérature peut des choses. « Mais vraiment, […] c’est ma mère qui m’a fourni le stock. Elle s’est comme confessée dans une lettre. […] Il a fallu, 30 ans plus tard, que je l’écrive, que je publie… Elle me disait “attends que je sois morte pour écrire ça, pourquoi ressasser tout ça ?”. Mais moi, je voulais que ça se règle avant qu’elle meure et je veux pas qu’elle meure. J’ai réussi. »

Si, avec ce premier roman, Montpetit n’y va pas, comme elle le dit, avec le dos de la cuillère, consciente et troublée à l’idée d’exposer sa famille « alors qu’ils n’ont rien demandé », elle sort de cet exercice pleine de légèreté, d’authenticité, semblable au personnage de Marie-Louise qu’elle a incarné dans la série télévisée Blanche. « J’ai repris, avec cette écriture-là, beaucoup de désinvolture et c’est à ça que je veux consacrer le reste de ma vie, c’est fou hein ?! Trouver la possibilité de rire, même s’il n’y en a pas. Je veux que ça devienne un mode de vie et je suis en bonne voie d’y arriver », conclut-elle, souriante et assumée.

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