L’affaire du juge Delisle | Mystère et balle de gun

Ce true crime s’est quasiment écrit tout seul. Il implique un ex-juge hautain, snob et désagréable, sa gentille femme lourdement handicapée, une arme à feu illégale, un condo luxueux devenu une scène de crime et une question à laquelle aucune réponse n’a été trouvée : qui a tiré la balle dans la tête de la victime, qui gisait sur le sofa de cuir du salon ?
Publié à 7 h 15
L’affaire du juge Delisle, une minisérie documentaire déclinée en trois épisodes d’une heure sur la plateforme illico+, rassemble tous les éléments d’un bon true crime classique qui, à défaut d’apporter des éléments fracassants ou inédits, raconte avec moult détails cette horrible histoire ayant traumatisé – et fasciné – le milieu judiciaire ainsi que la haute bourgeoisie de la ville de Québec.
Extrêmement médiatisé sur une période de 15 ans, ce cas lourd remonte au matin du 12 novembre 2009, à Sillery ou à Silleriche, l’équivalent de la ville de Québec du quartier Outremont à Montréal ou de Saint-Lambert, sur la Rive-Sud.
Une dispute éclate dans l’appartement 605 d’un prestigieux immeuble du Boisé des Augustines, situé sur le chemin Saint-Louis. L’ancien juge de la Cour d’appel Jacques Delisle, alors âgé de 74 ans, quitte sa résidence pour aller faire des commissions dans le quartier.
À son retour de l’épicerie, l’ex-magistrat, récemment retraité, découvre le corps de sa femme, Nicole Rainville, 71 ans, sur le canapé, une balle ayant percé sa tempe gauche. Le premier épisode de la série documentaire de la journaliste Kathryne Lamontagne, du bureau d’enquête de Québecor, repasse l’appel au 911 du juge Delisle et c’est glaçant.
Au bout du fil, l’homme est super calme. La mort de son épouse, avec qui il partage sa vie depuis 50 ans, ne l’ébranle pas tant et il ne pleure pas. De la musique classique résonne dans le condo de Sillery.
Les policiers croient d’abord aux explications très claires de Jacques Delisle : sa femme Nicole avait des idées sombres depuis au moins deux ans, alors qu’un AVC l’avait paralysée du côté droit du corps. Diminuée et handicapée, Nicole Rainville, une femme pourtant sociable, accueillante et chaleureuse, se sentait comme un fardeau pour son entourage.
PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL
L’ancien juge Jacques Delisle
Rapidement, des éléments factuels ont contredit la théorie du suicide exposée par Jacques Delisle. Les traces de poudre noire retrouvées dans la main gauche de Nicole Rainville ne correspondaient pas à celles d’une personne s’étant donné la mort, mais plutôt l’inverse. Nicole Rainville aurait agrippé le canon du pistolet pour se protéger et non se tuer. Son conjoint aurait donc appuyé sur la détente. Mais comment le prouver ?
La police de Québec a mis le juge Delisle en filature et ce qu’elle a découvert, à la fin du premier épisode, change complètement la trajectoire de ce long feuilleton judiciaire. Ne googlez rien si vous l’avez oublié.
L’ancien juge Jacques Delisle est finalement arrêté, en juin 2010, pour le meurtre prémédité de sa femme, Nicole Rainville. L’extrait vidéo de son premier interrogatoire de police nous montre un homme hyperconfiant, au-dessus de ses affaires et imbu de lui-même.
Sachant qu’il s’adresse à un homme de loi, l’enquêteur Dave Dufour glisse cette phrase anodine au juge Delisle : « je prends pour acquis que le droit, vous connaissez ça ». La réplique de Jacques Delisle ? Il corrige l’erreur de français du policier : on dit tenir pour acquis, on tient quelque chose pour acquis, on ne le prend jamais pour acquis, c’est un anglicisme.
C’est baveux et arrogant en ciboulette pour un accusé qui risque la prison à perpétuité. Mais bon, le procès du juge Delisle s’ouvre en mai 2012 et c’est le réputé criminaliste Jacques Larochelle qui le défend. Le même Jacques Larochelle, un plaideur redoutable, qui a représenté Maurice « Mom » Boucher et Denis Lortie, le tireur de l’Assemblée nationale.
La preuve balistique se trouve au cœur du débat. Selon la défense, Nicole Rainville, qui était droitière, aurait pris le revolver à l’envers, avec sa main gauche, pour mettre fin à ses jours.
« Je n’ai jamais vu des gens se suicider avec des techniques du Cirque du Soleil », répond le technicien qui a analysé la scène de crime, Denis P. Turcotte.
Les deux grands enfants du couple Delisle-Rainville, Élène et Jean, ont toujours appuyé publiquement leur père dans cette histoire très glauque. Les familles Delisle et Rainville ne témoignent toutefois pas dans la minisérie L’affaire du juge Delisle d’illico+.
PHOTO FOURNIE PAR ILLICO
Scène tirée de L’affaire du juge Delisle
Elles ont refusé les demandes d’entrevues du bureau d’enquête de Québecor. Ç’aurait été intéressant de savoir si leur opinion de leur père a changé au fil des nombreux rebondissements de cette troublante saga. Jacques Delisle est mort en août 2024 à l’âge de 89 ans.
La portion sur les revirements au palais de justice s’étire au deuxième épisode. On se perd un peu dans les détails techniques de la preuve scientifique, notamment à propos de l’autopsie du cerveau de Nicole Rainville, qui aurait été mal faite.
Puis, le verdict (surprenant) tombe juste avant le début du troisième et dernier épisode, qui se termine avec un punch appuyant la théorie initiale de la Couronne : Nicole Rainville ne se serait pas tiré une balle dans le crâne.
Il ne reste qu’une seule autre personne sur la liste des suspects : le mari et ex-juge Jacques Delisle.




