La chronique de Michel David | Le jeu du poulet

Le moins qu’on puisse dire est que le gouvernement Carney n’a pas fait un gros effort pour inciter un des trois partis d’opposition à la Chambre des Communes à appuyer le budget présenté mardi.
Au contraire, ce dernier semblait contenir une pilule empoisonnée pour chacun d’eux. Rien à voir avec les salamalecs de l’ère Trudeau, où il fallait s’assurer les bonnes grâces du Nouveau Parti démocratique (NPD). Il est vrai qu’à deux députés près d’une majorité parlementaire, à peine six mois après des élections, on peut se permettre d’être plus audacieux.
Le seul suspense est de savoir quel parti sera le plus chicken et aura à déplorer de malheureuses absences le jour du vote sur le budget. Dans l’état de désarroi où il se trouve, le NPD est le favori des parieurs, mais de nouvelles défections dans les rangs conservateurs pourraient encore lui éviter ces pitreries.
La partie de poulet est plus imprévisible à Québec : qui, du gouvernement Legault ou des médecins, finira par plier ? Le gouvernement a en principe le gros bout du bâton, mais celui-ci est fait d’un bois dangereusement fragile.
Il se retrouve pris dans une sorte de cercle vicieux. Son rapport de force diminue un peu plus chaque fois qu’un autre médecin menace de partir, et chaque concession qu’il se sent obligé de faire ne peut que rendre les fédérations médicales encore plus intransigeantes.
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Dans tout affrontement, l’appui de ses députés est indispensable à un chef de parti. Plus encore que celui de Lionel Carmant, qui devait régler un drame familial, le départ de la députée de Laporte, Isabelle Poulet, est un signal inquiétant. Ceux que Jean Chrétien appelait jadis les Nervous Nellies, qui se mettent à craindre pour leur réélection dès que la tempête se lève, risquent de se multiplier à la Coalition avenir Québec.
Quand les choses vont mal, il est tentant de trouver un bouc émissaire. Sous le sceau de l’anonymat, des députés caquistes disent souhaiter que François Legault prenne la direction des opérations et écarte le ministre de la Santé, Christian Dubé, des négociations, comme le réclament également les fédérations médicales.
« Ce serait peut-être temps qu’il parle directement à la population, qui n’entend présentement que la version des médecins », a confié l’un d’eux au Journal de Montréal.
Cela fait pourtant des mois que le premier ministre s’évertue à expliquer le sens de la réforme. Malgré les talents de vulgarisateur que lui prête ce député, il ne réussira jamais à convaincre un patient que son médecin lui ment quand il lui dit qu’il risque d’être moins bien soigné.
Il y a un bon moment que les fédérations médicales veulent changer d’interlocuteur. En août dernier, elles reprochaient déjà à M. Dubé de saboter le travail de l’ancienne présidente du Conseil du trésor Sonia LeBel, avec laquelle elles croyaient pouvoir trouver un terrain d’entente.
M. Legault avait choisi de soutenir son ministre. Pas plus aujourd’hui qu’hier, il ne peut le lâcher sans se renier lui-même. On reproche au premier ministre de s’entêter parce qu’il n’a plus rien à perdre, mais il y a encore une chose qu’il pourrait perdre : la face. Au point où il en est, c’est ce qui lui reste de plus précieux.
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C’est une chose de faire preuve de souplesse sur les « modalités » de la loi 2, dont plusieurs sont sans doute discutables, mais cela ne doit pas avoir pour effet de compromettre l’atteinte de son objectif ultime, qui est de faciliter l’accès aux soins.
Dans l’espoir de ramener les fédérations à la table de négociation, le gouvernement a déjà renoncé à permettre à d’autres professionnels de la santé que les médecins de famille la possibilité d’aiguiller un patient vers un médecin spécialiste. Cela aurait permis d’éliminer des rendez-vous inutiles.
Sans mettre en doute le désir des médecins d’offrir des soins de la plus grande qualité possible, alors que les conditions dans lesquelles ils doivent exercer ne sont pas optimales, on dirait que tout ce qui influerait sur le montant de rémunération leur semble inacceptable.
Comparer cette rémunération d’une province à l’autre n’est pas un exercice facile. Même si l’on tient compte d’une marge d’erreur raisonnable, les chiffres auxquels sont arrivés les chercheurs de la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques de HEC Montréal suscitent pour le moins la perplexité face aux doléances des médecins.
Compte tenu de la différence du coût de la vie entre les provinces, les omnipraticiens québécois gagneraient 39 % de plus que leurs confrères ontariens. Dans le cas des spécialistes, l’écart serait de 48 %. L’impôt sur le revenu plus élevé au Québec qu’en Ontario ramènerait ces chiffres à 24 % et 32 % respectivement. Les chercheurs se disent toutefois incapables de dire quel effet auraient les dispositions de la loi 2.
Il ne faut pas réduire le débat à une question d’argent, loin de là, mais on ne peut pas en faire abstraction. Doug Ford est sans doute un homme accueillant et certains peuvent trouver des charmes à Ottawa ou à Toronto, mais quand même…




