Demandeurs d’asile | Québec veut couper l’aide sociale à ceux qui ne trouvent pas d’emploi

(Québec) Le gouvernement caquiste veut couper le chèque d’aide sociale des demandeurs d’asile qui ne trouvent pas d’emploi pour les pousser à quitter le Québec. S’il n’en tient qu’au ministre Jean-François Roberge, c’est fini, « la carte or et recevoir tous les services ».
Publié hier à 10 h 30
« Quand les gens ont leur permis de travail, que les mois passent, et que les mois passent, et que les mois passent, et qu’ils restent sur l’aide sociale, qu’ils n’ont pas d’emploi, en réalité, ils ont de la misère à s’enraciner et à faire leur vie ici », a affirmé le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration en mêlée de presse jeudi.
« À terme, le gouvernement québécois réduira de manière importante l’aide sociale pour que ces personnes soient incitées à aller dans une autre province pour décrocher un emploi ou recevoir l’aide sociale », a-t-il ajouté. Les modalités ne sont pas encore connues.
Le ministre a affirmé qu’« environ 50 % des gens qui ont un permis de travail et qui sont demandeurs d’asile n’ont pas d’emploi ». Son cabinet a cependant rapidement souligné que ce chiffre était erroné et qu’ils n’avaient pas de données précises.
L’automne dernier, l’idée de couper les chèques d’aide sociale des demandeurs d’asile avait pourtant été exclue par la CAQ. Une réduction du chèque d’aide sociale, « ce n’est pas quelque chose que l’on considère actuellement », disait M. Legault. Mais depuis, a expliqué Jean-François Roberge, le Québec a accueilli 40 000 demandeurs d’asile de plus, un nombre trop élevé, selon lui.
Le Québec « trop attractif »
La réduction du panier de services des demandeurs d’asile n’est plus « liée à une position de négociation ». « Le terme “menace” n’est pas approprié. C’est une politique publique pour respecter la capacité d’accueil », a dit le ministre Jean-François Roberge. Son objectif : que les demandeurs d’asile aillent dans une autre province.
« Le Québec est beaucoup trop attractif. Beaucoup trop attractif. Même le gouvernement du Canada se joint aux tiktokeurs et aux influenceurs pour faire de la publicité : “Venez au Canada, venez au Québec, vous allez avoir la carte or et recevoir tous les services” », a-t-il dit.
« La réalité, c’est qu’on est trop attractifs au Québec pour notre capacité d’accueil », a ajouté M. Roberge.
Dans une lettre envoyée à Ottawa, il somme le fédéral de veiller à une meilleure répartition des demandeurs d’asile entre les provinces, sans quoi il réduira le panier de services des demandeurs d’asile.
M. Roberge demande également un remboursement de 733 millions de dollars. C’est ce qu’ont coûté les demandeurs d’asile au Québec en 2024, a-t-il précisé.
La ministre fédérale de l’Immigration, Lena Metlege Diab, n’a pas commenté la lettre du ministre Jean-François Roberge jeudi. Son bureau a indiqué qu’elle n’était pas disponible pour une entrevue.
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La ministre fédérale de l’Immigration, Lena Metlege Diab
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a fait valoir par écrit que le Québec avait déjà reçu plus de 867 millions de dollars cette année pour l’accueil et l’intégration des immigrants dans le cadre de l’Accord Canada-Québec et plus de 581 millions en 2024-2025 pour l’aider à faire face à l’afflux des demandeurs d’asile.
Le Ministère a souligné également que le nombre de demandes d’asile avait diminué du tiers entre le 1er janvier et le 31 août par rapport à la même période l’an dernier.
Les partis de l’opposition dénoncent le gouvernement
Au Parti québécois, on propose d’accélérer le délai de traitement pour les demandeurs d’asile. « Aux Pays-Bas, c’est très, très court : un mois. Le gouvernement fédéral, ça peut aller jusqu’à trois ans. Donc, il me semble que c’est là-dessus qu’on devrait intervenir pour limiter la pression sur nos services publics. Donc, on est davantage dans une proposition très concrète que de menacer », a dit le député Pascal Bérubé.
Autre suggestion, cette fois de Québec solidaire : délivrer des permis de travail aux demandeurs d’asile dès leur arrivée au Québec. Le délai de traitement actuel est de six mois, selon QS.
« M. Roberge a raison, le Québec a fait plus que sa part. Ça nous prend cet argent-là, puis ça fait très longtemps qu’Ottawa fait la sourde oreille […] », a dit le leader parlementaire Guillaume Cliche-Rivard.
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Guillaume Cliche-Rivard, leader parlementaire de Québec solidaire
Maintenant, de mettre les demandeurs d’asile et les gens les plus vulnérables de la société en jeu, je trouve ça irresponsable puis je trouve ça malheureux.
Guillaume Cliche-Rivard, leader parlementaire de Québec solidaire
Le délai pour obtenir un permis de travail est plutôt de quatre à cinq semaines, réplique le cabinet de M. Roberge.
Sa collègue Alejandra Zaga Mendez a renchéri et a parlé de son expérience personnelle comme immigrante. « J’ai grandi sur l’aide sociale […]. Couper l’aide sociale à de nouveaux arrivants, ça les condamne à la rue », a-t-elle déploré.
Ce point de vue est partagé par le Parti libéral du Québec. « On a toujours été là pour appuyer le gouvernement du Québec pour aller chercher notre part du butin à Ottawa. Une fois qu’on a dit ça, de dire : on va couper l’aide, le pauvre monde, on va les mettre dans la rue pour faire de la pression sur le fédéral parce que Legault, il n’est pas capable de faire sa job ? Non », a dénoncé Marc Tanguay.
« Une mesure cruelle », dénoncent les organismes
La réaction est cinglante dans le milieu communautaire. À la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), Stephan Reichhold parle d’une décision « cruelle » et vouée à l’échec.
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Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
« On serait mieux de les aider à trouver un emploi que de leur couper les vivres », dit le directeur, rappelant que les demandeurs d’asile n’ont pas accès aux mesures d’employabilité et doivent chercher seuls un emploi.
Selon M. Reichhold, Québec ne ferait que pousser des gens vers l’itinérance ou vers le travail au noir, pour des « économies de bouts de chandelles ».
Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales au Collectif bienvenue, abonde dans son sens et décrit une mesure « déconnectée des réalités » qu’elle observe : parents monoparentaux incapables de trouver une place en garderie, gens aux prises avec des enjeux de santé, travailleurs coincés dans des emplois instables et saisonniers. « On parle d’un montant de survie, pas d’un luxe », dit-elle. Mme Poisson craint une forte hausse de l’itinérance et n’exclut pas des contestations judiciaires.
Du côté d’INICI, la directrice Marie-Laure Konan assure que les demandeurs d’asile veulent travailler et s’engagent activement dans les démarches, mais qu’ils se heurtent à des obstacles concrets : barrière de la langue, manque de reconnaissance de l’expérience, délais pour l’obtention des documents, instabilité structurelle des premiers emplois. « Quand ils ont la possibilité de travailler, ils contribuent de façon valable à la communauté québécoise », souligne-t-elle.
Avec la collaboration de Mylène Crête et de Suzanne Colpron, La Presse




