Où vont les âmes | Une mort sublime

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Premier long métrage de fiction de l’actrice, dramaturge et metteuse en scène Brigitte Poupart, Où vont les âmes est une pure merveille portée par trois actrices en état de grâce, Sara Montpetit, Julianne Côté et Monia Chokri.
Publié hier à 7 h 30
Dans 15 jours, Anna (Sara Montpetit) va mourir. Ayant pour confidente sa jument Joséphine, nommée ainsi en l’honneur de sa grand-mère, la jeune artiste tient un journal sous la forme de photos et de vidéos qu’elle partage avec les abonnés de son compte Instagram. Coupées du monde, Sara et sa mère Stéphanie (excellente Sylvie Testud) vivent dans la maison familiale qui tombe peu à peu en ruine.
Avant de partir, celle qui a demandé l’aide médicale à mourir aimerait se réconcilier avec ses deux demi-sœurs aînées, Ève (Monia Chokri) et, surtout, Éléonore (Julianne Côté), qu’elle n’a pas vues depuis que leur célèbre pianiste de père (voix de l’acteur et pianiste Jean Marchand) a été incarcéré pour agressions sexuelles.
PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS
Julianne Côté et Sara Montpetit dans une scène d’Où vont les âmes
D’abord réticentes, Ève, qui a témoigné contre son père au procès, et Éléonore, contrainte par son aînée de couper les ponts avec la benjamine, acceptent de se rendre dans la grande demeure où elles ont grandi avec leur mère Louise (émouvante Micheline Lanctôt), diminuée par la maladie. Les retrouvailles dans l’antre du père, qui supplie Sara d’attendre sa libération conditionnelle, seront tour à tour tendres et tendues.
Artiste aux multiples talents, Brigitte Poupart n’a pas chômé ces dernières années. Son agenda bousculé par la pandémie, elle a dû porter sur ses épaules différents projets en même temps. En plus du documentaire À travers tes yeux, tourné en Haïti avec sa fille Fabiola Pierre Monty, elle a créé le spectacle immersif Jusqu’à ce qu’on meure (repris à Paris en décembre), assuré la mise en scène d’Anatomie d’un suicide, pièce d’Alice Birch, et préparé l’exposition immersive Magellan, un voyage qui changea le monde pour le musée national de la Marine, à Paris.
À travers tout cela, celle à qui l’on doit le magnifique documentaire sur Dave St-Pierre Over My Dead Body (2012) a mis au monde un ambitieux premier long métrage de fiction où se déploie toute sa créativité. Afin de défendre Où vont les âmes, œuvre d’une esthétique remarquable et d’une grande sensibilité, la cinéaste s’est entourée d’actrices qui sont aussi des créatrices. Une manière d’honorer la place que tiennent les femmes en art.
PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS
Sara Montpetit et Monia Chokri dans une scène d’Où vont les âmes
L’art occupe d’ailleurs une place de premier plan dans ce drame familial. Que ce soit par l’image ou par la musique, il exprime tour à tour la colère refoulée depuis l’enfance, la douleur de contempler une mort prématurée, l’amour sororal dans toute sa complexité.
Malgré la mort qui plane, le désarroi d’une famille brisée et le souvenir d’un père manipulateur, Où vont les âmes s’avère une vibrante célébration de la vie, une ode à la résilience, une invitation à la réconciliation, voire au pardon.
Bénéficiant de la lumière enveloppante et caressante du directeur photo Gontran Chartré (la série Sorcières), Où vont les âmes doit beaucoup à la créativité de la conceptrice visuelle Colombe Raby (fidèle complice de Xavier Dolan). Tour à tour maison de poupée et prison dorée, la maison et sa nature luxuriante deviennent le terrain de jeu d’Anna, qui transforme sa souffrance en ludiques poèmes visuels et en gracieux ballets aquatiques ou aériens. Évoquant l’univers des contes de fées, l’imaginaire de la mourante flirte avec le merveilleux tandis que la médication et la maladie l’emportent sur elle.
Dans la bouleversante dernière séquence, où la poésie fait place à la dure réalité de la mort, Fabiola Nyrva Aladin, qui tient le rôle de l’infirmière Jacynthe, apparaît comme une apaisante figure maternelle et donne une tout autre signification à l’expression ange de la mort. Empruntant les mots du docteur Alain Naud, qui a accompagné plusieurs personnes jusqu’au bout de leur voyage, Brigitte Poupart démystifie le processus de l’aide médicale à mourir en le présentant dans sa plus pure simplicité sans négliger de saluer la grandeur du geste.
Où vont les âmes n’est pas le premier film à traiter de ce sujet délicat, Stéphane Brizé (Quelques heures de printemps) et Costa-Gavras (Le dernier souffle) s’y sont notamment attelés avec brio, mais celui de Brigitte Poupart est de loin le plus beau, le plus lyrique et le plus lumineux.
En salle
Drame
Où vont les âmes
Brigitte Poupart
Avec Sara Montpetit, Julianne Côté, Monia Chokri
2 h 01



