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Abolition du Programme de l’expérience québécoise pour les immigrants | Respecter les cibles, oublier les humains

En abolissant un programme phare en immigration offrant une voie rapide vers la résidence permanente, le gouvernement Legault rompt un contrat moral avec des étudiants et des travailleurs étrangers francophones qu’il avait pourtant lui-même cherché à attirer. En vue de la manifestation prévue ce lundi pour réclamer une clause de droits acquis, notre chroniqueuse s’est intéressée au parcours d’immigrants qui espèrent que Québec respectera sa promesse.


Publié à 5 h 00

Recrutée et larguée par le Québec

Recrutée par le Québec pour combler la pénurie de main-d’œuvre dans le réseau de la santé, Florence Bollet Michel ne pouvait s’imaginer qu’elle serait un jour larguée par ce même Québec. La promesse qu’on lui avait faite était pourtant claire : le réseau de la santé avait besoin d’elle, et si elle acceptait de venir travailler au Québec, elle pourrait y construire une vie.

Avant d’entraîner toute sa famille dans son projet d’immigration, la travailleuse sociale française, mère de quatre enfants, avait pris soin de s’assurer qu’elle aurait le droit à une stabilité. Pas question pour elle de quitter une vie très confortable pour 36 mois seulement – la durée du contrat initial de travail qu’on lui offrait à Montréal.

Qu’est-ce qui se passe après 36 mois ? avait-elle demandé avant de tout quitter pour répondre à l’appel de Recrutement Santé Québec.

On m’avait dit : ne vous inquiétez pas, vous aurez du travail pour plus d’une vie. Vous pourrez facilement avoir la résidence permanente et rester toute votre vie. Il y a plein de programmes qui permettent au bout de deux ans de l’obtenir.

Florence Bollet Michel

Ce n’était pas faux… à l’époque. De tels programmes existaient en 2022, au moment où Florence a entamé ses démarches. « Ce qu’on ne dit pas, c’est que les politiques d’immigration peuvent changer du jour au lendemain ! »

Forte de la promesse qui lui a été faite, Florence s’installe donc à Montréal avec sa famille en avril 2023. Elle y travaille comme travailleuse sociale en soins à domicile auprès des aînés. Elle est accueillie à bras ouverts par une équipe qui est vraiment heureuse d’avoir du renfort. « Quand je suis arrivée, il manquait la moitié de l’équipe. J’étais vraiment attendue ! »

Tout se passe à merveille pour Florence, son mari et leurs enfants. La famille achète une maison. Les enfants sont inscrits à l’école. Des amitiés sont nouées. L’intégration va bon train. Mais les choses se compliquent au moment où Florence, après avoir cumulé les 24 mois de travail exigés pour accéder à la résidence permanente, dépose sa demande dans le cadre du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).

Heureuse d’avoir enfin en main toutes les feuilles de paie et les autres documents requis par le PEQ, elle envoie sa demande en ligne le 5 juin dernier à 10 h 30. Et là, surprise ! Elle reçoit un message d’erreur. Le PEQ pour les travailleurs étrangers avait été suspendu inopinément à peine quelques heures avant, le 4 juin, à minuit. Florence, incrédule, fond en larmes.

Comment on peut fermer un programme du jour au lendemain sans même un préavis, sans même informer les gens ?

Florence Bollet Michel

Ce jour-là, en conférence de presse, le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, justifie la suspension du programme comme une mesure permettant au gouvernement de respecter ses cibles d’immigration pour 2025. Pour ce qui est de respecter les êtres humains, ça ne semble pas être une priorité.

Le 6 novembre, le dernier coup de grâce a été donné au PEQ. Tout en annonçant une baisse des seuils d’immigration pour 2026, le gouvernement Legault a aboli le programme, une décision désastreuse décriée tant par les employeurs et le milieu des affaires que par le milieu de l’enseignement supérieur. Québec solidaire et le Parti libéral estiment aussi qu’il s’agit d’une décision injustifiée.

Pour Florence, comme d’autres soignantes recrutées par Québec, la fin du PEQ est la confirmation d’une promesse non tenue. On disait leur travail indispensable – et il l’est. Mais voilà qu’elles sont traitées comme une main-d’œuvre jetable. « On est des êtres humains, quand même ! »

Aux laissés-pour-compte du PEQ, le ministre Roberge suggère de tenter leur chance dans le nouveau Programme de sélection des travailleurs qualifiés, sans leur offrir aucune garantie. Bref, rien de très rassurant pour Florence et ses collègues. Au stress inhérent à leur travail s’ajoute un stress quant à leur avenir incertain une fois leur contrat échu.

Touchée par le soutien de son employeur, de ses collègues et de toute sa communauté d’accueil, Florence n’entend pas baisser les bras.

J’ai dit à mes enfants en rigolant : je suis coriace. Le Québec n’a pas fini avec moi. On ne peut pas mettre maman dehors comme ça !

Florence Bollet Michel

En prenant la parole, elle se fait le porte-voix de plusieurs soignantes, dont certaines, mères seules, sont dans des situations plus précaires que la sienne. Soigner, c’est aussi défendre ce qui est juste, rappelle-t-elle. Et ce qui est juste, c’est que le Québec respecte son engagement.

« Comme dans la magnifique série Empathie, on aimerait bien un peu plus d’empathie de la part du gouvernement. Parce que, pour le moment, on a l’impression qu’il n’y en a pas. »

Du rêve aux antidépresseurs

PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, COLLABORATION SPÉCIALE

Julian Ballester est venu au Québec pour étudier en études littéraires.

Lorsque Julian Ballester a choisi de quitter la France pour venir étudier au Québec, il l’a fait sur la foi d’une promesse sécurisante : s’il respectait les règles du volet « diplômé » du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), il aurait accès à une voie d’accès rapide vers la résidence permanente.

Mais voilà : alors qu’il était déjà bien engagé sur cette voie et avait fait tous les sacrifices qui s’imposent, Julian a appris que la voie d’accès n’existait plus. Le gouvernement Legault l’a d’abord brutalement bloquée l’an dernier, en suspendant sans préavis le volet « diplômé » du PEQ. Et puis, un an plus tard, le ministre Jean-François Roberge vient de sortir le bulldozer, détruisant d’un coup la route et les rêves de tous ceux qui s’y étaient engagés.

Pour l’étudiant en études littéraires, qui a été professeur de francisation pendant deux ans et demi et espérait enseigner le français et la littérature québécoise au terme de son parcours, la suspension du PEQ correspond au moment où il a dû commencer à prendre des antidépresseurs. Le matin où il a appris la nouvelle en prenant son café, il a senti sa vie basculer. Il était à quelques semaines d’obtenir sa maîtrise et de réaliser son rêve québécois grâce au PEQ. Mais voilà que le gouvernement changeait les règles du jeu.

J’ai vraiment vu ma vie s’effondrer à ce moment-là. J’ai sombré psychologiquement.

Julian Ballester

L’étudiant de 36 ans a alors reçu un diagnostic de trouble anxieux généralisé. « C’est la première fois de ma vie que je prends des antidépresseurs. Et puis, je n’imagine pas une seule seconde arrêter de les prendre parce que la vie qu’on a maintenant au Québec comme immigrant, elle est tellement précaire. »

Julian avait longtemps considéré le Québec comme un îlot à l’abri de l’instrumentalisation de la question migratoire dont il avait été témoin en Europe. Pour lui, le Québec était une terre d’accueil qui résistait à la tentation de transformer l’immigrant en bouc émissaire. Mais petit à petit, il a senti le discours politique changer. « Psychologiquement, ça commençait déjà à être dur de sentir que je ne pouvais pas considérer que j’étais chez moi au Québec. »

Avec l’abolition du PEQ, il a l’impression que sa vie, comme celle de tant d’autres immigrants, est littéralement « jetée à la poubelle ». « Et ce qui est vraiment dur à vivre, c’est la sensation que ça se fait dans l’indifférence générale. »

Même s’il se sent profondément déçu, triste, pessimiste et même en colère devant le sort réservé aux immigrants comme lui, Julian insiste sur l’amour qu’il a encore et toujours pour le Québec, la force des liens humains et des amitiés qu’il y a tissés.

PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, COLLABORATION SPÉCIALE

Julian Ballester

La peur de devoir quitter le Québec, c’est aussi et surtout la peur de quitter une vie et des personnes que j’aime profondément.

Julian Ballester

S’il se cherche des portes de sortie en Ontario ou ailleurs, son désir premier est de se battre pour rester dans ce Québec dont il veut défendre la langue et la culture. Pour peu qu’on lui fasse une place…

« Derrière la colère, il y a toujours l’envie de croire à un avenir et à un “chez soi” ici. »

Ils sont des milliers comme Julian à avoir quitté leur pays fort d’une promesse de Québec qui a été trahie. Ils sont des milliers à se sentir floués aujourd’hui.

En écoutant Julian me parler de son amour de la littérature québécoise, des grandes autrices féministes Madeleine Gagnon et Nicole Brossard qu’il affectionne particulièrement, d’Huguette Gaulin, incroyable poète à la fin tragique qui demeure trop peu connue…

En écoutant Florence me parler de l’amour de son métier qui consiste à soigner, accompagner, tenir la main de personnes âgées, et de l’amour qu’elle éprouve pour le Québec où elle rêve de voir grandir ses enfants…

En les écoutant, je me suis dit qu’en vérité, c’est toute la société québécoise qui est flouée si on les laisse partir comme ça.

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