«Les Furies»: patins et confettis

Gabrielle Côté et Mélanie Charbonneau ont des étoiles dans les yeux lorsqu’elles parlent l’une de l’autre. « On a été présentées par les productrices, et ça a été la plus belle rencontre créative de ma vie », raconte Côté, qui signe ici son premier scénario.
La genèse des Furies passe par la glace… et par un film. « Je joue au hockey depuis que j’ai 7 ans. Je suis gardienne de but et j’ai toujours joué avec les gars, raconte la scénariste et comédienne. J’ai grandi en intériorisant le fait que les filles étaient “moins bonnes” en sport. Mon rêve, c’était d’être gardienne de but dans la LNH. »
En 2019, elle tombe sur Ça roule ! (V.F. de Whip It), le film de roller derby réalisé en 2009 par Drew Barrymore. « Je ne connaissais pas ce sport-là, mais il y avait quelque chose de magnétique. J’ai appelé la ligue de Montréal en disant : “Je sais patiner sur la glace, pas sur des roues, mais je veux faire partie de cette gang-là.” » Deux semaines plus tard, elle commençait le camp d’entraînement.
« Le derby, c’est un sport très «Do It Yourself». Tu trouves un grand espace, tu traces des lignes par terre, tu t’organises. J’y ai vu des filles à qui on avait dit toute leur vie qu’elles n’étaient pas sportives et qui découvraient qu’elles adoraient ça. En regardant autour de moi, je me suis dit : “C’est trop riche, il faut que j’écrive là-dessus.” »
De la glace au roller
Dans Les Furies, Waterloo perd son équipe de hockey féminin amateur au profit d’une formation semi-professionnelle masculine. En riposte, Mélissa (Gabrielle Côté), gardienne de but impulsive, s’allie à Yvette (France Castel), octogénaire bad ass et ancienne championne de derby. Avec les laissées-pour-compte du coin et la complicité du Cercle de fermières, elles montent une équipe clandestine de roller derby dans un sous-sol d’église.
« Pour moi, c’est un film sur la gang, mais aussi sur le legs, explique Côté. Yvette, atteinte d’alzheimer, est une femme seule, un peu en train de se laisser dépérir. En Mélissa, elle reconnaît l’acharnement qu’elle avait quand elle était jeune et décide que ça va être ça, son héritage. Grâce à cette équipe-là, sa mémoire ne disparaîtra pas. » Ce legs est porté à l’écran par France Castel, bouleversante doyenne, entourée d’une distribution intergénérationnelle où l’on trouve notamment Juliette Gosselin, Debbie Lynch-White et Anne-Élisabeth Bossé.
Si Les Furies est une comédie déchaînée, son moteur est profondément politique. « Ce que j’ai voulu faire, c’est le film dont j’aurais eu besoin quand j’étais plus jeune, résume la scénariste. Un film qui me permet de m’identifier comme jeune fille sportive. » Elle tenait aussi à mettre en scène des personnages imparfaits. « Dans la fiction, on voit souvent des sports féminins esthétiques, individuels, des athlètes parfaites. Moi, j’avais envie de montrer une gang qui joue dans une ligue de garage, qui tombe, qui rit, qui boit une bière après. Les gars ont ça depuis toujours avec Les Boys. On le voit très peu pour les femmes. »
Cette question de représentation dépasse le terrain de jeu. « On le voit dans le sport, ça commence à changer dès qu’on donne des moyens aux filles. C’est la même chose en cinéma : quand tu donnes les ressources aux créatrices, elles livrent. Les Furies, c’est aussi pour dire aux jeunes : vous avez votre place, sur la glace comme derrière la caméra. »
Une magie très préparée
Pour Mélanie Charbonneau, qui signe ici son troisième long métrage après Fabuleuses et Seule au front, Les Furies s’inscrit clairement dans un mouvement plus large. « On est en train de changer notre cinématographie parce qu’on inclut maintenant les femmes, les personnes autochtones, les personnes racisées, affirme-t-elle. On enrichit le paysage, et ça va marquer l’histoire du cinéma québécois et canadien. Un film comme Les Furies, une comédie sportive d’action avec un gros enjeu de mise en scène, aurait été jugé “trop ambitieux” pour des femmes il y a quelques années. Aujourd’hui, on nous confie ces budgets-là et on prouve que c’était faux. »
Visuellement, Les Furies assume un côté bonbon, presque féerique. La direction photo d’Ariel Méthot et la conception artistique d’Elisabeth Williams plongent le sous-sol de l’église dans des lumières provenant des vitraux, des couleurs saturées, une texture vintage. « On s’est nourries de tous les films feel good qu’on écoutait en VHS en boucle, raconte Charbonneau en citant Flashdance, Une ligue en jupons, Sister Act, Footloose, Dirty Dancing. On voulait créer cette bulle de nostalgie où tout brille un peu trop, comme un souvenir d’ado. C’est un film où on pèse sur le gaz, et ça fait du bien. »
Rien n’a été laissé au hasard. Tourner des matchs de roller derby avec des comédiennes en patins demandait une précision chirurgicale. « On a répété les chorégraphies avec une coordinatrice de cascades qui est aussi joueuse de derby, puis tourné avec des opérateurs Steadicam pour suivre le mouvement, explique la réalisatrice. On avait six jours pour filmer le match final : chaque seconde comptait, tout était préparé sur tableaux, en storyboards, répété avec les doublures puis avec les actrices. »
Avant le tournage, les interprètes des Furies sont devenues une vraie équipe : trois mois d’entraînement, de chutes et de bleus partagés. « Quand on est arrivées sur le plateau, on était déjà une gang », dit Côté. Elle espère que les gens, en voyant le film, se sentiront invités à embarquer dans cette histoire joyeuse.



