«Après seulement 32 ans d’absence sur scène»: il n’est jamais trop tard pour bien faire

Ce que propose l’animateur et comédien Patrice L’Ecuyer avec son tout premier one-man show ressemble à bien peu d’autres manifestations scéniques. Sur papier, l’idée peut même laisser perplexe. Il ne s’agit ni d’une enfilade de blagues à proprement parler — bien que le spectacle regorge de drôlerie — ni d’observations sociétales humoristiques qui porteraient à la réflexion. En fait, si le matériel sur lequel s’appuie le performeur n’était pas véridique, on pourrait presque comparer Après seulement 32 ans d’absence sur scène à une soirée de contes tant les anecdotes autobiographiques qui en forment la trame se révèlent par moments rocambolesques, mais surtout parce qu’elles sont relatées par un artiste possédant un indéniable talent de conteur.
Avec l’énergie d’un jeune homme et la chaleur d’un vieil ami — dont, peut-être, pour ceux qui sont moins fidèles au petit écran, la vie nous a un peu éloignés, mais avec lequel on partage une pléthore de références communes —, le sexagénaire gagne dès son entrée en scène la sympathie du public. D’emblée, il se proclame avec une savoureuse ironie « humoriste de la relève », ce qui donne le ton au spectacle, soit un amalgame au très habile dosage d’autodérision et de fierté candide.
L’Ecuyer rayonne d’un tel émerveillement lorsqu’il raconte, par exemple, l’exultation qu’il a éprouvée quand le célèbre acteur comique américain Steve Martin a décrété qu’il était drôle que le principal intéressé apparaît touchant plutôt qu’arrogant. Si bien que le public se gausse de bon cœur, avec lui, de ses insuccès (il a, entre autres, été remercié de la Ligue nationale d’improvisation avant de s’y illustrer plus tard brillamment) et se réjouit de bonne grâce avec l’artiste de ce qu’il a accompli. Fait cependant exception à cette règle le chapitre portant sur la sobriété du chanteur Dan Bigras, dont le comédien se targue d’avoir été le déclencheur. Une note moins nuancée détonnant au cœur de cette harmonieuse partition, qui multiplie pourtant adroitement les ruptures de ton.
Si ce n’est une blague dite « de blondes » qui, même remise dans le contexte des années 1990, apparaît certainement superflue, Après seulement 32 ans d’absence sur scène vogue de l’évocation quasi documentaire de la frénésie ayant entouré la création du premier Bye bye en direct à une allusion incisive aux crimes d’Edgar Fruitier, sans compter les quelques moments d’émotion qui émaillent ces annales comiques. Pensons à l’hommage que rend l’artiste à Yvon Leroux, comédien ayant entre autres campé Bidou Laloge dans la première version télévisée des Belles histoires des pays d’en haut, qui l’a encouragé, adolescent, à poursuivre avec assiduité et sérieux ses ambitions d’acteur.
Nous ne saurions, en outre, passer sous silence le récit pudique des derniers instants de Marie-Soleil Tougas et Jean-Claude Lauzon, en 1997, dont Patrice L’Ecuyer a été le triste témoin. Il évoque cette tragédie pour expliquer s’être par la suite « refermé comme une huître » et avoir gardé privés les pans de son existence qui ne concernaient pas son métier. Comme s’il disait au public que ce n’est pas par ingratitude ou par indifférence envers lui que le comédien et animateur n’a jamais déballé les détails de sa vie personnelle à la une des magazines.
On sent d’ailleurs chez lui une authentique félicité, après des décennies de petit écran, à retrouver le lien direct avec les gens, qu’il a expérimenté, plus tôt en carrière, grâce au théâtre et à l’improvisation. Ajoutons sans ambages que cet enthousiasme se révèle réciproque. Bien entendu, les plus jeunes (disons les moins de 40 ans) peineront probablement à assembler les morceaux d’une culture télévisuelle dont ils n’ont pas été témoins, bien que les projections derrière le soliste soient fort bien utilisées (et avec une louable parcimonie) pour rafraîchir ponctuellement les mémoires. Quoi qu’il en soit, une soirée franchement captivante et absolument délicieuse attend les autres.




