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Éditorial de Louise-Maude Rioux Soucy | Le concours de vertus au Parti libéral du Québec

« C’est une crise comme d’autres », veut nous faire croire Pablo Rodriguez, qui dit n’avoir « rien à cacher ». Quelques cheveux blancs de plus. La vie, la vie, quoi. Le nouveau chef du Parti libéral du Québec (PLQ) mesure-t-il à quel point sa défense est un piège dans les circonstances qui sont les siennes ?

De deux choses l’une. Soit il ne sait pas distinguer les turbulences des crises franches — ce qui serait grave —, soit il le sait au contraire fort bien, mais il ne mesure pas à quel point ramener cette « crise » à « d’autres » crises passées risque de réveiller des squelettes que l’on espérait endormis pour de bon dans le placard — ce qui serait au moins tout aussi grave.

Les révélations du Journal de Montréal pointant un possible retour en grâce d’une vieille recette honnie pouvant mener à des sanctions, sous certaines conditions, soit la distribution de « brownies » — une expression faisant référence à la remise de billets « bruns » de 100 $ — afin de récompenser un vote pour M. Rodriguez durant la course à la chefferie, sont à prendre avec sérieux. La preuve reste à faire… ou à défaire. Il y va de l’honneur du parti, mais aussi d’une nécessaire transparence envers les adversaires déconfits de M. Rodriguez.

Les révélations de La Presse donnant à entendre que la désormais ex-cheffe parlementaire Marwah Rizqy soupçonnait que des fonds publics aient pu servir à payer des tournées de son chef en région méritent elles aussi un examen approfondi. Ce ne sont pas là des allégations que l’on peut balayer sous le tapis.

Il reviendra au directeur général des élections de trancher dans le vif en ce qui concerne ces affaires délicates. Cela prendra des semaines, voire des mois. La commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale pourrait aussi être appelée à y mettre son nez qu’on ne serait pas surpris. Car, non, ce n’est pas une « crise comme d’autres ».

Le curseur séparant les bonnes des mauvaises pratiques en matière de financement politique a bougé. Les « brownies » appartiennent à un passé à oublier (on dit d’ailleurs bravo au ministre Roberge, qui s’est engagé jeudi à resserrer la loi), les activités des élus se rapportent aux fonds publics tandis que les activités partisanes relèvent des partis politiques. Nul n’est censé l’ignorer : pas plus le PLQ que les autres partis.

Il est par ailleurs troublant d’apprendre que certains des éléments mis en lumière ces derniers jours avaient déjà été portés à l’attention du parti, et ce, dès avril dernier. L’affaire avait été classée sans suite, ces éléments ayant été jugés non crédibles. Cette conclusion de facilité aura été mal avisée.

Le feu a ainsi pu continuer à couver jusqu’à ce que la température au PLQ devienne insoutenable. Lancer une enquête interne « indépendante » sur la course à la direction — même tard, alimentée par l’huile d’une spectaculaire rupture entre le chef et sa cheffe parlementaire — était la chose à faire. Reprendre rapidement un semblant de contrôle en serait une autre, impérative. Le chaos des derniers jours laisse toutefois planer des doutes sur les capacités du chef à reprendre pied et à remettre de l’ordre dans la maison aussi aisément.

M. Rodriguez doit déjà se constituer un nouveau trio. En envoyant sa joueuse étoile sur le banc des punitions, le chef risque gros. Non seulement Marwah Rizqy, parlementaire redoutable et redoutée, ne pourra plus marquer autant de points qu’avant à l’Assemblée nationale, mais elle risque d’entraîner dans son sillage des citoyens (et des électeurs potentiels) attachés à ses méthodes flamboyantes qui ont nourri certains des pires cauchemars du gouvernement Legault.

Il est vrai que Mme Rizqy a poussé son chef dans les câbles en renvoyant sa cheffe de cabinet, Geneviève Hinse, sans même le prévenir, au prétexte qu’« une faute grave » aurait été commise — ce que nie vigoureusement cette dernière, qui entend s’en défendre tout aussi vigoureusement. Avoir le pouvoir de lui montrer la porte, ce que Mme Rizqy avait à titre de cheffe de l’opposition officielle, est une chose ; le faire en cachette, sans s’expliquer, en est une autre.

Sur le plan humain, son geste est tout aussi difficile à défendre. Mme Rizqy connaissait bien les liens qui unissent M. Rodriguez à Mme Hinse, sa complice de la première heure à Ottawa. Se draper dans une position de vertu inflexible aura peut-être donné à la députée de Saint-Laurent l’impression qu’elle éviterait ainsi de se salir les mains. Mais son choix de s’emmurer dans le silence force le parti et son chef à encaisser — droit dans les dents ! — toutes les réactions en chaîne qui se sont ensuivies.

Pablo Rodriguez n’a guère brillé jusqu’ici dans ses nouveaux habits de chef du PLQ. Il pensait avoir encore de la marge devant lui pour prendre ses marques. La crise profonde dans laquelle s’est abîmé le PLQ a tout changé. Il lui faudra vite marquer des points s’il ne veut pas être mis en échec. Mais ce sera bien plus difficile maintenant que son premier trio s’est effondré. Au concours des vertus, vingt ans de politique fédérale, un deuxième trio bricolé de bric et de broc et la conviction ferme de « n’avoir rien fait de mal » pourraient ne pas suffire.

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