Mise à jour économique | Pourquoi 8,3 milliards de mesures ne coûtent-elles rien

Les « initiatives additionnelles » de 8,3 milliards annoncées par le ministre Eric Girard sont soit un leurre, soit un effet de la chance. Heureusement, elles n’ont pratiquement pas d’impacts sur nos finances publiques.
Publié à
19 h 15
Pourquoi un leurre, un coup de chance et un effet nul sur le déficit ? Je vous explique.
D’abord, le constat : les 8,3 milliards de dollars de mesures sur 5 ans destinés à « protéger notre pouvoir d’achat et notre économie » ne coûteront que 313 millions sur 5 ans au trésor public, soit 63 millions par année.
Faites vos calculs : les mesures ne représentent donc que 0,04 % des 167 milliards de dépenses de l’année courante, bref des pinottes.
Il s’agit d’une excellente nouvelle, compte tenu de la fragilité de nos finances publiques. D’autant plus qu’on craignait que le gouvernement caquiste succombe à la tentation de baisser les taxes pour faire mousser sa cote de popularité un an avant les élections.
Pourquoi un leurre ? Parce que la moitié des soi-disant « initiatives additionnelles » de 8,3 milliards n’ont rien de nouveau ou d’additionnel.
Le ministre des Finances annonce simplement l’indexation du régime fiscal, chose que tous les gouvernements du Québec font chaque année depuis 20 ans, selon la même formule prédéterminée1.
Indexer le régime fiscal signifie notamment que le gouvernement hausse les seuils de revenus à partir desquels les Québécois sont imposés pour tenir compte de l’inflation.
Sans cette indexation, les Québécois paieraient plus d’impôt, entre autres, pour une somme que le gouvernement estime à 4,1 milliards sur 5 ans.
Le coût de cette indexation – soit environ la moitié des 8,3 milliards – était déjà pris en compte dans les équilibres budgétaires et ne coûte donc rien de plus au gouvernement dans sa mise à jour. Voilà pour le leurre.
Pourquoi un coup de chance ? Parce que l’autre grosse « initiative additionnelle » s’explique par l’excellente santé financière de deux régimes qui profitent aux Québécois, mais sur lesquels le gouvernement a somme toute peu d’influence et qui sont hors de son périmètre comptable.
Le premier est le Régime de rentes du Québec (RRQ), ce régime destiné à financer une partie de la retraite des Québécois auquel tous les travailleurs cotisent.
Le RRQ profite en partie du contexte favorable des marchés financiers, soit des taux d’intérêt de long terme assez élevé et des marchés boursiers aux rendements très généreux. Celui du RRQ, dont les fonds sont placés à la Caisse de dépôt, a rapporté 11 % en 2024 et 4,6 % pour les 6 premiers mois de 20252.
Il y a deux semaines, le RRQ a justement publié son rapport actuariel – le premier en trois ans – qui indique en quelque sorte que le régime est en surplus.
Plus précisément, le taux de cotisation de 10,8 % facturé aux travailleurs et employeurs excède de 0,33 point de pourcentage le taux nécessaire pour assurer la viabilité du régime à très long terme, de 10,47 %3.
Le ministre Eric Girard, de qui relève le RRQ, a donc pris la décision d’abaisser en partie le taux de cotisation – de 0,2 point de pourcentage – ce qui procure un gain annuel moyen de 71 $ par travailleur.
Phénomène semblable avec le Régime québécois d’assurance parentale, dont le taux de cotisation sur le chèque de paye des travailleurs et employeurs sera abaissé de 13 %, pour un gain de 66 $.
Ce coup de chance permet donc au ministre d’alléger la facture annuelle des travailleurs de 137 $ pour les deux régimes, en moyenne.
Les employeurs voient aussi leurs cotisations diminuer, si bien que la facture totale atteint 3,7 milliards, soit 45 % des 8,3 milliards de mesures.
Bref, le ministre a pigé dans les surplus de ces deux fonds, en quelque sorte, pour « soulager le portefeuille des Québécois ». La décision n’est pas imprudente, mais elle est opportuniste. Voilà pour le coup de chance.
Il ne reste donc que 598 millions sur les 8,3 milliards de mesures, destinés essentiellement aux entreprises et aux régions.
Mais encore là, Eric Girard est parvenu à dégonfler la facture réelle de ces 598 millions de moitié grâce à une gymnastique comptable.
Pour y arriver, le ministre a puisé indirectement dans le Fonds d’électrification et des changements climatiques, bien que les mesures n’aient rien à voir avec le réchauffement de la planète.
En somme, le point sur la situation financière présenté mardi n’affecte les déficits du Québec que de 313 millions sur 5 ans, soit quelque 63 millions par année ou 0,04 % des dépenses totales.
On peut difficilement critiquer le ministre d’avoir été trop pingre. Certes, les besoins sont très grands en éducation, en logement et autres, mais la lutte contre le déficit public – exigée dans une loi – est loin d’être gagnée.
La mise à jour de mardi nous apprend que le déficit de l’année courante sera de 9,9 milliards, soit 1,5 milliard de moins que les 11,4 milliards prévus en mars dernier (avant versement au Fonds des générations).
Bien que la nouvelle soit réjouissante, elle ne masque pas le grand défi d’équilibre des prochaines années.
Pour arriver au déficit zéro, il faudra non seulement ramener la croissance des dépenses sous l’inflation – même si les salaires de l’État augmentent – mais aussi combler un trou budgétaire annuel qui atteindra 2,5 milliards dans trois ans et pour lequel aucune solution n’a encore été trouvée.
Espérons que l’économie se redresse plus rapidement que la croissance de 1,1 % prévue en 2026 dans la mise à jour.
1. La formule d’indexation est basée sur l’Indice des prix à la consommation (IPC) dont sont exclus le tabac, l’alcool et le cannabis, essentiellement. Cette année, l’indexation est de 2,05 %, basée sur l’année de référence terminée en septembre 2025.
2. Le RRQ n’étant pas pleinement capitalisé, d’autres facteurs influencent fortement sa viabilité à long terme, notamment le nombre de cotisants et leur masse salariale.
3. Constat semblable pour le régime supplémentaire du RRQ, dont le taux de cotisation de 2 % excède le taux de référence de 1,6 % pour la viabilité à long terme. Eric Girard a choisi de ne pas réduire le taux de cotisation de ce régime.




